PARIS
L'enquête sur un vaste trafic d'antiquités pillées au Proche et au Moyen-Orient s'intéresse désormais au rôle de l'ancien président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, mis en examen pour blanchiment et complicité d'escroquerie en bande organisée.
A la tête du plus grand musée du monde pendant huit ans, Jean-Luc Martinez avait été placé en garde à vue lundi dans les locaux de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), selon une source proche du dossier. Il a été mis en examen mercredi en fin d'après-midi pour « complicité d'escroquerie en bande organisée et blanchiment par facilitation mensongère de l'origine de biens provenant d'un crime ou d'un délit », a indiqué jeudi une source judiciaire. Il a été placé sous contrôle judiciaire.
« Jean-Luc Martinez conteste avec la plus grande fermeté sa mise en cause dans ce dossier », ont réagi auprès de l'AFP ses avocats Me Jacqueline Laffont et Me François Artuphel. « Il réserve pour l'heure ses déclarations à la justice et ne doute pas que sa bonne foi sera établie », ont-ils ajouté. L'ancien dirigeant du Louvre de 2013 à l'été 2021 est aujourd'hui ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine.
Deux éminents égyptologues français, qui avaient également été placés en garde à vue lundi, ont quant à eux été libérés sans poursuites à ce stade, a précisé la source judiciaire. Selon Le Canard enchaîné, qui avait annoncé les gardes à vue, les enquêteurs cherchent à savoir si M. Martinez aurait « fermé les yeux » sur de faux certificats d'origine de cinq pièces d'antiquité égyptiennes acquises « pour plusieurs dizaines de millions d'euros » par le Louvre Abou Dhabi, l'antenne du musée parisien dans la capitale des Emirats arabes unis. Parmi ces pièces figure une stèle en granit rose gravé au nom du roi Toutankhamon, « un objet exceptionnel à plus d'un titre », selon l'égyptologue Marc Gabolde cité par le quotidien Le Monde. C'est lui qui avait alerté les deux égyptologues sur la provenance douteuse de la stèle, dans une note début 2019, selon le quotidien. Les deux spécialistes auraient ensuite transmis le document à M. Martinez. Sollicitée par l'AFP, la direction du Louvre n'a pas souhaité réagir.
Centaines de pièces pillées
Une enquête préliminaire portant sur des soupçons de trafic d'antiquités provenant de pays instables du Proche et Moyen-Orient avait été discrètement ouverte en juillet 2018 par la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) du parquet de Paris. Depuis février 2020, un juge d'instruction est chargé d'une information judiciaire ouverte pour recel de vol en bande organisée, association de malfaiteurs, blanchiment et escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux ainsi qu'omission de mention par le vendeur sur le registre des objets mobiliers.
Ce trafic concernerait des centaines de pièces et porterait sur plusieurs dizaines de millions d'euros, selon des sources proches à l'époque. Les faits avaient été révélés lors d'un coup de filet retentissant dans le milieu feutré du marché de l'art et des antiquaires parisiens en juin 2020. Un expert en archéologie méditerranéenne, Christophe Kunicki, et son mari Richard Semper, marchand, avaient été mis en examen pour « escroqueries en bande organisée, association de malfaiteurs et blanchiment en bande organisée » et placés sous contrôle judiciaire. Ces deux figures respectées du monde des antiquités de la capitale française sont soupçonnées d'avoir « blanchi » des objets archéologiques pillés dans plusieurs pays en proie à l'instabilité depuis le début des années 2010 et l'émergence des Printemps arabes : Egypte, Libye, Yémen ou Syrie.
En mars dernier, Roben Dib, propriétaire d'une galerie à Hambourg (Allemagne), a été mis en examen et placé en détention provisoire. L'OCBC cherche à déterminer les conditions d'acquisition par le Louvre Abu Dhabi, par l'intermédiaire de ce galeriste germano-libanais, des cinq antiquités sorties illégalement d'Egypte, d'après Le Canard Enchaîné.
L'annonce de cette enquête avait troublé le milieu du marché de l'art et des antiquaires de Paris. Les noms de M. Kunicki et M. Semper avaient déjà été cités dans l'affaire du sarcophage du prêtre Nedjemankh. Vendu au Met de New York en 2017 pour 3,5 millions d'euros (environ 4 millions de dollars) par M. Kunicki, ce sarcophage a finalement été rendu solennellement à l'Egypte en 2019. Une enquête avait établi que l'objet avait été volé en 2011, année du soulèvement contre le président Hosni Moubarak.
Cet article a été publié par l'AFP le 26 mai 2022.
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Un ancien président du Louvre soupçonné d'être impliqué dans un vaste trafic d'antiquités
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