L’action judiciaire intentée par le vendeur du Cranach contre ses anciens partenaires vient d’être rouverte par un juge, révélant ainsi des péripéties inattendues.
PARIS - La Vénus au voile est au cœur d’une autre affaire, que vient bousculer la procédure pénale en cours. Saisie le 1er mars 2016 à Aix-en-Provence par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels dans une exposition à l’hôtel de Caumont consacrée aux collections du prince de Liechtenstein, l’œuvre a connu auparavant et en moins d’une année une étonnante fortune. En quatre transactions rapprochées, son prix a été multiplié quatorze fois et son attribution, à l’origine incertaine, a été confirmée par les intermédiaires concernés. Il n’en fallait pas davantage à l’ancien propriétaire, Giuliano Ruffini, pour qu’il saisisse la justice civile, le 2 mai 2014, contre deux intermédiaires impliqués. Le but de la manœuvre consistait à obtenir leur condamnation solidaire au paiement de 3,2 millions d’euros, montant équivalent à la somme versée par la galerie londonienne Colnaghi avant la revente expresse fin 2013 au prince de Liechtenstein pour plus du double. Encore fallait-il prouver que les intermédiaires aient agi contre ses intérêts par des manœuvres dolosives notamment en se prévalant de la qualité de propriétaire, qualité contestée par Giuliano Ruffini, et non de mandataires chargés de vendre pour son compte le tableau.
Toute cette affaire promettait de passionnantes plaidoiries lors de l’audience fixée au 22 septembre. Mais le juge de la mise en état en a décidé autrement, le 30 juin, lorsqu’il a été saisi, un mois après la perquisition, d’une demande en réouverture des débats par le dernier intermédiaire. La demande de Giuliano Ruffini étant fondée sur le prix de vente de l’œuvre, la saisie pénale du tableau « constitue un motif grave » devant, selon le tribunal, permettre les parties d’être « en mesure de débattre des conséquences de cet élément nouveau ». L’éventuelle désattribution de La Vénus au voile à Cranach l’Ancien modifierait, en effet, profondément les termes de cette affaire parallèle. Le dernier acquéreur pourrait alors solliciter la nullité de la vente réalisée, entraînant à sa suite une cascade de remises en cause. Les intermédiaires seraient ainsi amenés à rembourser la galerie Colnaghi et à se retourner l’un contre l’autre, puis contre le premier maillon existant de la chaîne, Giuliano Ruffini. Ce dernier, au lieu de récupérer les sommes espérées, se retrouverait alors à rembourser son ancien partenaire – qu’il accuse aujourd’hui !
Des ventes en cascade
La décision, bien que sommaire, permet de retracer les détails des aventures contractuelles de l’œuvre. En novembre 2012, Giuliano Ruffini confie à un intermédiaire, via sa société basée au Delaware – État américain souvent qualifié de paradis fiscal –, le soin d’expertiser et de vendre l’huile sur panneau de bois attribuée alors à Cranach l’Ancien. L’œuvre fut ensuite confiée – sans succès – à Christie’s, trois rapports d’expertise laissant planer un doute sur son authenticité. La transaction fut alors réalisée, en janvier 2013, avec mention d’un tel aléa, au profit du second intermédiaire, basé en France et ayant eu lui aussi recours à une société américaine, pour 510 000 euros. L’intervention non plus comme mandataire mais comme acheteur intermédiaire de la première société américaine semble débattue.
Quoi qu’il en soit, le 21 mars de la même année, le tableau trouvait à nouveau acquéreur, cette fois-ci pour 3,2 millions d’euros, en la personne de Konrad Bernheimer pour le compte de sa galerie, avant la revente finale au prince du Liechtenstein.
Mais, entre-temps, « l’aléa » qui pesait sur l’attribution s’est curieusement évaporé. Selon le premier intermédiaire, à la suite des conclusions des trois premiers experts, Giuliano Ruffini aurait « refusé de poursuivre ces expertises, qui auraient permis, si elles avaient conclu à l’authenticité de l’œuvre, de la vendre plus cher ». Et cette authenticité n’est, étonnamment, aujourd’hui débattue par aucune des parties. Giuliano Ruffini expose lui-même qu’il « y a lieu de rappeler que la toile a fait l’objet de plusieurs expertises effectuées par les plus grands experts spécialistes de l’œuvre de Cranach et qu’aucun n’a remis en cause son authenticité ». Si l’analyse tant attendue du Laboratoire de recherche des musées de France peut lever un… voile sur l’authenticité de l’huile sur panneau, d’autres zones d’ombre demeurent, qu’elles soient relatives à l’origine de l’œuvre, à son exportation hors du territoire national ou encore à l’authentification réalisée par trois historiens de l’art dans un délai aussi bref.
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Révélations dans l’affaire du Cranach
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Abonnez-vous dès 1 €Attribué à Lucas Cranach, Vénus, 1531, huile sur panneau, 387 x 24,5 cm, Collection des Princes de Liechtenstein, Vaduz/Vienne. © Liechtenstein. The Princely Collections, Vaduz-Vienna
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : Révélations dans l’affaire du Cranach