Nommé à tête de l’Institut de recherche du Getty, couplé au célèbre musée homonyme, Thomas Crow était auparavant directeur du département d’histoire de l’art de l’université de Yale. Porte-parole d’une histoire sociale de l’art, il prône la démocratisation de sa discipline, objectif qu’il entend poursuivre dans ses nouvelles fonctions.
NEW YORK (de notre correspondante) - Thomas Crow occupe depuis juillet la charge de directeur de l’Institut de recherche du Getty à Los Angeles. Dotée de ressources économiques exceptionnelles, l’institution finance des programmes d’expositions, des bourses, des publications, et développe des programmes informatiques consacrés à la recherche dans le cadre des sciences humaines. Auparavant directeur du département d’histoire de l’art de l’université de Yale, Thomas Crow a été reconnu sur un plan international en 1985 avec La Peinture et son public à Paris au XVIIIe siècle (dont nous rendons compte dans ce numéro, page 11). L’historien ne s’est pas pour autant contenté du succès recueilli par l’ouvrage et ceux qui ont suivi dans le même cadre d’étude, comme L’Atelier de David (en français chez Gallimard), brillants exemples de l’histoire sociale de l’art entamée à l’université de Californie par T.J. Clark. Thomas Crow a su mener de front ses passions pour le XVIIIe siècle français et pour l’art contemporain. Ses travaux sur les Disasters d’Andy Warhol, sur Robert Morris, Robert Rauschenberg, Ross Bleckner, Gordon Matta-Clark ou Jeff Wall révèlent les multiples facettes de sa recherche historiographique, ainsi que son intérêt à la fois constant et éclectique pour cerner les relations entre création et société.
L’Institut de recherche du Getty est-il autosuffisant ou bien a-t-il besoin de multiplier les coopérations pour mener à bien ses programmes ?
Nous disposons de ressources économiques suffisantes, des ressources très contrôlées, mais nous avons bien sûr besoin de collaborer avec d’autres institutions. Mon objectif premier est de stimuler les échanges entre le Getty et les principaux musées, centres d’art et centres universitaires du monde entier. Relier le local avec l’international à travers un thème commun, une sorte d’état des lieux sur la question de l’histoire de l’art et de la critique d’art.
Et à un niveau plus local ?
Je compte lancer une politique de relation fluide entre notre centre et les départements d’histoire de l’art des universités du sud de la Californie, afin d’aider à la formation de jeunes historiens d’art et leur faciliter l’accès aux instruments nécessaires à leurs travaux.
Plus généralement, à qui doit s’adresser l’histoire de l’art ?
Il n’est pas aisé de répondre en quelques mots, mais en tant qu’historien, je dois songer à l’audience la moins qualifiée. Il ne s’agit pas de se consacrer au public des musées et des dernières biennales. L’historien d’art doit penser aux gens qui cherchent un éclairage dans le complexe canevas de l’art, qui ont besoin de quelque chose de plus que ce que leur offrent la télévision ou les films d’Hollywood. “Mon histoire de l’art” ne s’adresse pas uniquement à ceux qui sont capables de suivre un séminaire de philosophie, mais à une audience qui éprouve le besoin de sentir, de vivre et de comprendre l’art face à l’internationalisation et à la mondialisation croissantes.
Est-ce cet engagement qui a amené les responsables du Getty Trust de Los Angeles à vous choisir comme directeur ?
Nul n’ignore que l’Institut de recherche du Getty est peut-être l’un des centres de recherche en histoire de l’art les mieux dotés. Sans doute, l’un des principaux objectifs de ses responsables est de rendre ces moyens le plus largement accessibles. Ils avaient besoin au poste de directeur de quelqu’un qui partage cet objectif sans pour autant renoncer au travail scientifique qu’un tel centre exige.
Cette réflexion s’inscrit dans votre conception démocratique de l’art et de l’histoire de l’art ?
Au risque de paraître prétentieux, je dirai que oui. De nos jours, l’art ne peut pas s’enfermer dans un cercle élitiste, inaccessible et crypté. Il faut encourager – comme on le faisait à un autre niveau dans les cours de l’époque baroque –, des manifestations artistiques, expositions ou colloques, qui soient compréhensibles et attrayantes pour la plus grande majorité.
Comment se concrétise cette déclaration de principe dans le quotidien d’une institution ?
J’ai beaucoup d’idées sur ce que j’espère pouvoir mener à bien. L’une d’elles est de passer en revue les cultures de la Californie des années soixante à nos jours. En principe, je conçois cet inventaire comme une révision qui, à partir de séminaires et de colloques, présentera de quelle manière les discours de la “haute modernité” se mêlent aux traditions vernaculaires. J’ai une estime particulière pour cette étude qui suppose pour moi un retour à mes origines, à mes racines. Je suis né à San Diego et j’ai fait mes études universitaires à l’UCLA de Los Angeles.
Je comprends votre intérêt personnel sur ce point, mais ne croyez-vous pas que la culture artistique de Los Angeles et, en général, de la côte ouest garde une plus grande relation avec la culture européenne contemporaine qu’avec les cultures vernaculaires ?
Cette relation existe aussi. Elle est très importante même si elle est d’une certaine manière exclue de mon projet. Souvent, Los Angeles, ou plutôt ses artistes, ont été plus proches de l’Europe que tout ce qui se passe à New York. La relation entretenue par Paul McCarthy avec les actionnistes viennois en est le parfait exemple. Pour vous en dire plus, cette dimension inclut un peu de mon histoire personnelle. Une histoire qui a de profonds ancrages dans le projet européen de l’Illustration et plus particulièrement dans la culture française. C’est dans cette perspective que je me suis proposé de travailler aussi à une révision historiographique du XVIIIe siècle, et pas seulement depuis une perspective exclusivement française mais internationale.
Ces lignes de travail résument-elles les projets immédiats de l’lnstitut ?
Ce sont des lignes capitales, mais elles ne résument pas tout. Je vais ainsi continuer avec le plus grand intérêt les recherches entamées par mon prédécesseur, Salvatore Settis, sur la question des reproductions et des originaux. D’autre part, je ne veux pas remettre à plus tard l’une des questions que je crois des plus importantes dans l’étude de l’art et de l’histoire de l’art : la méthode. Son analyse doit recevoir un soutien essentiel de notre part.
Les questions de méthode en général ou bien une méthode ou un problème en particulier ?
La méthode en général. Dans une première phase, je veux remettre en question le rôle de la biographie. Pourquoi la biographie ? La biographie semble être un genre obsolète, que presque personne ne revendique en tant que moyen et encore moins comme objet de recherche, nous finissons tous par l’utiliser au moment d’entreprendre un travail d’histoire de l’art.
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Thomas Crow s’engage à la tête du Getty Institute
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : Thomas Crow s’engage à la tête du Getty Institute