Né en 1942, Raymond Depardon est photographe, membre de l’agence Magnum, et cinéaste. Après avoir couvert de multiples conflits, il remporte le prix Pulitzer en 1977. Il réalise en parallèle de nombreux documentaires et films de fiction, aux rangs desquels Empty Quarter, une femme en Afrique (1984). Il est commissaire invité des Rencontres d’Arles 2006. Raymond Depardon commente l’actualité.
Vous êtes cette année le commissaire invité des Rencontres d’Arles. Comment définiriez-vous votre projet ?
Cohérence. La programmation me ressemble. J’ai trop l’expérience en cinéma de festivals où les héros sont les cinéastes révélés. Et puis, quelques années plus tard, lorsqu’ils font leur deuxième ou troisième film, ils ne sont plus retenus. Aussi, j’ai voulu équilibrer la programmation entre les émergences, mes influences et celles de ma génération, les compagnons de route. Nous sommes à un moment charnière, alors que le numérique arrive et que les maîtres ont disparu. Notre rapport à la photographie va sans doute évoluer même s’il est toujours régi par des règles d’or : la lumière, le cadre, la distance, la démarche, l’éthique. La photographie a explosé dans tous les sens, mais il faut rappeler qu’il y a un individu derrière l’appareil ; derrière chaque photographie, il y a un homme.
Votre programmation fait-elle la part belle au photoreportage ?
Le réel a toujours été plus difficile à être révélé comme art. On a toujours tendance à dire que le réel est une bénédiction de Dieu. Toute une génération de photographes ne se sont pas considérés comme des artistes, à tort à mon avis. Aujourd’hui existent des festivals comme Visa pour l’image à Perpignan, le Printemps de Toulouse, le Mois de la photo à Paris, et il y a encore de la place pour des photographes qui, à la fois, sont des reporters et qui ont une réflexion sur l’image. Les quelques photographies de guerre qui sont présentées à Arles sont des travaux très modernes, de Gilles Caron à Sophie Ristelhueber.
Vous rendez un hommage aux États-Unis. N’est-ce pas paradoxal pour une programmation qui s’intitule « So French » ?
Oui, un peu, mais ma génération, celle de l’après-guerre, des années 1960, a été très marquée par les États-Unis, plus que par les Français humanistes, qui étaient trop proches de nous. Je ne connais aucun photographe de ma génération qui ait été impressionné par Doisneau, Brassaï, Cartier-Bresson. Ceux-ci n’étaient pas nos héros, au contraire de certains paysagistes ou d’autres qui étaient très modernes dans le cadrage, tels Charles Harbutt, Lee Friedlander, Arthur Fellig Weegee… C’était, dans un certain sens, le rêve américain, tandis que les humanistes français nous paraissaient un peu trop folkloriques ou pittoresques.
Vous mettez en avant l’auteur au moment où vient d’être votée la loi sur le droit d’auteur. Vous êtes-vous impliqué dans la défense des droits d’auteur des photographes ?
C’est un sujet très important. Aujourd’hui, on parle beaucoup de portail, notamment à Magnum, de même que de VoD (vidéo à la demande) en cinéma. Ceux qui sont plus proches de l’art contemporain n’ont peut-être pas cette préoccupation. Mais certaines de mes photos ont été faites pour être publiées, elles ne sont pas dans la rareté, dans la pièce unique. Certes, il faut atteindre le plus de monde possible, mais pas à n’importe quel prix. On voit bien que les journaux ont changé de méthode. Ils bouclent de plus en plus tard parce qu’ils savent qu’ils peuvent toujours faire appel à des photos trouvées sur Internet, ce qui les conduit à négliger le photographe en tant qu’auteur. Le photographe risque d’y perdre, de la presse à l’édition. Le combat n’est pas gagné.
La photographie vient de rentrer à l’Académie des beaux-arts. Êtes-vous déçu par le choix des deux premiers académiciens ?
Un peu. Henri Cartier-Bresson, avant de mourir, m’avait demandé de m’y présenter pour défendre un certain réel. Ils ont préféré prendre des photographes plus classiques. Je pense que je n’étais pas non plus fait pour ça, pour ce côté club anglais. Je suis quelqu’un de terrain.
De plus en plus de photographes et de cinéastes présentent des installations proches des arts plastiques dans des musées, comme Agnès Varda à la Fondation Cartier ou Jean-Luc Godard au Centre Pompidou, et vous-même aussi récemment au Japon. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Est-ce nous qui nous approchons du musée ou est-ce le musée qui se rapproche de nous ? C’est un peu les deux. Je suis à moitié photographe et à moitié cinéaste. Pendant longtemps, on m’a dit qu’il fallait que je choisisse entre les deux. Je pense que j’étais au contraire en avance. Les étudiants sont aujourd’hui à la fois photographes et cinéastes, et les appareils photo permettent de faire des plans-séquences d’une minute avec du son. Nous sommes dans le multimédia. Il n’y a plus cette séparation qui était un peu idiote. Au musée, nous revenons à l’essence même du cinéma, c’est-à-dire à la sensation très forte de l’image. En anglais, le vocabulaire permet de faire la distinction entre movement picture (le cinéma, la vidéo), et still picture (la photographie). J’ai toujours rêvé de partir avec une caméra faire des images. Un plan d’une minute peut être formidable. Avec la haute définition, on va pouvoir faire des projections formidables dans les musées. Aujourd’hui, on peut ne plus être inféodé à un récit comme c’est le cas pour le cinéma de fiction ou la télévision. On redevient « l’homme à la caméra ».
Une exposition vous a-t-elle marqué dernièrement ?
Le « Mouvement des images », à Beaubourg, réunissant des artistes qui utilisent l’image comme moyen d’expression. Et cela ne fait que commencer. Nous n’avons pas encore exploré toutes les possibilités de l’image. J’aime bien l’éphémère, le côté un peu impressionniste. Ces créations que l’on pourrait appeler des courts-métrages représentent tout ce que j’aime dans l’art, c’est-à-dire un plan ou plusieurs de dix minutes ou un quart d’heure. Pour L’Aurore (1927) de Murnau, chaque plan est une œuvre d’art. Si c’était un autre art, cela vaudrait des fortunes, mais on a la chance de pouvoir acheter le DVD pour dix euros. Il y a un côté démocratique, accessible, mais c’est du même niveau que les grands peintres contemporains. On n’a pas fini de parler de l’image, même si rares sont ceux, comme Benjamin et Barthes, à en avoir bien parlé. J’attends toujours que l’on m’explique, même si, au fond, il n’y a rien à expliquer, et c’est ce qui est fort.
Du 4 juillet au 17 septembre, divers lieux, Arles, tél. 04 30 96 76 06, www.ren contres-arles.com
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Raymond Depardon, photographe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Raymond Depardon, photographe