Dans une histoire, dans un voyage, dans une exposition, il existe toujours un instant, un moment privilégié.
Dans l’aventure des 80 ans de publicité Citroën, qui donne lieu aujourd’hui à une exposition et à un livre, le moment privilégié se fond dans les « années Delpire » qui couvrent la décennie 1960-70. Les années Delpire, c’est-à-dire celles où Robert Delpire, ancien étudiant en médecine, ancien international universitaire de basket, pétri d’humour, d’élégance et d’esprit critique, tout jeune éditeur, va révolutionner la publicité.
Ce qu’il produit pour Citroën et, spécifiquement, pour la 2 CV et la DS, est tout simplement époustouflant. Des brochures, des plaquettes, des annonces, des affiches... avec lui-même en directeur artistique et directeur littéraire et avec aux crayons et aux appareils, de tous jeunes gens à peine connus : André François, Alain Le Foll, Michel Quarez, William Klein, Marc Riboud, André Martin, Sarah Moon, Régis Pagniez, Philip Hartley, Roland Topor... Le choc est tel, tout va si vite, que dès 1965, le Musée des Arts décoratifs de Paris, sous la houlette de François Mathey en expose l’essentiel. Une première dans l’histoire d’un musée français. Mais Delpire est un habitué des premières. Neuf, la revue qu’il crée en 1958, encore étudiant en médecine, voit défiler les plus grands photographes, de Henri Cartier-Bresson à Brassaï en passant par Izis, René Burri ou encore Inge Morath. De la même manière, en publiant Les Américains de Robert Franck puis Les Gitans de Joseph Koudelka, il fait découvrir au monde deux géants de la photographie, de ceux qu’il aime passionnément, ceux qui ont non pas un œil mais un regard, ceux qui ne donnent pas seulement à voir mais à penser à ce qu’ils ont vu... Éditeur, galeriste, producteur de films (de William Klein et de Joris Ivens entre autres), publicitaire, directeur artistique, (on lui doit notamment le logo et la première maquette de L’Œil), Robert Delpire est avant tout un « œil aux aguets », un « œil qui travaille » et qui sait mieux que nul autre, avec une subtilité aristocratique et un esprit artistique rares, organiser le spectacle de la beauté intelligente. Au fil du temps, Delpire continue de découvrir (il est le premier à se pencher sur les travaux de Jacques-Henri Lartigue), de publier (il reçoit le tout premier Prix Nadar pour Le Japon de Werner Bischof), d’exposer, de produire, de caresser les yeux de tous ceux qui se passionnent pour le signe, l’image, l’imprimé...
En 1982, on lui confie la création du Centre national de la Photographie où il expose sa vision panoramique, multiple, éclectique (mais toujours rigoureuse) de la photographie : de Rodtchenko à Wee Gee, de Stieglitz à Natchwey, de Curtis à Depardon... En 15 ans de CNP, Delpire aura organisé 160 expositions et publié 78 titres dans la collection Photopoche qu’il y a créée. « Moi, ce qui me plaît dans une photographie, c’est le silence », confie cet homme courtois et disert mais peu enclin à l’épanchement. Ni graphiste, ni auteur, ni photographe, ni cinéaste, ni scénographe, Robert Delpire maîtrise néanmoins parfaitement la nature, le sens, les arcanes, les techniques, le contenu et la forme de tous ces métiers. Incomparable, exemplaire, orgueilleux et modeste tout à la fois, animé par le goût du risque et convaincu qu’il n’y a pas d’art sans éthique, Robert Delpire est inqualifiable. À moins que le terme de directeur artistique n’ait été inventé pour lui.
PARIS, Musée de la Publicité, jusqu’au 28 janvier, livre éd. Hoëbeke, 220 F.
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Robert Delpire, l’œil comme métier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°520 du 1 octobre 2000, avec le titre suivant : Robert Delpire, l’œil comme métier