Le Journal des Arts : Allez-vous modifier le périmètre et les missions du ministère de la Culture ?
Nicolas Sarkozy : Le ministère de la Culture a aujourd’hui le périmètre le plus important de son histoire, puisque je lui ai rattaché en janvier 2010 les services de la direction du Développement des médias, qui dépendaient autrefois du Premier ministre. Ce périmètre est cohérent puisque le ministre dispose désormais de tous les leviers nécessaires en matière de Culture et de Communication, deux compétences indissociablement liées puisque c’est notamment sur les réseaux numériques, circuit de diffusion et de distribution dont l’importance sera sans cesse croissante, que se jouera l’avenir de la création.
La question n’est donc plus celle du périmètre, mais celle de savoir si le ministère dispose, au sein de son administration et de ses opérateurs, de toutes les ressources et de l’expertise – économique, technologique et juridique – indispensables pour faire face à la nouvelle donne numérique. La France est le seul pays du monde à avoir fait le choix de confier la question du droit d’auteur à son ministère de la Culture, et non pas au ministère de la Justice ou de l’Économie comme dans les autres pays. Le ministère donc doit se saisir pleinement de cette compétence et lui affecter les moyens que son exercice requiert.
JdA : Si vous êtes réélu, allez-vous diminuer, conserver ou augmenter, et dans quelles proportions, le budget de la mission « Culture ». Dans cette dernière hypothèse comment allez-vous financer cette augmentation ?
N. S. : Pendant mon quinquennat, malgré une série de crises sans équivalent depuis 1945, le budget du ministère de la Culture a été plus que sanctuarisé. Par exemple pour le programme « Création », les crédits sont passés de 696 M€ dans la loi de finances pour 2007 (votée avant mon accession à la présidence) à 785 M€ dans la loi de finances rectificative pour 2012. Cela fait une hausse de 13 % en cinq ans, soit davantage que l’inflation. Si les ressources de certaines institutions du spectacle vivant ont baissé, c’est donc du fait de la baisse de subventions des collectivités locales, qui sont très majoritairement acquises à l’opposition. Pour le programme « Patrimoine », on est passé au cours de la même période de 735 à 838 M€, soit une hausse de 14 %. Et je ne compte pas les taxes affectées comme celle du Centre national des variétés ou celle de l’Association de soutien au théâtre privé, qui viennent s’ajouter aux crédits budgétaires, et dont le total a augmenté encore davantage. Tous secteurs et toutes ressources confondus (Culture et Communication, y compris les taxes affectées) les ressources du ministère sont passées de 6 838 M€ à 8 208 M€, soit 20 % exactement. Pour l’avenir, j’ai l’intention de continuer à « sanctuariser » les crédits du ministère de la Culture, car j’ai la certitude que la Culture constitue la réponse française à la crise. En effet, cette crise est globale : il s’agit d’une crise économique, mais aussi d’une crise des valeurs et d’une crise sociale. La Culture, à la fois facteur de dynamisme économique, d’attractivité des territoires, de cohésion sociale, de transmission des valeurs, apporte une solution tout aussi globale.
JdA : Avez-vous prévu de lancer la construction d’un ou de plusieurs grands équipements culturels au cours de votre quinquennat ? Si oui, comment allez-vous la financer ?
N. S. : Le rythme de conception et de mise en œuvre des grands projets culturels ne s’est pas raccourci, à la différence de la durée du mandat du président de la République. Au cours de mon premier mandat, j’ai pu financer et achever le Centre Pompidou-Metz, lancé par mon prédécesseur, les Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine (300 M€) et le Palais de Tokyo qui ouvrira dans les tout prochains jours. Mais la plupart des autres nombreux projets que j’ai lancés n’ouvriront au public qu’au cours des cinq prochaines années : je pense au département des Arts de l’Islam du Louvre (septembre 2012), au Louvre-Lens (2013), au MuCEM ([Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille] 2013), à la Philharmonie de Paris (2014), à la Maison de l’histoire de France (2015). Je veux poursuivre la politique de « délocalisation » des grands établissements nationaux. J’ai cité le Musée d’Orsay, qui pourrait structurer un « axe impressionniste » autour de la Seine, de Paris à la Manche. Mais je veux également que l’on tire toutes les leçons de l’extraordinaire expérience du Centre Pompidou mobile : ne pourrait-on concevoir des « modules » de la collection du Centre, très riche, qui seraient accueillis pendant quelques années dans des lieux de la région parisienne ?
JdA : Allez-vous maintenir la Maison de l’histoire de France ?
N. S. : L’immense succès remporté par la première exposition hors les murs de la Maison de l’histoire de France, celle des plans-reliefs au Grand Palais, qui a accueilli 140 000 visiteurs en un mois, a conforté mon analyse. Les Français ont envie d’une institution qui assure le lien entre le « goût pour l’histoire » du public et la recherche historique, et qui fédère en un réseau cohérent les musées d’histoire et, au-delà, les différentes institutions dédiées à la diffusion de l’histoire. Avec sa présidente Maryvonne de Saint-Pulgent et son comité d’orientation scientifique présidé par Jean-Pierre Rioux, la Maison de l’histoire de France dispose d’une équipe à la fois légitime et compétente. Et, j’ai approuvé un programme qui permet d’assurer une répartition à la fois efficace et consensuelle du quadrilatère des Archives entre les deux institutions qui l’animeront : la Maison de l’histoire de France et les Archives nationales.
