Fahrenheit 451 est un documentaire fictionnalisé sur une catastrophe future qui a déjà eu lieu. On pourrait gloser sur la prémonition de l’œuvre (1966) quant à la civilisation de l’image, les leurres de l’interactivité, les « murs-écrans » qui recouvrent tout. On y verrait le Loft et le Net. Parlons plutôt du film : Truffaut l’imaginait dur, cruel, brutal – il est doux, suave et harmonieux. Truffaut voulait interpeller le public sur cette société totalitaire qui brûle les livres, que ce soit « insoutenable comme des animaux qu’on torture » – ses autodafés sont beaux à contempler comme des danses lentes. Par contre, le réalisateur a souhaité éviter tout signe trop futuriste et même, jugeant que « le comble du modernisme, c’est de jouir du passé », intégrer au décor des éléments vieillots : c’est précisément ce qui permet au film de n’avoir pas vieilli. Sans compter que le support DVD et le contexte home cinéma offrent au thème de l’immersion dans l’image une mise en abyme d’une rare efficacité.
Mal reçu à sa sortie, Fahrenheit 451 s’adresse à nous, spectateurs de 2002 qui avons bien digéré les Sixties, la pop culture et Le Prisonnier. Qui sommes capables de jouer avec la distanciation et décoder en même temps les mécanismes du totalitarisme – assez pour accepter l’idée que brûler les livres (pas bien), c’est aussi brûler Mein Kampf (bien). Et que les hommes gagnant le maquis à la fin, s’ils représentent la résistance au pouvoir, n’en prouvent pas moins la réussite de celui-ci à séparer les hommes à jamais de leurs destins individuels. Bref, cela semble suffisamment désespéré, tenaillé par l’angoisse qu’à défaut de vivre, nous ne fassions que « tuer le temps », pour devenir aujourd’hui l’objet, qui sait, d’un petit culte nihiliste.
Dialectique d’apparences
Des trois plans ci-dessous, espacés dans le film (début, milieu, fin), seul le second dénonce frontalement le totalitarisme. L’individu y est morcelé par un déchirement intérieur. Ce qui devait n’être qu’un fondu-enchaîné se fige sur la vision de deux Oskar Werner. Autour de cet axe, les premier et dernier plans se renvoient les effets et les causes en un furieux ping-pong politique. D’abord une conversation en pleine campagne fait oublier la rudesse du régime ; le monorail, possible cauchemar de société technicienne, est avalé par la plastique des nuages, la permanence de leurs formes magnifiées d’une légère contre-plongée. A l’inverse, rien de plus angoissant que la vision finale d’un réseau de résistance : les hommes.
- Fahrenheit 451, François Truffaut. Parmi les bonus, de larges extraits du « Journal de tournage ». Edition collector incluant le roman de Ray Bradbury. Ed. MK2, sortie le 19 juin.
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Un film pour le temps présent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°537 du 1 juin 2002, avec le titre suivant : Un film pour le temps présent