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Rester ou non sur X, un dilemme pour les acteurs culturels

Par Christine Coste et Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 14 février 2025 - 1576 mots

Avec l’arrivée au pouvoir, aux côtés de Donald Trump, d’Elon Musk, comment les musées et galeries qui ont développé de larges communautés sur le réseau social X réagissent-ils aux prises de position extrémistes de son propriétaire ?

Giovanni de Min (1786-1859), Le choix d'Hercule (détail), 1812, huile sur toile, 225 x 162 cm, Galerie dell'Acamedia de Venise. © Didier Descouens, 2023, CC BY-SA 4.0
Giovanni de Min (1786-1859), Le choix d'Hercule (détail), 1812, huile sur toile, 225 x 162 cm, Gallerie dell'Accademia, Venise.

France. À l’approche du jour de l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier dernier, les appels à quitter le réseau social X (ex-Twitter) n’ont eu de cesse de se multiplier. Un acte de protestation contre la désinformation et l’idéologie d’extrême droite que favorise la plateforme depuis son rachat par le milliardaire Elon Musk en 2022. Si la démarche est principalement portée par les milieux associatifs, politiques et journalistiques, la question de rester ou non sur X s’est aussi posée pour le monde de l’art.

Diverses institutions culturelles ont symboliquement quitté le réseau social le 20 janvier, de manière plus ou moins discrète. Quelques-unes ont officialisé leur départ via un communiqué, à l’instar du Musée des arts et métiers et de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), tous deux suivis par une vingtaine de milliers d’abonnés. La Ville de Paris a adopté la même ligne de conduite, déplorant « la toxicité et l’instrumentalisation politique croissante dont X fait l’objet depuis son rachat ». Son départ a entraîné, par répercussion, la fermeture des comptes de Paris Musées et de tous les musées municipaux parisiens – dont le Musée d’art moderne ou le Petit Palais, qui avaient bâti une large communauté sur X.

D’autres institutions ont préféré une publication laconique sur X qui annonce leur départ et invite à les suivre sur leurs autres réseaux. C’est le cas du Musée de Cluny, du réseau DCA des centres d’art et du CAPC-Musée d’art contemporain, lequel, comme les autres musées municipaux bordelais, affiche « compte fermé » sur décision de la Ville. Toutefois, une grande partie de ceux qui ont quitté X ne l’ont pas signalé, préférant arrêter de publier sans l’annoncer. Le Centre Pompidou, qui possède la deuxième communauté la plus importante sur X après le Louvre avec 1 million d’abonnés, confirme avoir décidé de suspendre ses publications [sans pour autant fermer son compte, lire plus bas], tout comme le Musée des arts décoratifs, le Muséum national d’histoire naturelle, le Centre des monuments nationaux (CMN) ou encore le Palais de la porte Dorée, qui fustige « une absence de modération et un mépris pour la rigueur scientifique » sur la plateforme.

Tweet du Musée Cluny annonçant son départ d'X le 20 janvier 2025.
Tweet du Musée Cluny annonçant son départ d'X le 20 janvier 2025.

Cette désertion est loin néanmoins d’être un phénomène massif. Elle n’est pas non plus nouvelle. Depuis le rachat de Twitter, un certain nombre d’institutions culturelles avaient progressivement cessé d’alimenter leur compte (les Beaux-Arts de Paris, le Festival d’Avignon, la Fondation Henri Cartier-Bresson, Le Voyage à Nantes…), ou tout du moins ralenti leur rythme de publications. L’initiative était notamment portée par des acteurs engagés sur les thématiques sociales, comme la Gaîté-Lyrique et le Palais de Tokyo qui ne publiaient plus depuis 2023 déjà malgré leur importante communauté sur X. « On l’a quitté en juillet 2024 pour des raisons éthiques mais aussi écologiques et stratégiques. Car c’était aussi le réseau sur lequel on stagnait du point de vue de notre nombre d’abonnés [72 600] », explique Flore Bonafé, directrice de la communication du Centquatre, un lieu multidisciplinaire qui, dès sa création en 2008, s’était positionné sur Twitter – « On était alors peu nombreux », relève-elle.

Tweet du CAPC Bordeaux annonçant son départ d'X le 20 janvier 2025.
Tweet du CAPC Bordeaux annonçant son départ d'X le 20 janvier 2025.

La décision de quitter X reste surtout le fait d’institutions qui y étaient peu suivies – tout du moins comparativement à leurs autres réseaux – ou enregistraient une baisse d’engagement avec leur communauté. « Les échanges étaient moins nombreux et de plus en plus dégradés », constate le Musée de Cluny, qui a « pris le temps de peser les conséquences de cette décision » puisque Twitter a été le « premier réseau social sur lequel le musée a développé une communauté numérique, et celui qui rassemble le plus grand nombre d’abonnés [86 000] ». Ce désinvestissement croissant, le CMN (87 000 abonnés) le constate aussi : « Depuis 2022, les audiences ne sont plus au rendez-vous, les sujets culturels n’ont plus la faveur des algorithmes et nos abonnés les plus investis et passionnés du début ont déserté la plateforme. »

À cette tendance s’ajoutent les réserves vis-à-vis du format même de X. Vanessa Cordeiro, co-déléguée générale du Comité professionnel des galeries d’art, constate que « la fréquence des posts requise par un réseau comme X et l’immédiateté dans l’utilisation n’est pas ce qui [leur] correspond le mieux ». Le Voyage à Nantes pointe de son côté « le nombre restreint de caractères [qui] contraignait à des publications dont le texte et le propos étaient forcément réduits », et donc peu adaptés à « une contextualisation et une pédagogie nuancées ». D’autres, à l’inverse, apprécient l’efficacité de X dans « les cas de communication d’urgence ». Ainsi le Grand Palais-RMN (785 000 abonnés), qui a suspendu ses publications, a-t-il engagé un débat en interne sur sa présence sur X.

