Ruth Noack, curatrice de la Documenta 12, dévoile les coulisses de cette édition qui s’articule autour de trois questions essentielles : la modernité, la vie, l’éducation.
La douzième édition de la Documenta, l’une des plus importantes expositions d’art contemporain, qui a lieu tous les cinq ans à Cassel en Allemagne, ouvre ses portes le 16 juin dans sept lieux différents. Peu de chose a filtré de cette 12e édition, organisée par l’artiste et curateur basé à Vienne, Roger M. Buergel, et sa compagne, la curatrice Ruth Noack. Seuls quelques noms d’artistes participants ont été révélés. Ces derniers ont eu pour thèmes imposés les trois leitmotivs suivants : « Modernité ? La modernité est-elle notre Antiquité ? », « La vie ! Qu’est-ce que la vie tout court ? » et « Éducation : que doit-on faire ? ». Le duo espère attirer, aux dires de Ruth Noack, plus de 650 000 visiteurs. Certains des sponsors des éditions précédentes, parmi lesquels Deutsche Telekom, et DB, les chemins de fer allemands, n’ont pas renouvelé leur mécénat, aussi les organisateurs ont-ils imaginé de nouveaux modèles pour récolter des fonds, tels l’« Initiativkreis », un cercle de mécènes qui comprend, entre autres, l’industriel et collectionneur allemand Arend Oetker et la créatrice de mode italienne Miuccia Prada. Grâce aux dons de ces derniers, les organisateurs ont recueilli 3 millions d’euros supplémentaires pour la construction du pavillon Aue, une structure temporaire en verre conçue par les architectes français Lacaton & Vassal à côté du palais de l’Orangerie (lire l’encadré). Ruth Noack confie quelques aspects de l’exposition.
Quelle somme représente le budget de Documenta 12 ?
Le budget officiel de 19 millions d’euros est un chiffre prévisionnel. Cette somme est répartie entre la recette attendue de la billetterie (le billet d’entrée s’élève à 18 euros) et les financements de la Ville et des entités fédérales et locales. Nous disposons de seulement 2 millions d’euros pour les coûts de production et notamment ceux des œuvres des artistes. En fait, cela n’est pas grand-chose.
Pourquoi cultiver tous ces secrets autour de l’exposition ? Est-ce une stratégie marketing ?
Je ne pense pas que nous ayons besoin de faire beaucoup de marketing : la capacité d’accueil de la Documenta 12 est estimée à environ 650 000-700 000 visiteurs. S’il devait y avoir plus de visiteurs, cela poserait problème ! Ce qui est important à nos yeux est que l’exposition ne se concentre pas sur des individualités. Il ne s’agit pas de l’artiste x…, y… ou z… qui se trouvent dans des salles séparées avec chacun leur propre petite rétrospective. Il s’agit plutôt d’établir des connexions et d’offrir un contexte à des œuvres spécifiques, les unes par rapport aux autres, et ceci n’a de sens que lorsqu’on le voit vraiment devant soi.
Quel est le concept de l’exposition ?
Lorsque Roger [M. Buergel] a été nommé directeur artistique et m’a demandé d’être curatrice, nous nous sommes trouvés tous les deux, dans un certain sens, un peu idiots. Nous étions déjà spécialisés en art contemporain, en « art d’avant-garde », [en travaillant] sur des expositions internationales d’art occidental. Puis, nous nous sommes mis à voyager et à parler avec beaucoup de gens, en tentant de nous informer sur ce qui se passait sur la scène artistique d’un point de vue global. Au bout d’un moment, nous avons réalisé qu’il était important de trouver un terrain d’entente. Nous avons essayé de déterminer des sujets, des thèmes qui nous permettraient de parler de l’exposition avec des artistes du monde entier, et pas seulement de Berlin ou Milan, Londres ou New York. Et nous avons pensé à trois thèmes ou trois questions : la modernité, la vie, l’éducation. Ils ont tous des significations [différentes] selon l’endroit où l’on se trouve, mais il existe un terrain d’entente sur lequel on peut discuter des différences et des similitudes. Ces trois questions sont en quelque sorte des principes aptes à définir l’exposition avant qu’elle n’existe, nous guidant sans pour autant être trop exclusifs.
Comment votre exposition s’apparente-t-elle aux Documentas précédentes et comment s’insère-t-elle dans le paysage surpeuplé des biennales internationales ?
Le rapport avec l’histoire de la Documenta nous est très cher, surtout avec l’origine de la manifestation en 1955 ; cette tentative de créer un public [pour l’art] dans l’Allemagne post-1945 était un tournant historique. J’ai vraiment adoré la Documenta X, de Catherine David, en 1997 ; il y avait des œuvres magnifiques et l’exposition n’avait pas été bien considérée, surtout rétrospectivement. Plusieurs artistes invités étaient alors inconnus et ils sont depuis devenus très importants. La dernière Documenta, avec sa perspective post-coloniale, a été nécessaire, mais elle était un peu trop orientée vers le marché. Elle a néanmoins reçu un très bon accueil de la part du public, les visiteurs étaient satisfaits de voir des œuvres d’art provenant d’autant de pays différents. D’une certaine manière, ces deux expositions étaient en phase avec leur époque. Les biennales nous importent peu, elles sont d’un genre complètement différent. En gros, elles dépendent de la stratégie marketing d’une ville et ne concernent pas vraiment l’art. Elles relèvent aussi du tourisme artistique global, elles sont devenues des lieux de rencontres pour les gens de la jet-set. Le problème avec la plupart des biennales, c’est qu’elles disposent d’un temps de préparation réduit et qu’elles se trouvent dans l’impossibilité de prendre des risques, alors que Cassel a toujours été un endroit où l’on peut faire des expériences et redéfinir les modalités. Je crois que c’est ce que nous sommes en train de faire, nous insistons sur la production plutôt que sur la représentation, et nous prenons des risques, que ce soit avec le programme éducatif ou avec l’architecture. Mais nous pouvons très bien échouer !
Du 16 juin au 23 septembre, Documenta et Musée, Fridericianum Veranstaltungd-GmbH, Friedrichsplatz 18, Cassel, tél. 49 561 70 72 70, www.documenta.de, wwwfri dericianum-kassel.de
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Ruth Noack : « Nous prenons des risques »
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Abonnez-vous dès 1 €Inspiré du Crystal Palace, le pavillon Aue est aujourd’hui orphelin. Les architectes français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal se sont entièrement désolidarisés de leur création, une structure de verre conçue spécialement pour la Documenta 12. Le duo avait imaginé une structure aérienne, toute en transparence, entièrement pensée dans l’esprit du développement durable. Or l’idée d’une circulation naturelle de l’air a dû faire place, par souci de conservation des œuvres exposées, à une armada d’appareils de climatisation et à la fermeture hermétique du bâtiment. « Nous avons alerté le directeur de la Documenta sur le fait que le bâtiment ne correspondait plus à notre projet initial. […] Rien n’a été fait, nous a déclaré Jean-Philippe Vassal. Nous savons ce qu’est un musée, ce qu’est la conservation d’une œuvre d’art. La Documenta ne nous a pas fait confiance et a préféré des solutions standard, plus grossières, pour assurer les conditions de conservation. […] Il existe pourtant des solutions plus fines, plus légères et plus écologiques. » De l’originalité de cette structure temporaire, les organisateurs de Documenta n’ont finalement retenu que le bénéfice des 12 000 mètres carrés supplémentaires. M. M
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°261 du 8 juin 2007, avec le titre suivant : Ruth Noack : « Nous prenons des risques »