Le Musée du quai Branly, à Paris, fêtera le 23”¯juin le premier anniversaire de son ouverture au public. Son président, Stéphane Martin, fait le bilan de cette première année d’activité et commente l’actualité.
Quel bilan tirez-vous de cette première année d’ouverture du Musée du quai Branly ?
D’abord celui d’une visibilité, qui s’est créée encore plus vite que je ne l’imaginais. Je suis vraiment très impressionné de la vitesse à laquelle l’image du Quai Branly s’est formée sur le plan à la fois national et international. Cette institution est complexe puisque nous sommes partis d’un concept relativement clair – même s’il faisait l’objet de contestations -, celui des arts premiers, pour arriver à quelque chose de plus divers et de plus riche. Les arts premiers font aujourd’hui partie d’un ensemble beaucoup plus vaste qui traite globalement du rapport et de la compréhension mutuelle entre le monde occidental et le monde non occidental. Par exemple, dans un domaine à la marge des questions artistiques et culturelles, mais symptomatique, lorsque les All Blacks, les Maoris, sont venus à Paris et qu’ils ont voulu faire un cadeau à la nation française, c’est au Musée du quai Branly qu’ils l’ont fait. Lorsque Nicolas Hulot cherchait un lieu convivial mais aussi acceptable pour tout le monde pour faire signer son pacte écologique, c’est vers le Musée du quai Branly qu’il s’est tourné. L’autre bonne surprise est évidemment la fréquentation, puisqu’avec 1 700 000 visiteurs nous ne sommes pas très loin du maximum possible, la fourchette normale se situant entre 800 000 et un million de visiteurs par an.
Ne pensez-vous que cette fréquentation exceptionnelle va baisser avec la fin de l’effet nouveauté ?
Bien sûr, cela me paraît tout à fait logique. J’ai toujours dit que l’objectif de ce musée ne se mesurerait pas à la course à la fréquentation, mais plutôt à la qualité de la relation qui se serait établie entre le musée et ses usagers. Le Musée du quai Branly, je le conçois comme un véritable service public. Logiquement, les visiteurs doivent devenir des habitués, parce que ce que nous proposons, c’est une manière de questionner le monde. Et comme tout questionnement, celui-ci se fait de manière dialectique. Chaque exposition temporaire, par exemple, dialogue avec une manifestion à venir ou passée. C’est la diversité des panoramas et des points de vue qui, sur une certaine durée, va permettre de mieux regarder le monde qui se construit ailleurs qu’en Europe. Le rapport que nous voulons établir avec notre public, c’est un peu celui que les maisons de la culture, dont rêvait Malraux, devaient établir avec le leur : un rapport au long cours. Au bout de six mois, 20 % de nos visiteurs étaient déjà venus au moins une fois précédemment. Un public fidèle est en train de se créer. 80 % de visiteurs sont des usagers habituels de la culture, ce qui est assez normal pour une année d’ouverture. Mais déjà 20 % de visiteurs – ce qui est beaucoup – viennent dans cette institution alors qu’ils ne vont manifestement pas vers les autres.
Ciblez-vous donc moins les touristes que les autres grands musées parisiens ?
Pour l’instant, nous accueillons peu de touristes (moins de 20 % du public). Mais, au niveau international, le musée est en train d’apparaître comme une des nouvelles icônes parisiennes. L’architecture est une grande réussite, en tout cas de mon point de vue d’utilisateur. Le fait que cet objet architectural nouveau soit installé en plein de cœur de Paris « bluffe » les étrangers, qui ont une idée d’un Paris plutôt conservateur en matière de transformation de son architecture. Et de plus en plus de visiteurs viendront ici parce que cette institution est « dans le coup ».
Envisagez-vous des évolutions dans l’organisation et la présentation des œuvres ?
Par définition, un musée qui ouvre doit se perfectionner. Certains équipements n’ont pas été parfaitement réalisés pendant la période de construction, d’autres n’avaient tout simplement pas été prévus. Nous allons, par exemple, construire des sanitaires supplémentaires, nous avons rajouté des éclairages. Nous sommes aussi en train de revoir assez profondément la signalétique. Le concept de la partie permanente, l’espace de référence, est celui d’un territoire : le visiteur est invité à se promener et à faire lui-même ses propres comparaisons. C’est loin de l’approche plutôt directive d’un musée d’ethnologie traditionnel. Le public demande davantage d’informations, d’explications et de cartes, ce que nous sommes en train de mettre en place. Par ailleurs, nous allons légèrement modifier nos horaires d’ouverture pour fermer le musée plus tard, à 21 heures, trois jours par semaine, le jeudi, le vendredi et le samedi. Nous essayons d’être attentifs à ce que nous demande notre public pour améliorer le service rendu.
Où en sont les programmes de recherche que mène le musée ?
Il importait d’abord d’inscrire le musée dans un réseau international de structures de recherche, lequel comprend les universités américaines, brésiliennes, japonaises, etc. D’autre part, nous avons accueilli cette année nos premiers boursiers. Quatorze, majoritairement français, viennent poursuivre au musée un travail de recherche précis. Nous allons aussi mettre en place à partir de la rentrée prochaine un système de chercheurs étrangers invités qui poursuivront un projet de recherche spécifique. Par ailleurs, dans le domaine de l’enseignement, sept cents étudiants suivent régulièrement cette année des cours au Musée du quai Branly. Il s’agit soit de modules spécifiques créés à la demande de nos partenaires (École du Louvre), soit des enseignements générés par ces structures mais délocalisés au Musée du quai Branly pour les rapprocher des collections.
