Sollicités pour des prêts dans le cadre d’expositions temporaires en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les musées turcs se sont pliés aux exigences de leur gouvernement en refusant de se défaire de leurs œuvres. Avant de céder à toute demande, Ankara pose ses conditions et réclame la restitution d’objets antiques détenus dans des collections anglo-saxonnes.
LONDRES - Décidée à obtenir la restitution d’antiquités aujourd’hui dans des collections américaines et britanniques, la Turquie a refusé de concéder des prêts au Metropolitan Museum of Art à New York, au British Museum et au Victoria & Albert Museum (V & A) à Londres. En prévision de l’exposition « Hajj : Journey to the Heart of Islam » (« L’Hégire : voyage au cœur de l’Islam », jusqu’au 15 avril), le British Museum avait déposé une demande pour le prêt de 35 objets au Palais de Topkapi, au Musée Türbeler et au Musée des arts turcs et islamiques à Istanbul. Alors que les musées turcs avaient répondu par la positive, le ministère de la Culture s’y est opposé, laissant peu de temps au British Museum pour trouver une solution de repli. De son côté, le Metropolitan a confirmé que la Turquie réclamait une douzaine d’artefacts, sans toutefois donner plus détails. Une porte-parole du musée a fait savoir que « l’affaire était en pourparlers avec les autorités turques ». L’exposition « Byzance et Islam », qui a ouvert ses portes à New York le 14 mars (jusqu’au 8 juillet), présente de nombreux prêts concédés par le musée Benaki à Athènes, mais pas un seul provenant des musées turcs.
Un prêté pour un rendu
Tolga Tuyluoglu, à la tête de l’antenne culturelle et touristique du gouvernement turc à Londres, a confirmé la demande de restitution de deux objets actuellement dans les collections londoniennes. Les institutions culturelles britanniques et turques ont beau entretenir de « bonnes relations », Ankara souhaite classer l’affaire « avant de parler prêts pour les expositions. » Au British Museum, la demande concerne une stèle en basalte gravé, datant du Ier siècle av. J.-C., représentant le roi Antioche Épiphane accueillant Hercule. Mise au jour en 1882, dans un champ de Celik, non loin de l’actuelle Samsat, la stèle a été détournée de son « usage » initial pour servir de presse-olives. L’archéologue Leonard Woolley en a fait l’acquisition en 1911, alors qu’il menait des fouilles à Karkemish avec l’accord des autorités ottomanes. Le site était au cœur du premier conflit mondial et, après la guerre, les réserves archéologiques se sont retrouvées en Syrie sous administration française. En 1927, Woolley a fait sortir la stèle du pays avec l’approbation française, avant de la vendre au British Museum. En 2005, une première demande de restitution n’avait pas donné suite.
Mais en janvier 2011, Unal Cevikoz, ambassadeur turc à Londres, a repris le dossier à l’occasion de l’arrivée d’Osman Murat Suslu à la direction des musées et du patrimoine du pays. Plongé dans les préparatifs de « L’Hégire », le British Museum souhaitait trouver une solution. Une porte-parole nous a confié que « le musée serait disposé à discuter du prêt de la stèle, soumis aux conditions habituelles. Les administrateurs ne peuvent accepter un quelconque transfert de propriété et croient fermement qu’elle doit rester dans les collections du musée, où elle peut être admirée dans un contexte international par un public mondial. »
Le V & A est embourbé dans les mêmes difficultés avec son projet « Les Ottomans », pour lequel les prêts turcs sont essentiels. L’exposition s’intéresse à l’évolution de l’art ottoman, de la conquête de Constantinople en 1453 au XIXe siècle. Prévu pour 2014, et repoussé d’un an, le projet est désormais en suspens. Les autorités turques ont demandé la restitution d’une tête sculptée d’Eros, provenant du sarcophage de Sidamara (IIIe siècle av. J.-C.). La famille de l’archéologue Charles Wilson en avait fait don au musée en 1933. Le sarcophage, auquel seule manque cette tête, est exposé au Musée archéologique d’Istanbul. Une porte-parole du V & A précise que la tête a été acquise en toute légalité et que les collections du musée sont inaliénables, ajoutant que « la proposition d’un prêt à long terme a été soulevée ». Le musée entend reprendre son projet « dès que les discussions au sujet des prêts des collections turques avanceront. »
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Turquie : restitution contre prêt
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Turquie : restitution contre prêt