L'Exposition universelle 2010 aligne les superlatifs. Mais les pavillons brillent surtout par leur architecture.
SHANGHAÏ - Vitrine de la Chine du XXIe siècle, Shanghaï accueille jusqu’au 31 octobre une Exposition universelle regroupant le nombre record de 189 pays (fr.expo2010.cn). Le site de 5,28 kilomètres carrés est symboliquement dominé par la pagode renversée rouge du pavillon chinois, qu’aucun autre bâtiment national n’a eu le droit de défier dans son élévation. La thématique de l’exposition, « Better city, better life » (Meilleure ville, meilleure vie), joue ouvertement la carte de l’écologie, dans une ville où, jusqu’à peu, aucune isolation thermique n’était obligatoire pour les nouvelles constructions. Selon la Banque mondiale, en 2010, parmi les vingt villes les plus polluées au monde, seize seraient chinoises. Tous les pavillons n’ont pas joué le jeu, alors que le britannique est exemplaire dans son contenu et sa forme architecturale. Porc-épic composé de tiges d’acrylique finies par des graines, la structure est posée sur un vaste paysage de cendres entaché d’une seule faute de goût : la représentation en cire du footballeur David Beckham, concession au public populaire de la manifestation. L’Espagne a aussi misé sur la fibre écologique en recouvrant son bâtiment de plaques ondulantes d’osier. Mais tous les pavillons n’ont pas été d’aussi bons élèves, préférant mettre en avant leur force de frappe industrielle ou leur attraction touristique. Ainsi l’Allemagne fait-elle la part belle à à la robustesse de son électroménager et au charme de ses régions.
Propagande politique
Si l’Exposition universelle 2010 est considérée comme stratégique pour conquérir le marché chinois, certains ont voulu faire immédiatement des affaires sur place. Partageant son pavillon avec l’Europe, la Belgique en profite pour vendre son chocolat et ses diamants… Dans un luxueux palais construit pour l’occasion, le Maroc fait l’étalage de son artisanat, version chic du souk de Marrakech avec ses babouches de cuir teinté, senteurs d’épices et tissus traditionnels. Plus bas de gamme, le pavillon du Qatar manque d’homogénéité. Les foules sont davantage attirées par la possibilité de se faire tatouer le corps au henné que par le petit espace dédié au Musée d’art islamique de Doha. L’art primitif figure en bonne place dans le pavillon réunissant les pays du continent africain, tout comme le culte de la personnalité. Aucune nation n’a omis de mettre en avant la photo de son dirigeant… Plus dérangeante, la propagande politique s’immisçait honteusement dans les pavillons de la Corée du Nord et de l’Iran. Au « Iranian city, the city of justice and benevolence » (la cité iranienne, ville de justice et de la bienveillance) répondait le « Paradise for people » (Paradis du peuple) nord-coréen ! Non moins problématique, le pavillon français a quant à lui choisi une image dix-neuviémiste et une architecture « d’autoroute » signée Jacques Ferrier. Oubliant les prouesses de son industrie, TGV en tête, il a mis en scène des chefs-d’œuvre prêtés par le Musée d’Orsay entourés de lieux communs sur le Paris éternel. Même Louis Vuitton, partenaire du pavillon, a donné dans le style « nouille » en s’appropriant l’entrée de métro parisien d’Hector Guimard. Sa féerie, digne de Peter Pan et de la fée clochette, tranche avec l’image branchée de la marque. Pour José Frèches, commissaire du pavillon, « la priorité était le bâtiment ». Ainsi les drapeaux de Daniel Buren et les tableaux de Yan Pei-Ming qui entourent la construction n’ont-ils été décidés que tardivement, six mois avant l’ouverture de l’événement. Le manque de cohérence d’ensemble est tout aussi patent dans le curieux dialogue engagé, dans le patio, entre une œuvre de Chen Zhen et un chien feuillu d’Aurèle, pâle substitut au Split Rocker de Jeff Koons que les organisateurs rêvaient d’emprunter à François Pinault. En cédant au populisme et à une iconographie désuète, la France a raté l’occasion de donner une image dynamique d’elle-même. Un ratage qui aura coûté autour de 45 millions d’euros.
Ce devait être la vitrine de l’art contemporain français en Chine. Mais l’intervention, dans l’espace Focus du pavillon français à l’Exposition universelle de Shanghaï, des quatre artistes nominés pour le prix Marcel-Duchamp 2009 (Saâdane Afif, Damien Deroubaix, Nicolas Moulin et Philippe Perrot) est restée confidentielle. En cause l’une des sculptures de Damien Deroubaix représentant un colosse tenant dans sa gueule des billets de banque chinois. « Lorsque la censure est passée, il y a eu un froncement de sourcil devant le colosse que les censeurs ont trouvé irrespectueux, parce qu’il faisait référence à des pratiques funéraires chinoises », explique Gilles Fuchs, président de l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (Adiaf), à l’origine du prix Marcel-Duchamp. Je ne sais pas quelle est la part du vrai et du faux. José Frèches [commissaire du pavillon français] a indiqué qu’il fallait contrôler le flux de visiteurs dans cet espace exigu. » « L’espace n’est pas ouvert à tous uniquement pour des questions de sécurité et d’intégrité des œuvres, nous a affirmé José Frèches. Toutes les œuvres ont été vues lors du vernissage par les journalistes chinois. Mais dès le lendemain, on s’est rendu compte que, si on ne laissait rentrer qu’une minorité de visiteurs, c’était l’émeute. Nous sommes obligés de traiter cet espace de manière privée. » Une explication qui ne satisfait guère Damien Deroubaix. « L’excuse de la circulation du public ne tient pas debout. Je ne vois pas ce qui pouvait être abîmé », nous a-t-il déclaré. Selon José Frèches, 20 000 visiteurs auraient vu l’espace de l’Adiaf. Autant dire que 99 % des 60 000 visiteurs quotidiens n’y ont pas accès !
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Shanghaï accueille le monde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : Shanghaï accueille le monde