Fermer son compte, une décision difficile

Quitter X ne signifie cependant pas supprimer son compte. Si quelques structures l’ont bel et bien fait – le Mémorial de Caen, Les Rencontres d’Arles, le Musée des beaux-arts de Lyon, la Fondation Henri Cartier-Bresson –, la plupart ont juste stoppé leurs publications. Car clôturer son compte, opération délicate pour un musée à forte communauté, comporte aussi un risque d’usurpation de son identité, comme le soulignent les Beaux-Arts de Paris ou le Centre Pompidou ; ce dernier suspend ses publications mais son compte X « reste ouvert afin de protéger la marque ».

La sauvegarde de la communauté et de l’archive est également une question qui se pose à tous. « Un temps important a été investi pour construire un profil. Ce n’est pas un travail que l’on peut suspendre et supprimer sans en penser les conséquences : il importe de réfléchir à l’archivage des données et de s’assurer de ne pas perdre intégralement l’accès à une communauté qui s’est construite dans la durée », souligne Marie Chênel, directrice de DCA. La proposition de la plateforme HelloQuitteX de transférer ses données et ses abonnés notamment vers Bluesky est reçue pour l’instant avec prudence. « Il est important d’observer ce réseau et d’en connaître les codes, d’évaluer son développement afin de mesurer l’opportunité d’ouvrir et surtout d’animer de nouveaux comptes. D’autres plateformes existent (Threads, Mastodon…), il faut veiller à être en capacité d’investir un nouveau réseau avec des moyens qui devront être mobilisables dans la durée pour réussir à reconstruire une communauté entièrement », explique Agnès Benayer, directrice du développement, de la communication, des publics et du numérique de Paris Musées.

Les raisons de rester sur X

Cette communauté constituée, ils sont nombreux à ne pas vouloir la perdre. Surtout quand elle est importante, que leur nombre d’abonnés croît et que l’institution a engagé des moyens humains et financiers à cet effet. Le Musée du quai Branly, qui reste sur X, le souligne : « En presque quinze ans, nous avons bâti une audience de qualité et importante en volume [301 200 abonnés]. Ce résultat a demandé des moyens. Nous ne souhaitons donc pas nous couper de cette audience. » Quitter X, c’est perdre en effet un canal de communication. Pas question pour le Louvre qui, avec 1,57 million d’abonnés, enregistre un chiffre record en France. Pas davantage pour France Culture (935 700), le Musée d’Orsay (749 200), le château de Versailles (496 000), la galerie Gagosian (374 400), la Philharmonie de Paris (347 700) ou la Bibliothèque nationale de France (245 800), qui continuent d’être actifs sur le réseau social. Mais le Muséum national d’histoire naturelle (46 700) ou l’Institut du monde arabe [IMA] (41 000), au nombre d’abonnés bien moindre, tout autant.

Pour l’IMA, rester sur X « tient à la fois de l’activité de l’Institut et de la philosophie de Jack Lang [son président], fervent défenseur de la liberté d’expression pour qui il s’agit de ne pas rompre le fil avec ceux avec lesquels on ne partage pas les mêmes opinions ». En novembre 2024, Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, s’est exprimée publiquement sur la présence « nécessaire » de ses antennes sur X afin de pouvoir « continuer de parler aux 18 millions de Français présents sur ce réseau ». Une position dans la droite ligne de celle du ministère de la Culture : « La communication gouvernementale et étatique se doit de rester proche des pratiques d’information des citoyens et de maintenir un contact direct avec eux, déclare-t-il au Journal des Arts. Y maintenir une présence active est donc important pour garantir une parole publique et institutionnelle accessible au plus grand nombre. C’est la position que le ministère partage avec le service d’information du gouvernement. » Et la Rue de Valois de relever que ces profils variés que touche X : « journalistes et professionnels des médias, relais d’opinion et décideurs, le grand public engagé dans le débat public », ne sont« pas nécessairement actifs sur d’autres réseaux sociaux ».

Le château de Chambord, qui enregistre un fort taux d’audience américaine sur ce réseau, le souligne : « X offre une opportunité de renforcer notre visibilité auprès des décideurs, institutions et grandes entreprises, ouvrant la voie à des partenariats stratégiques, du mécénat ou des projets de grande envergure. »« Demain, si vous avez une migration massive de journalistes pour des raisons diverses et variées vers un autre réseau social, je pense qu’on se reposera la question de notre présence sur X », reconnaît de son côté l’IMA. D’autres comme la BNF ou le Quai Branly suivront les directives du ministère de la Culture. Tandis que pour le Jeu de paume, la question fait partie des réflexions en interne mais « pour l’instant aucune décision n’a été prise ». Les mois à venir diront si le mouvement se poursuit et fait boule de neige.

Tableau des acteurs culturels (musées, établissements, etc.) et de leurs nombres d'abonnés aux réseaux sociaux (X, Facebook et Instagram) © Le Journal des Arts, 2025
© Le Journal des Arts, 2025

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°649 du 14 février 2025, avec le titre suivant : Rester ou non sur X, un dilemme pour les acteurs culturels

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