JdA : Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour rendre la culture plus accessible à ceux qui en sont éloignés ?
N. S. : J’ai pris une décision capitale en matière de démocratisation culturelle : la gratuité dans les musées et les monuments, qui a déjà bénéficié à plus de 4 millions de jeunes et d’enseignants. Ensuite, parce que l’accès aux œuvres c’est aussi la proximité physique, je suis le premier président de la République à avoir veillé à implanter ses grands projets culturels sur tout le territoire, souvent dans des zones déshéritées ou en rénovation : le Louvre-Lens, le Centre Pompidou-Metz, le MuCEM, les Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, le Centre Pompidou mobile… Je poursuivrai dans ces différentes voies. J’ai déjà cité le Musée d’Orsay en Normandie, et le Centre Pompidou qui pourrait essaimer en région parisienne.
Par ailleurs, le Grand Paris doit impérativement avoir une dimension culturelle : je veux non seulement placer les architectes au cœur de ce projet, mais je veux aussi le doter d’une identité visuelle (comme en leur temps les bouches de métro de Guimard) grâce à un dispositif de type « 1 % culturel ».
Parce que les ateliers d’artistes favorisent non seulement la diffusion de la culture, mais aussi la mixité dans les quartiers, leur insertion sera systématique dans toutes les opérations du prochain plan national de rénovation urbaine. Le projet de « tour Médicis » à Clichy-Montfermeil [quartier situé entre Montfermeil et Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)], que Frédéric Mitterrand a conduit avec brio, préfigurera ce programme en accueillant dès 2014 des artistes en résidences et des ateliers.
Enfin, je pense que les établissements scolaires ont un rôle essentiel à jouer. C’est pourquoi l’opération « Ciné Lycée », qui permet d’accéder gratuitement à plusieurs centaines de films de notre patrimoine cinématographique, vient d’être élargie à tous les arts pour devenir « Culture Lycée ». Les élèves auront donc accès, grâce à la plateforme Internet mise en place par France Télévisions, à des visites virtuelles d’expositions et à des captations de spectacles de théâtre, de musique et de danse.
JdA : Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour favoriser l’enseignement de l’histoire de l’art dans les lycées et collèges ?
N. S. : J’ai déjà pris une mesure extrêmement concrète : j’ai généralisé l’histoire des arts dans les collèges et les lycées et, depuis l’an dernier, cet enseignement est sanctionné par une épreuve obligatoire au brevet des collèges. Je veux poursuivre dans cette voie avec une épreuve au baccalauréat. La formation des enseignants sera un enjeu capital. C’est notamment pourquoi la France a créé en 2011 le premier « Festival de l’histoire de l’art », qui offre aux professionnels, aux étudiants et aux simples amateurs une série unique au monde de rencontres à la fois scientifiques, pédagogiques et festives.
JdA : Comment augmenter la notoriété internationale de nos artistes contemporains ?
N. S. : Le Palais de Tokyo, dont j’ai confié la direction à Jean de Loisy, ouvrira au public dans les tout prochains jours. Il s’agira du plus grand centre d’art d’Europe, voire du monde, avec près de 25 000 mètres carrés au cœur de Paris. La valorisation de la scène française sera une priorité essentielle dans la programmation du Palais. Cet équipement que les artistes et les galeristes nous réclamaient depuis des décennies, le voilà enfin réalisé.
L’autre façon de valoriser la notoriété de nos artistes, c’est d’avoir un marché de l’art dont les mécanismes et les institutions fonctionnent bien. J’y ai veillé notamment avec une loi de juillet 2011, par laquelle j’ai enfin mis au niveau des standards internationaux la réglementation de nos ventes aux enchères. La FIAC [Foire internationale d’art contemporain] et Paris Photo n’ont jamais eu un tel succès et le printemps voit une floraison de manifestations comme Art Paris et le Salon du dessin, le Salon du livre.
JdA : Comment encourager les collectionneurs ?
N. S. : Les collectionneurs jouent un rôle essentiel, qui n’est jamais assez mis en valeur. Leurs passions privées rejoignent l’intérêt général : ne sont-ils pas les premiers donateurs de nos musées ?
La dation en paiement n’a-t-elle pas représenté la moitié de l’enrichissement des collections publiques au cours des quarante dernières années ? Je crois profondément que l’échange entre les collectionneurs et les conservateurs de nos musées est un facteur essentiel d’enrichissement réciproque.
Je m’engage donc, comme je l’ai fait au cours des dernières années, à protéger le régime fiscal de l’œuvre d’art. Je souhaite par ailleurs favoriser la multiplication des collectionneurs les plus modestes et notamment de ceux qui achètent une œuvre d’art pour la première fois. Le projet d’un prêt sans intérêt, plafonné à un montant de quelques milliers d’euros, réservé aux primo-acheteurs issus des classes moyennes, avait été avancé par la « mission Bethenod » dont de nombreuses propositions ont déjà été mises en œuvre. Je souhaite que celle-ci, inspirée du Royaume-Uni et qui suppose un partenariat avec une ou plusieurs banques, soit étudiée rapidement.
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : Réponses de Nicolas Sarkozy (UMP, Union pour un mouvement populaire)