Paradis fiscal numéro un des gros capitaux français, la Belgique attire aussi les galeries alléchées par les faibles prix de l’immobilier. Analyse d’un phénomène.
Venir vivre en Belgique, c’est comme aller en province ! » Ce constat d’un marchand bruxellois sonne comme un slogan de l’office de tourisme. Aussi réelle soit-elle, la douceur de vivre du plat pays ne suffirait pas à capter les bataillons d’industriels français tels les Taittinger, les Lafon (laboratoire Lafon) et les Halley (Carrefour-Promodès), ou les professionnels de l’art comme le commissaire-priseur Jacques Tajan – lequel y a ouvert deux sociétés de services –, et l’antiquaire Flore de Brantes. Une fiscalité sur le patrimoine particulièrement amène, et de faibles coûts immobiliers expliquent cet exode outre-Quiévrain.
La Belgique associe les atouts d’un paradis fiscal et d’une proximité tant géographique que linguistique. L’absence d’impôt sur la fortune (ISF) et de taxes sur les plus-values mobilières séduit les gros capitaux. D’après le rapport du sénateur Philippe Marini publié en juin 2004, 42 % des redevables de l’ISF délocalisés à l’étranger s’étaient établis en Belgique en 2001. Le pourcentage s’élève à 51 % l’année suivante. Ces chiffres concernent des patrimoines moyens évalués à 15-16 millions d’euros dans une tranche d’âge de 54-55 ans. Les mécanismes de donation se révèlent aussi avantageux. « La donation authentique, constatée par un acte notarié, est soumise à un taux réduit de 3 %, contre 5 à 40 % en France selon la somme transmise, précise Olivier Armand, avocat fiscaliste français établi à Bruxelles. Les donations manuelles ne sont quant à elles pas imposables. » Quelques familles d’industriels se sont installées dans les zones frontalières, alléchées par un régime fiscal spécifique. Celui-ci prévoit une imposition dans le pays de résidence et non dans celui de l’exercice professionnel. Les expatriés français convergent principalement à Bruxelles, dans la commune d’Ixelles. Certains d’entre eux tels les Halley ou les frères Grosman (Celio), un temps amateurs de Sam Szafran, s’avouent aussi collectionneurs. La palme de la collectionnite revient toutefois à Éric Decelle, partenaire de Picard Surgelés, et Sylvie Beaufour-Winckler (laboratoire Ipsen).
Collectionneurs belges
L’impact de cette communauté de riches actifs ou oisifs sur le marché de l’art local est difficilement quantifiable. « Je ne connaissais pas les expatriés français auxquels je vends aujourd’hui lorsqu’ils résidaient en France. Ils sont actifs et nous en sommes heureux, indique le galeriste bruxellois Xavier Hufkens. Je crois qu’une fois intégrés dans leur pays d’accueil, ils ne retourneront pas en France pour y vivre, même avec des mesures fiscales adoucies ou une suppression de l’ISF. Ils ont construit une vie ailleurs. Le mal est fait. » Hormis une petite poignée d’amateurs assidus, les expatriés n’irriguent que modestement les galeries belges. « Cette clientèle est loin d’être majeure. Nous fonctionnons plutôt avec les collectionneurs belges », soutient Christine Ollier, de la galerie Les filles du calvaire (Paris), dotée depuis cinq ans d’une antenne à Bruxelles.
Si ces riches émigrés s’installent dans des résidences bien plus spacieuses qu’à Paris, ils drainent avec eux leurs meubles de famille, ce qui freine à court terme les achats mobiliers. Bien que ces départs sont jugés nuisibles au dynamisme de l’économie hexagonale par le rapport de Philippe Mariani, ils ne lèsent pas pour autant le marché de l’art en France. Le galeriste Georges-Philippe Vallois (Paris) observe ainsi que les expatriés visitent systématiquement la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), à Paris. La proximité qu’offre le Thalys joue dans les deux sens ! Il n’est d’ailleurs pas impossible que les collectionneurs restés en France soient plus actifs que leurs compatriotes émigrés en Belgique. « Les Français achètent d’une certaine façon beaucoup plus en France, où ils ont une vie sociale plus développée. En Belgique, il y a peut-être moins un effet d’entraînement et d’émulation », remarque la galeriste parisienne Nathalie Obadia.
« Central et cosmopolite »
La Belgique n’attire pas que les grandes fortunes. Elle séduit aussi les artistes, comme Lionel Estève, Emmanuelle Villard et Xavier Noiret-Thomé, ou des galeristes en quête d’espaces bon marché. « J’ai pu commencer à Bruxelles plus facilement que je ne l’aurais fait à Paris. J’aurais eu trop de frais, alors qu’ici j’ai plus de liberté pour investir l’argent économisé dans la production d’œuvres », observe la galeriste Catherine Bastide. Même son de cloche de la part d’Elaine Levy, jeune femme de 25 ans qui a ouvert en janvier une galerie mitoyenne à un loft loué à bon prix. « À Paris, cela aurait été
inimaginable, convient la jeune galeriste. À côté de ces questions financières, je sentais qu’il y avait une avant-garde en Belgique, aussi bien au niveau de la mode que de la musique. Bruxelles a les bons côtés de la capitale et de la province. C’est central et cosmopolite. Le bouche à oreille fonctionne très bien ! » L’ouverture toute récente par Valérie Bach et Baudouin Lebon de la galerie Le Café français relève en revanche d’une conjoncture plus personnelle que stratégique.
Reste enfin une dernière frange de Français installés en Belgique, les fonctionnaires du Parlement européen. D’après les professionnels, ces derniers ne sont guère sensibles aux œuvres d’art. Il faut plus que des avantages économiques pour devenir collectionneur…
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Sirènes belges
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Sirènes belges