Les personnels du Centre de recherche et de restauration des musées de France dénoncent les incohérences du projet du futur centre de réserves
PARIS - Depuis quelques semaines, le ministère de la Culture communique beaucoup sur le futur « Grand centre de conservation » appelé de ses vœux à être construit en banlieue parisienne (lire le JdA no 292, 28 nov. 2008, p. 18 et 19) pour résoudre la situation dramatique des réserves des grands musées nationaux parisiens (le Louvre, le Centre Pompidou, Orsay, Picasso…) et répondre au risque « imminent » de crue centennale. Ou comment, selon les termes de la Rue de Valois, « transformer une contrainte en opportunité ». Dans les faits, l’opération, entièrement chapeautée par le Musée du Louvre, semble avoir été menée dans la précipitation et sans tenir compte des missions premières du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), principale institution concernée avec les musées nationaux et le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). Priés de libérer les espaces que le C2RMF occupe au Louvre – surfaces promises aux mécènes du musée et à des activités pédagogiques encore non définies –, ses personnels ont accueilli la nouvelle avec consternation et dénoncé l’absence de projet scientifique. Preuve en est : Jean-Pierre Dalbéra, chargé de diriger la mission scientifique du futur centre de conservation, a été nommé seulement au début du mois de décembre 2008, alors que le projet était sur les rails depuis plusieurs mois. Le conseiller scientifique du ministère doit remettre un rapport d’étape d’ici à la fin du mois d’avril, après la désignation, en mars, de la ville qui hébergera le centre. Ce premier texte doit donner les grandes orientations du centre, préciser le rôle de contrôleur scientifique et technique, redéfinir les liens avec le CNRS (dont une cellule est abritée par le C2RMF), envisager la création de salles dévolues à la médiation, renforcer la formation du métier de restaurateur. Concernant ce dernier point, la venue de l’Institut national du patrimoine (INP) est ardemment souhaitée. L’arrivée à sa tête d’Éric Gross, inspecteur général de l’Éducation nationale, nommé le 8 décembre en remplacement de Geneviève Gallot, s’inscrit dans cette logique. « Nous avons à cœur que le C2RMF garde ce qui fait sa force et veillerons à ce que les équipes de deux cents personnes qui seront déplacées le soient pour de bonnes raisons », promet Christiane Naffah, directrice du C2RMF. Quant à Aglaé (Accélérateur Grand Louvre d’analyse élémentaire), seul élément du C2RMF à rester sur place, Christiane Naffah le décrit comme le « cordon ombilical » qui reliera les équipes délocalisées à leur « antenne ».
Absence de programme scientifique
En interne, les personnels reprochent à leur tutelle d’entretenir « un double dialogue » afin de faire passer le projet en force. « Le ministère de la Culture a embelli le cahier des charges pour le vendre aux collectivités, déplore un restaurateur. Le projet énoncé par Bruno Suzzarelli [inspecteur général de l’administration des affaires culturelles, auteur d’un rapport à l’origine du projet] repose sur une abstraction et ne contient aucun programme scientifique. Une fois de plus, on vend la marque “Louvre” à travers le C2RMF aussi appelé, et ce n’est pas pour rien, le centre de recherche et de restauration du Louvre. Mais il y a une réelle incompatibilité du projet avec notre métier tel qu’on l’exerce au quotidien. » D’abord parce que, contrairement à une idée reçue, l’essentiel du travail des restaurateurs s’effectue sur place, sur les « réserves vives » (les œuvres exposées) et beaucoup moins (seulement pour 20 % ou 40 % d’entre elles selon les périodes) sur les œuvres dites « dormantes ». Parfois, il faut agir très vite, dès le retour d’une toile au musée. Les exemples récents de la Washington Gallery, qui a rapidement rapatrié ses laboratoires après avoir constaté combien leur éloignement des collections était néfaste, ou encore celui du Musée du Prado à Madrid, qui vient de se doter d’un laboratoire et d’ateliers inspirés du C2RMF, abondent en ce sens. Les personnels rappellent, en outre, que l’installation du C2RMF remonte seulement à 1995 pour le laboratoire et à 2000 pour les ateliers de restauration de Flore (pour un coût estimé à 100 millions d’euros). « Ce n’est pas un hasard si le C2RMF a été installé au sein du Louvre ; si on éloigne le laboratoire du musée, cela ne peut pas marcher », souligne l’un de ses chercheurs, précisant que seuls les ateliers de la Petite Écurie du roi à Versailles nécessitent une rénovation de fond.
La polémique ranime par ailleurs de vieilles tensions entre les chercheurs et les restaurateurs du C2RMF, une section moins bien dotée. « Il y a tout de même un paradoxe : alors que la cadence des prêts, notamment à l’étranger, s’accélère, le nombre des restaurateurs du C2RMF diminue, relève l’un d’eux. On a des ateliers avec un seul restaurateur qui assume les fonctions de deux ou trois personnes ! » Concrètement, le nombre de restaurateurs est passé en dix ans de vingt et une à onze personnes, et ce, souvent au bénéfice des postes de chercheur. Nombreux sont ceux à y voir la volonté de privatiser une profession fragile et, progressivement, de transformer la mission publique de restauration en une activité commerciale. « Pour que les bons choix de restauration soient faits, il faut que ce soit à titre gracieux, et éviter à tout prix de rentrer dans un rapport de client à prestataire. C’est malheureusement ce qui se profile avec le futur centre, qui a pour intention de faire payer, à plus ou moins long terme, son expertise aux structures publiques qui viendront le solliciter. » Si l’idée d’aménager un grand centre pour l’étude et la préservation des œuvres d’art est séduisante, n’aurait-il pas été plus judicieux de définir au préalable un programme scientifique solide ?
La nouvelle n’a pas pu être tenue longtemps secrète : grâce aux travaux réalisés conjointement par le Centre de recherche et de restauration des musées de France et le CNRS, trois dessins inédits ont été découverts au revers d’un des tableaux les plus célèbres de Léonard de Vinci conservé au Musée du Louvre, La Vierge avec l’Enfant Jésus et sainte Anne. À l’occasion des réexamens récemment menés sur les tableaux du maître italien, un conservateur a remarqué deux dessins, peu visibles, représentant une tête de cheval (18 cm de haut) et une moitié de crâne (16,5 cm). La caméra réflectographique infrarouge a aussi révélé un Enfant Jésus jouant avec un agneau. C’est le premier exemple, pour Léonard, de dessins exécutés au revers d’un tableau. Une journée publique consacrée aux recherches menées sur son œuvre sera organisée à l’auditorium du Musée du Louvre en juin 2009.
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Science sans conscience
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : Science sans conscience