Plus que tout autre artiste, Rembrandt (1606-1669) a multiplié les autoportraits, dont la plus grande partie est pour la première fois rassemblée à la National Gallery de Londres, avant le Mauritshuis à La Haye. De cet extraordinaire ensemble émerge la figure d’un peintre soucieux d’affirmer la noblesse de sa condition, et par-dessus tout celle de la peinture.
LONDRES - Véritable “biographie picturale”, les autoportraits de Rembrandt, qui ont jalonné son existence, n’ont cessé d’alimenter analyses psychologiques et bavardages littéraires, héritage d’une vision romantique de l’artiste, hors de propos dans le contexte hollandais du XVIIe siècle. La réunion de 29 peintures, 8 esquisses et 31 estampes à la National Gallery laisse au contraire la place à une véritable investigation sur ce qui constitue un genre en soi dans l’œuvre du maître. On sait que l’Autoportrait au hausse-col du Mauritshuis a été récemment déclassé au profit de celui de Nuremberg, mais le propos de l’exposition n’est pas là. Il s’agit plutôt de répondre à une question toute simple : pourquoi et pour qui Rembrandt, plus qu’aucun autre, s’est-il peint à de si nombreuses reprises tout au long de sa carrière ? Dans un de ses ultimes autoportraits, celui de Kenwood House, Rembrandt s’est représenté en peintre devant un mur orné de deux cercles énigmatiques. Après avoir endossé toutes sortes de costumes plus ou moins somptueux ou exotiques, il conclut la fabuleuse série sur cette image qui, d’une certaine manière, les résume toutes. Chaque autoportrait ne se présente-t-il pas en définitive comme une apologie du peintre et de son art ? Dans cette interprétation, sa destination n’est pas indifférente. Si les gravures de jeunesse ont sans doute été conçues comme un champ d’expérimentation dans l’étude des expressions et des caractères, les tableaux n’étaient pas réservés à un usage personnel : l’inventaire de ses biens, dressé en 1656, ne mentionne en effet aucun autoportrait dans son fonds d’atelier.
Très recherchés, les portraits de Rembrandt l’étaient encore plus lorsqu’ils offraient au collectionneur à la fois un exemple de son style et le propre visage de l’artiste, dont la renommée avait dépassé les frontières des Pays-Bas. Loin de se contenter d’une démonstration de virtuosité dans l’art du portrait, il multiplie les références à la peinture d’histoire et à la théorie de l’art. Ainsi, il se représente en saint Paul, s’invite dans l’Érection de la Croix ou la Lapidation de saint Étienne, quand il ne se figure pas sous les traits de Zeuxis, le célèbre peintre grec de l’Antiquité. Il porte parfois ostensiblement une chaîne d’or, celle-là même que l’empereur Charles Quint avait offert à Titien, marquant son aspiration à s’élever à la position acquise par les artistes en Italie aux XVe et XVIe siècles. Celle-ci restait à conquérir pour les peintres hollandais, toujours considérés comme des artisans, alors même que la faveur des princes leur signifiait la noblesse de leur art. Cet art, Rembrandt l’a porté à son apogée, donnant, grâce à sa manière unique, souvent qualifiée de “rugueuse” par ses contemporains, cette singulière présence, miracle de la peinture chaque fois renouvelé.
Jusqu’au 5 septembre, National Gallery, Trafalgar Square, Londres, tél. 44 171 747 2885 ; tlj 10h-18h, mercredi jusqu’à 22h (juin) ; jusqu’à 22h du mercredi au samedi (juillet-septembre). Puis, Mauritshuis, La Haye, 25 septembre-9 janvier. Catalogue par C. White, V. Manuth, E. van der Wetering, Flammarion, 256 p., 250 ill., 250 F. À lire également : Emmanuel Starcky, Rembrandt, coll. « Le cabinet des dessins », Flammarion, 70 ill., 128 p., 195 F.
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Rembrandt face à lui-même
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : Rembrandt face à lui-même