Au cours du dernier congrès de l’International Institute for Conservation of Historic and Artistic Works, à Dublin, Cecilia Frosinini et Roberto Bellucci ont prononcé une allocution très remarquée sur Piero della Francesca. Une analyse technique de l’œuvre de cette figure majeure du XVe siècle italien leur a permis d’étayer l’hypothèse d’un voyage dans les Flandres. Autre révélation récente sur le Quattrocento, le célèbre manuel de Cennino Cennini dériverait en fait d’un texte antérieur.
FLORENCE - En étudiant attentivement la peinture de Piero della Francesca, Cecilia Frosinini et Roberto Bellucci ont découvert deux phénomènes intrigants. Tout d’abord, une couche d’huile pure a été étalée sur les matériaux de préparation des polyptyques des Agostiniani et de Sant’ Antonio, la Flagellation et le Retable de San Bernardino, tandis qu’elle est absente dans une œuvre de jeunesse, le polyptyque de la Miséricorde. D’autre part, on retrouve chez Piero la technique des “contours en creux” : une très fine ligne d’apprêt non peinte est laissée entre les personnages et le fond afin d’exalter le volume des premiers. Ce procédé très particulier est si délicat à acquérir qu’il suppose un contact direct entre l’artiste italien et un atelier travaillant d’après cette technique – alors typiquement flamande –, et écarte l’hypothèse d’une simple transmission orale.
Ces observations amènent leurs auteurs à conclure que Piero della Francesca s’est bel et bien rendu aux Pays-Bas. L’idée n’est pas neuve, mais aucune preuve décisive ne venait l’étayer jusqu’à présent. S’appuyant sur des documents, Cecilia Frosinini et Roberto Bellucci avancent même une date pour ce séjour : 1458, après le polyptyque de la Miséricorde et avant celui des Agostiniani. Le peintre abandonne alors à son frère Marco la pleine possession de tous ses biens, comme il était d’usage à l’époque lorsqu’on entreprenait un voyage long et périlleux. D’ailleurs, des textes relatifs au fonctionnement de l’atelier de Piero montrent qu’il est légalement représenté par ses frères, Marco et Antonio, en raison de ses absences répétées de Sansepolcro.
Cennino Cennini plagiaire ?
La validité de cette étude réside largement dans la confrontation entre l’examen scientifique des œuvres et de rares sources écrites. Or l’une des principales sources de l’histoire des techniques artistiques, le célèbre Libro dell’Arte de Cennino Cennini, pourrait se révéler beaucoup moins fiable qu’on ne le croyait. On savait déjà que ce peintre héritier de la tradition giottesque par son maître Agnolo Gaddi, actif entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle, relatait des méthodes un peu antérieures aux procédés de ses contemporains. Mais une récente enquête de Sandro Baroni publiée dans les Annales de la Faculté de Lettres et de Philosophie de l’Université des Études de Milan, vol. LI, où l’auteur compare ce texte avec un autre du début du Quattrocento, montre l’existence d’une source commune antérieure, peut-être latine. Plutôt qu’un manuel technique, le Libro dell’Arte serait donc une réécriture élaborée. Il s’agit maintenant d’approfondir les recherches, afin de mieux comprendre “pour qui il a été écrit, avec quelles intentions et dans quel contexte culturel”.
Giorgio Bonsanti, Surintendant de l’Opificio delle Pietre Dure de Florence
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Révélations en série sur le Quattrocento
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : Révélations en série sur le Quattrocento