Vice-directeur et conservateur en chef du Musée Ota, à Tokyo, dont il s’occupe depuis vingt-huit ans, professeur d’histoire de l’art du Japon à l’université de Risho (Tokyo), Seiji Nagata a sélectionné cent quarante-huit des plus belles estampes de son établissement. Ces œuvres, comprenant les grands noms de l’ukiyo-e (le monde flottant) de l’époque Edo (XVIIIe-XIXe siècle), seront exposées au Musée Guimet à Paris du 6 juillet au 15 août. Il commente l’actualité.
Quels sont les enjeux de l’exposition que le Musée Guimet accueille à partir du 6 juillet ?
Dans l’histoire des relations franco-japonaises, il y a eu beaucoup d’expositions françaises organisées au Japon, mais jamais l’inverse. Avec notre coproducteur [la chaîne de télévision NHK, une des plus importantes du Japon], nous nous sommes associés, à l’occasion de leur 80e anniversaire et de notre vingt-cinquième année d’existence, pour montrer la culture authentique du Japon en France. Nous avons réalisé que l’ukiyo-e est un des meilleurs atouts de notre culture. Mais les estampes de l’ukiyo-e sont si fragiles que nous ne les sortons que très rarement. Malgré des précautions draconiennes, elles se dégradent chaque année un peu plus, c’est inéluctable. Les pièces que nous avons sélectionnées pour le Musée Guimet n’ont quasiment jamais été montrées, même au Japon. Il s’agit du « meilleur du meilleur » pourrait-on dire. Nous avons accepté de les sortir pour la première fois uniquement pour la France, car c’est ce pays qui a fait découvrir les estampes japonaises en Europe. On pourrait citer Edmond de Goncourt qui était un grand collectionneur et a largement étudié Hokusai. Tous ces chercheurs, écrivains ou acteurs du marché de l’art français, qui les premiers ont remarqué la beauté des estampes pour la montrer au monde entier, nous ont incités à choisir aujourd’hui le Musée Guimet. Cette manifestation sera à la fois une première et une dernière. Jamais plus nous ne montrerons cet ensemble, l’événement est donc exceptionnel.
Dans les années 1980, le japon a connu ce fameux « boum des musées », avec la création d’une multitude d’établissements privés, comme le Musée Ota. Comment fonctionne l’établissement, quelles sont ses ressources ?
Le musée est à l’origine une fondation, créée par M. Ota, qui a commencé à constituer la collection dans les années 1950 à travers des acquisitions exceptionnelles. Son fils a ensuite créé le musée en 1980. Nous possédons au total 12 000 œuvres et continuons d’acquérir des pièces pour le musée. Toutes nos ressources proviennent de la fondation. Les intérêts que nous rapportent les fonds propres de la fondation permettent à eux seuls de faire fonctionner le musée. Les entrées du musée, lequel accueille 50 000 visiteurs par an, ne rapportent quasiment rien. Nous ne fonctionnons avec aucun mécène et n’avons aucune aide de l’État. Cela nous garantit une totale indépendance.
Le JdA n° 211 (18 mars 2005) a publié le palmarès mondial des expositions 2004. Tokyo arrive en tête avec près de 7700 visiteurs par jour pour l’exposition sur le mont Kôya, au Musée national. Comment analysez-vous l’engouement du public japonais pour les musées ? Est-il possible de déterminer les goûts de ce public en matière d’exposition ?
Le public japonais ne s’intéresse pas beaucoup aux expositions d’art contemporain, il se tourne généralement vers ce qu’il connaît déjà, vers ce qui est directement compréhensible. D’où le succès d’expositions comme les « Trésors d’une montagne sacrée : Kûkai et le mont Kôya » (6 avril-16 mai 2004), les « Trésors de la Chine ancienne » (28 septembre-28 novembre 2004), toutes deux au Musée national de Tokyo, ou encore « Rimpa » (24 août-3 octobre 2004) au Musée d’art moderne. Nous sommes aussi férus des artistes européens ; les impressionnistes ou Picasso, on adore ici ! Au Musée Ota, on essaye néanmoins de trouver des angles nouveaux, de montrer des œuvres moins connues. Nous avons une véritable contrainte avec les estampes : il faut changer l’accrochage douze fois par an. Cela nous oblige à élaborer une dizaine d’expositions chaque année. Depuis la création, il y a donc eu au moins 300 présentations différentes ! C’est aussi un moyen d’élargir le propos, d’amener le public à s’intéresser à autre chose.
Les artistes contemporains continuent-ils de s’intéresser à cet art de l’estampe ?
Malheureusement, cette technique s’est presque éteinte. Il y a des fondations qui essayent de montrer et de promouvoir l’estampe, mais cela n’est pas très concluant. Aucun artiste ne pourrait aujourd’hui vivre de l’estampe. Puis d’autres méthodes d’impression sont apparues. L’estampe n’est plus adaptée au temps actuel, c’est un art du passé.
L’exposition qui sera présentée au Musée Guimet est financée par la chaîne de télévision NHK. Quel est le pouvoir des médias dans le domaine culturel au Japon ?
Notre association avec la NHK est à l’origine du projet. Montrer l’exposition à la télévision a des répercussions énormes en termes de fréquentation et d’image. La NHK élabore, quant à elle, des programmes audiovisuels autour de l’exposition, avec différents sujets sur l’estampe. De manière générale, les médias sont très impliqués dans les expositions. Ils en financent une grande partie et en sont souvent les moteurs. Le conservateur peut se tourner vers la télévision pour financer son projet, mais cette dernière peut aussi proposer une exposition à un musée. C’est ainsi NHK qui a permis d’organiser la manifestation consacrée à Matisse, de septembre à décembre 2004, au Musée national d’art occidental, ou l’exposition sur les « Trésors d’une montagne sacrée » que vous citiez précédemment. Pour les « Trésors de la Chine ancienne », c’est la chaîne Asahi qui s’en est occupée… Au Japon, il est très rare que les médias ne soient pas associés aux expositions. En revanche, les rôles sont clairement définis : ils s’occupent de la logistique, des préparatifs, des soutiens financiers, mais c’est le conservateur qui choisit les œuvres à cent pour cent. Le rôle que jouent les médias, particulièrement la télévision, pour la culture est donc énorme.
Une exposition a-t-elle retenu votre attention récemment ?
Actuellement, le Musée d’art moderne accueille une exposition consacrée à Van Gogh. C’est merveilleux. J’admire la manière qu’il a de reprendre les motifs de l’estampe japonaise.
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Seiji Nagata, vice directeur et conservateur en chef du Musée Ota à Tokyo
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Seiji Nagata, vice directeur et conservateur en chef du Musée Ota à Tokyo