La Fondation Gianadda à Martigny éclaire la manière et les obsessions du peintre au travers d’œuvres peu connues.
Si, il y a dix ans, l’emblématique Déjeuner des canotiers, prêté par la Phillips Collection (Washington), trônait en majesté sur les cimaises de la Fondation Gianadda, l’exposition actuelle réunit un corpus monographique équilibré, fruit des liens tissés par Léonard Gianadda et le commissaire de l’exposition Daniel Marchesseau avec institutions et collectionneurs privés.
Les deux premiers tableaux du parcours illustrent le principe de cette rétrospective : deux petites huiles en paire, Arlequin/Pierrot et Colombine, datées de 1861 et conservées dans une collection particulière, et jamais exposées. Renoir, alors âgé d’une vingtaine d’années, y expose son goût pour la peinture française du XVIIIe siècle, pour les fêtes galantes de Fragonard, les scènes charmantes de Watteau, sujets pourtant méprisés par la critique de l’époque.
L’accrochage entrelace paysages, portraits et nus féminins, des débuts à la mort du peintre en 1919 : près de soixante ans d’une carrière entrecoupée d’éclats, entre succès aux Salons officiels et désapprobation de la critique et des jurys vis-à-vis de la montée des peintres impressionnistes. L’ensemble rassemblé par Daniel Marchesseau met en lumière la méthode et les choix du peintre. Au chapitre des paysages, « Renoir a un espace intérieur clos : ce n’est pas le peintre de l’infini. Cela le différencie de Monet », explique le commissaire. À contempler Femme à l’ombrelle dans le jardin (vers 1873-1875, Museo de arte Thyssen-Bornemisza, Madrid), son cadrage serré et étudié, l’usage primordial du motif, l’assertion se confirme. L’Abreuvoir (1873, collection particulière) déploie un univers limité par les lignes d’horizon, les courbes de la topographie. La touche y magnifie les mouvements du vent, et le motif, à première vue accessoire, clôt l’espace. La peinture de plein air oblige le peintre à appréhender son pinceau sur le vif, mais ses choix sont personnels. Contrairement à Monet et Pissarro, l’homme n’aime pas l’hiver : « Pourquoi peindre la neige, cette lèpre de la nature ? », écrira-t-il.
De même qu’en matière de paysages le peintre a besoin de motifs, pour ses nus et portraits féminins, les modèles lui sont une nécessité vitale. « Il y a un aspect très littéraire dans ces nus, une forme de journal intime dans son besoin de modèle », selon Daniel Marchesseau. En 1877, il peint la beauté crépusculaire de la comtesse de Pourtalès (Musée d’art de São Paulo), presque indécente avec son bouquet de fleurs roses coincé dans le corset, dévoilant une peau diaphane. Même dans les portraits de commande, la sensualité du peintre se fait vénéneuse. Rodin sera sensible à la qualité sculpturale des nus de Renoir, achetant plusieurs toiles, dont l’une Étude de nu. Baigneuse (1880, Musée Rodin), trônera au-dessus de son secrétaire. Touches juxtaposées, couleur pure, lignes et contours fermement dessinés, cette toile étonne par sa palette chromatique presque acidulée. Dans ses années de maturité, Renoir se fera le peintre de la maternité, des courbes voluptueuses et des visages tout en rondeurs, sans que la grivoiserie ne le quitte.
Au milieu de toutes ces œuvres, une Scène de personnes (vers 1885, coll. part.) détonne : pur chromatisme, tirée de l’imaginaire du peintre, cette scène est peut-être une esquisse pour un décor abandonné. Elle témoigne d’une cassure dans l’œuvre de Renoir, fortement impressionné par son voyage en Algérie et en Italie, où il découvre une luminosité jusque-là inconnue. À Martigny, on peut donc « Revoir Renoir ».
Commissariat : Daniel Marchesseau, conservateur général honoraire du patrimoine
Nombre d’œuvres : 101
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Renoir intime
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 23 novembre, Fondation Pierre Gianadda, rue du Forum 59, Martigny, Suisse, tél. 41 27 722 39 78, www.gianadda.ch, tlj 10h-19h. Catalogue, 348 p., 37,50 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Renoir intime