Allez-vous programmer des recherches sur les anciennes collections du Musée de l’Homme ?
La réintroduction de la recherche au Musée du quai Branly consiste à essayer de réconcilier l’ethnologie et l’étude des objets. Pendant une longue période, l’ethnologie structuraliste a utilisé des outils conceptuels qui ne se fondaient pas a priori sur les productions matérielles des cultures étudiées. Parmi les boursiers, une petite minorité travaille sur des sujets liés aux collections. Nous allons mettre en avant cet aspect dans le prochain appel de candidatures. Nous voulons encourager les chercheurs qui souhaitent travailler directement sur nos collections.
Le continent africain est très en retard en matière de structures muséales. Quel rôle le Musée du quai Branly peut-il jouer pour aider à son développement ?
Nous fournissons une aide technique en expertise scientifique et matérielle. Nous participons ainsi actuellement à la construction d’un musée à Konso, en Éthiopie. Ce musée est financé par des organisations non gouvernementales et par le gouvernement éthiopien. Nous apportons l’expertise à la fois muséologique et architecturale. D’autre part, nous gérons avec l’École du patrimoine africain de Porto-Novo, au Bénin, une ligne budgétaire du ministère des Affaires étrangères pour aider à la mise en place d’une série de programmes de formation dont bénéficient de futurs conservateurs africains. Enfin, nous accueillons régulièrement, que ce soit dans le domaine de la conservation préventive ou dans celui de la muséologie, des stagiaires qui viennent d’Afrique mais aussi du Pacifique.
Envisagez-vous d’intervenir d’une manière ou d’une autre pour la sauvegarde des sites archéologiques en Afrique ?
Il y a plusieurs manières d’intervenir pour leur sauvegarde. Nous avons mis en place une pratique déontologique conforme aux recommandations de l’ICOM [Conseil international des musées]. Nous pouvons proposer, le cas échéant, l’utilisation de techniques d’archéologie préventive telles qu’on les utilise en France, ce qui est, à mon avis, l’un des moyens d’intervention les plus rationnels. Mais cela se heurte sur place à des problèmes économiques, politiques et locaux bien spécifiques.
Restons à l’international. Le Musée du quai Branly investit dans France Muséums. Quelle expertise y proposera-t-il ?
L’expertise sera celle qu’on nous demandera. Il y a deux raisons pour lesquelles nous sommes dans France Muséums. D’abord parce que l’idée d’exporter le savoir-faire français en matière de musées est non seulement une bonne idée, mais aussi une nécessité. Au Quai Branly, nous avons aujourd’hui un savoir-faire « frais » en matière de maîtrise d’ouvrage muséographique. Par ailleurs, nous avons eu l’expérience heureuse de travailler avec Jean Nouvel pendant huit ans. Or le Louvre-Abou Dhabi va être construit par Jean Nouvel. Il y a donc sans doute une expertise que nous pouvons apporter. D’autre part, si le projet scientifique qui sera retenu le permet, il serait passionnant que ce musée s’ouvre aussi au dialogue des cultures. Une des suggestions du Louvre a été que cette institution — qui était dans le concept initial un musée dit « classique » — soit davantage un lieu de dialogue, en particulier entre la tradition et la modernité. Il n’est donc pas impossible que nous soyons amenés à participer aussi au prêt d’œuvres. En tout cas, nous en serions extrêmement fiers.
Le Musée du quai Branly accueille également des expositions d’art contemporain, sans parler de la future biennale « Photoquai », prévue à l’automne. Cette année, pour la première fois, il y a un pavillon d’art africain à la Biennale de Venise. Que pensez-vous de cette initiative ?
J’allais dire : enfin ! D’ailleurs, Yves Le Fur, notre directeur des collections, part à la Biennale de Venise pour humer l’air du temps ! Notre souci en matière d’art contemporain est double. D’une part nous ne voulons pas servir d’alibi : nous ne sommes pas là pour présenter ce que les musées d’art moderne ne voudraient pas. D’autre part, nous ne contentons pas non plus d’une sorte de témoignage social de la continuité de certaines pratiques culturelles, au risque de ne plus distinguer art et artisanat. Nous accueillons ici des artistes qui se sentent à l’aise et légitimes dans cet endroit, parce que l’œuvre qu’ils présentent y trouve un sens. À l’avenir, notre ambition en matière d’art contemporain est de garder ce niveau d’exigence, d’attention et de curiosité mêlées.
Quelle exposition vous a marqué dernièrement ?
J’aime beaucoup l’exposition actuelle sur « Les Nouveaux Réalistes » au Grand Palais. J’ai du mal à comprendre que cette école n’ait pas encore une plus grande importance au panthéon mondial de l’art du XXe siècle. Elle est très intelligente et très puissante. J’attends aussi avec curiosité d’aller voir [Anselm] Kiefer au Grand Palais.
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Stéphane Martin, président du Musée du quai Branly
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°261 du 8 juin 2007, avec le titre suivant : Stéphane Martin, président du Musée du quai Branly