« Des artistes pour faire la ville », tel est le nom du manifeste (lire ci-contre) que viennent de lancer l’artiste Bruno Macé, le galeriste et entrepreneur Georges Verney-Carron et l’ancien directeur de l’Architecture et du Patrimoine au ministère de la Culture François Barré. Les trois initiateurs de ce texte, bientôt rejoints par de nombreux artistes, architectes ou directeurs de musées, espèrent donner une nouvelle place à l’artiste dans la ville. Loin de la simple fonction de producteur d’objet, le plasticien peut également « tisser du lien », pour reprendre l’expression de Bruno Macé. Les signataires du texte espèrent ainsi permettre aux artistes de développer leurs propres réflexions sur l’urbanisme et d’intervenir en amont des projets pour construire la ville. Dans un entretien, François Barré revient sur la genèse du manifeste et sur ses objectifs.
Comment est né ce manifeste ?
Les deux postes que j’ai occupés au ministère de la Culture – délégué aux Arts plastiques et directeur de l’Architecture et du Patrimoine – se situent dans la relation entre art et architecture. Quand j’étais à la direction de l’Architecture, à différentes reprises, j’ai eu à faire face aux problèmes de la création dans l’espace urbain et à la difficulté pour les artistes de s’y exprimer pleinement en termes juridiques, en termes de maîtrise d’œuvre. Un jour, Georges Verney-Carron et Bruno Macé sont venus me voir. Ils m’ont dit qu’ils trouvaient qu’il y avait un déficit dans la manière dont on abordait la création dans l’espace public. Les artistes étaient mis dans une position de minorité qui ne leur permettait pas de s’exprimer correctement, alors même qu’ils ont une capacité à le faire. J’avais exactement le même point de vue. Ensuite, les artistes nous ont tous dit vivre cette difficulté de se situer dans la maîtrise d’œuvre de l’espace public. Ils ont exprimé leur intérêt pour un manifeste qui essaierait d’éveiller l’attention des uns et des autres et particulièrement des maîtres d’ouvrage. Nous avons eu les signatures de Buren, Gerz, Raynaud, et de Nouvel, Perrault, Fuksas, Bouchain, Ricciotti... Notre sentiment est qu’aujourd’hui il faut amplifier le mouvement. Nous allons sans doute créer une association. C’est du côté du dialogue entre maîtres d’ouvrages et artistes que la chose peut déboucher. Il faut que cela se concrétise dans les actes. J’ai beaucoup d’espoir puisque Josseline de Clausade et Christophe Girard veulent développer une politique culturelle de la ville de Paris qui va dans ce sens.
Comment allez-vous mettre en œuvre votre manifeste ?
Nous allons essayer d’augmenter le nombre des signatures et ouvrir un site Internet. Après la période de glaciation électorale dans laquelle nous rentrons, nous voudrions organiser des rencontres, de vrais dialogues publics entre des artistes et des maires. Un certain nombre d’entre eux montrent de l’intérêt pour la qualité de l’espace de leur ville. On sait les artistes signataires engagés dans ce combat. Nous organiserons des manifestations publiques pour essayer de populariser cette idée et d’analyser d’une manière très concrète les projets déjà réalisés et d’en annoncer de nouveaux. Il s’agit de sensibiliser essentiellement les maires.
Vous souhaitez faire intervenir les artistes au plus tôt dans la réalisation des projets ?
Il faut qu’ils soient présents le plus en amont possible. Aujourd’hui, seuls certains le peuvent, les plus célèbres. Gerz ou Buren savent le faire, parce que leur notoriété et la qualité de leur travail sont telles qu’ils arrivent à trouver un architecte assez intelligent, assez complice, pour se mettre d’une certaine manière à leur service.
Ne plus savoir créer un espace de partage, ne plus comprendre que le vide des espaces publics tient et fait la ville et son urbanité autant que le plein de ses bâtiments, c’est oublier que le cœur et le sens de la cité, son identité et son hospitalité naissent et vivent là, dans ce qui appartient à tous. Résultat improbable d’une rencontre hasardeuse de l’économie, de la technologie, de la technocratie et de la politique, le destin de la ville n’est plus le récit d’un vouloir vivre ensemble. La possession privée se substitue à l’appartenance publique et les espaces publics, transformés en non-lieu, disparaissent de nos villes. Il faut retrouver le sens commun d’un projet où se reconnaître. Si les architectes et les urbanistes tentent de répondre à la demande et à la commande, ils expriment rarement ce qui aujourd’hui fait défaut, le lien et le lieu. Aucun talent, aucune compétence ne peuvent être répudiés pour relever ce défi. Pour retrouver dans nos villes un sens et des espaces où nous rencontrer, il faut que les artistes y aient droit de cité. Redonnons une place aux artistes. Les artistes plasticiens ne sont que rarement sollicités pour participer en amont aux opérations d’urbanisme. Ceux d’entre eux qui travaillent in situ savent pourtant, mieux que d’autres, faire le passage entre utopie individuelle et utopie collective, imaginaire et rationalité. Mis en tutelle et placé dans la position de l’accessoiriste chargé de l’ornement, du supplément d’âme patenté (1 %), ou de l’ordonnance des célébrations nationales et locales, l’artiste ne dispose pas d’une responsabilité de créateur. L’usage fait qu’il n’est jamais celui qui conduit mais toujours, ou presque, celui que l’on mène. Puisque les textes le permettent, œuvrons pour qu’il n’en soit plus ainsi et invitons les artistes à participer à la conception des projets. Que les maîtres d’ouvrage publics et privés comprennent qu’il s’agit, là aussi, de construire la ville. C’est à eux de favoriser l’intégration des artistes plasticiens au sein des équipes de maîtrise d’ouvrage urbaines, pour que, dès l’amont, ils puissent devenir de véritables acteurs, maître d’œuvre artistiques, intervenant in situ dans le nécessaire remodelage de nos villes.
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« Redonner une place aux artistes »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°147 du 19 avril 2002, avec le titre suivant : « Redonner une place aux artistes »