Plus que toute autre avant-garde, le Surréalisme a signifié l’action commune de l’art et de l’écriture. Sans cesse renouvelés depuis, les liens qui unissent plasticiens et écrivains trouvent-il aujourd’hui une actualité ?
Les relations qui font et ont fait se croiser ces deux régimes de représentation que sont les arts visuels et la littérature constituent une histoire qui se confond avec celle générale de l’art, faite de convergences et de discordes constamment réitérées. Celle des avant-gardes du XXe siècle, de Dada au Lettrisme, en passant naturellement par le mouvement surréaliste, voit avancer de front peintres et écrivains, signant ensemble les manifestes, moins souvent les œuvres... Est-il besoin de préciser que, si ce sont ces noms que l’histoire désormais retient, ces groupuscules furent chaque fois des voix minoritaires. Il en va évidemment de même aujourd’hui, à l’heure où il n’est plus de mise de constituer mouvements, écoles ou autres idéologies. On trouvera peu d’exemples probants au cours des dix dernières années de tentatives pour faire émerger des affinités entre les enjeux de la littérature et des arts visuels, mise à part la Revue perpendiculaire (1), qui constitua peut-être aussi en France la dernière manifestation en date d’un désir de collectif, à la manière moderne. L’indifférence à peine polie dans laquelle fut tenue cette revue du côté du champ littéraire révèle, outre un esprit de corporatisme certain, que cette collusion ne va toujours pas de soi. Peut-être l’horizon romanesque auquel aspiraient les “perpendiculaires”, et auquel ils se sont prêtés par ailleurs avec des bonheurs variables (de Jacques François Marchandise à Nicolas Bourriaud, et, plus récemment, Jean-Yves Jouannais) constituait-il en un sens un écueil. Et c’est davantage depuis l’enclos exigu de la poésie qu’apparurent ces dernières années les écritures les plus singulières, et les personnalités les plus aptes à interroger leur corps de métier et à outrepasser les genres.
Modèle de théorie en acte
Les deux numéros de la bien-nommée Revue de Littérature générale (2), conçus par Pierre Alferi et Olivier Cadiot, articulant documents, textes écrits par des écrivains, des artistes, des musiciens, reste aujourd’hui un modèle de théorie en acte qui informe bien davantage que le seul champ de la littérature auquel elle semble s’adresser de prime abord, et rend compte, par-delà certaines impasses où s’était enlisée la modernité (la blancheur de Blanchot, l’illisible de Tel Quel, les éructations de Guyotat...) de nouveaux possibles pour l’écriture d’être en prise sur ce qui nous est contemporain. Il n’est nullement question dans la RLG de transdisciplinarité, mais de méthodologie, de modes opératoires pour l’art aujourd’hui. La transdisciplinarité n’est bien souvent en effet qu’un moyen de plus-value par l’exotisme pour des écrivains ajoutant une touche “art contemporain” à leurs ouvrages, et vice-versa. La chose est entendue, il ne suffit pas de publier des livres pour être écrivain. On peut en revanche évoquer certaines collaborations entre artistes et écrivains, qui ne relèvent pas d’un désir de fusion des pratiques, mais d’une association au sein de laquelle chacun utilise les ressources et les outils propres à son domaine de compétence. Le plasticien Thomas Hirschhorn, dont l’intérêt pour la littérature est notoire, ainsi que l’attestent les kiosques qu’il a consacrés à des figures comme Emmanuel Bove ou Robert Walser, aux monuments éphémères dédiés à Gilles Deleuze ou bientôt à Georges Bataille (dans le cadre de Documenta XI de Cassel), associe régulièrement des écrivains (Manuel Joseph, Jean-Charles Massera, Christophe Fiat...) à ses œuvres, à travers des commandes de textes faisant véritablement partie intégrante de la pièce, sous forme de textes photocopiés et destinés à être emportés par les visiteurs, ou de lectures enregistrées en vidéo, incluses dans ses sculptures. L’écrivain Nathalie Quintane a publié en 1999 un ouvrage intitulé Mortinsteinck, lié indissociablement au film éponyme de l’artiste Stéphane Bérard. Il s’agit non pas d’un scénario, ni d’un commentaire, bien que le livre tienne pourtant des deux à la fois, en constituant avant tout une tentative de transcription, de transfusion d’une pratique à l’autre. Lorsque Nathalie Quintane fait un concert avec Stéphane Bérard et Xavier Boussiron, dans lequel elle dit ou chante des textes de sa composition, il s’agit non seulement d’une collaboration avec ces artistes, mais avant tout d’une extension de sa pratique d’écriture, héritée en cela de la poésie performance, qui constitue en soi une zone de confluence de pratiques artistiques et littéraires. C’est à l’occasion de lectures publiques que Pierre Alferi a diffusé ses premières vidéos, extraits de films, muets pour la plupart, remontés et mis en boucle, vidéos élaborées comme des contrepoints d’extraits de son roman Le Cinéma des familles (éd. P.O.L., 1999). Cette pratique d’images s’est par la suite développée, avec le concours du musicien Rodolphe Burger, au point de devenir aujourd’hui l’une des principales activités de l’écrivain, concevant des Cinépoèmes dans lesquels le texte n’obéit plus à une structure linéaire, mais à une rythmique d’apparition. Une problématique qu’un jeune artiste comme Fabrice Reymond, dont le moteur de travail est l’écriture, résout quant à lui par l’invention du “Cinéma générique”, dont le principe repose sur la désynchronisation des images, du son et du texte, et qui trouve son support grâce à la technologie du cédérom (3), permettant une diffusion aléatoire de ces trois corpus. Ces œuvres, qui peinent à trouver une réception dans le champ littéraire, auront-elles un meilleur accueil au sein des musées et des centres d’art ? La zone d’”indéfinition” qu’elles ouvrent, si elle ne facilite pas leur diffusion, est en tout cas une question posée à l’art. Comme l’écrivaient Olivier Cadiot et Pierre Alferi dans le numéro 2 de la RLG, “cette forme, faut-il encore l’appeler ‘texte’ ? ou ne pas l’appeler du tout ?”
(1) Éditée jusqu’en 1998 par les éditions Flammarion.
(2) Numéro 1, La Mécanique lyrique, 1995 (épuisé) ; n° 2, Digest, 1996 (encore disponible), éditions P.O.L.
(3) Le cédérom Nescafé, premier volet du Cinéma générique, sera publié sous cette forme par les éditions HYX, Orléans, en septembre 2002.
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Tentatives d’évasion
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Tentatives d’évasion