Entretien

Questions d'actu : Franck Prazan

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 20 août 2013 - 736 mots

Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2012 annoncée par le Premier ministre en novembre, la TVA frappant les œuvres d’art en provenance d’un État tiers à l’Union européenne pourrait passer de 7 à 10 %. Attention, danger ?

L’œil : La hausse de la TVA à l’importation pour les œuvres d’art est-elle actée ? Et quels sont concrètement les risques ?
Franck Prazan : Si les taux ont été actés dans le projet de loi de finances rectificative de 2012, les secteurs d’activités auxquels sera appliquée la nouvelle architecture de la TVA ne sont pas encore définis. Si rien n’est fait, le taux de TVA, qui a déjà été revu à la hausse par la précédente majorité à 7 %, passera à 10 %. Du point de vue de la concurrence avec le marché voisin anglais, nous nous retrouverions dans un différentiel de 100 %, le taux de TVA à l’importation en Grande-Bretagne étant actuellement de 5 %. Ce serait donc un énorme problème de compétitivité pour les galeries, maisons de ventes et antiquaires français, car cette TVA adoptée sur la marge n’est pas récupérable. Ce n’est pas une TVA, mais un droit de douane.

Craignez-vous que les œuvres d’art ne transitent plus par le marché français ?
Sur un marché de l’art international, les œuvres d’art ont aussi vocation à venir en France ! Il n’y a aucune raison pour qu’un tableau de Soulages parte à Londres ou à New York afin d’y être vendu. La politique de la France devrait, au contraire, permettre au marché de l’art en France d’augmenter son poids, plutôt que de le faire diminuer. À titre indicatif, l’Angleterre représente aujourd’hui environ 30 % du poids mondial du marché de l’art, sachant que la France n’en constitue qu’un peu plus de 5 % ! Et alors qu’après guerre, le marché français représentait 50 % du marché de l’art mondial !

Le rapport édité par le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), le Symev et le SNA prévient que cette hausse de TVA risque d’être contre-productive. Pourquoi ?
Le gouvernement ne se trompe pas dans son schéma d’architecture de la TVA à trois taux : 5, 10 et 20 %. Il a par ailleurs pris en compte un certain nombre de mesures fiscales qui devraient simplifier certains taux [le taux principal passera de 19,6 % à 20 %, ndlr]. En revanche, il n’a pas pris en considération l’ensemble des secteurs qui se verraient appliquer ce taux de TVA. Contrairement au secteur manufacturier, il ne faut pas empêcher des œuvres, parfois d’artistes français, comme Klein, de Staël, Dubuffet ou Soulages, qui sont dans des collections internationales, de venir en France. En la matière, un pays s’enrichit de ses importations et s’appauvrit de ses exportations. Sa durée de vie étant supérieure à celle d’un collectionneur, une œuvre d’art n’est pas un bien de consommation. Elle a vocation à se transmettre et, à chaque fois qu’elle change de mains, à créer – en théorie – de la richesse. En tout cas, elle engendre des ressources, et notamment publiques, car même dans le cas où un tableau est vendu à perte, il crée des recettes fiscales et parafiscales – le droit de suite s’applique toujours.
Et s’il y a une perspective de plus-value, il est préférable qu’elle soit réalisée par des acteurs du marché français, plutôt que par des acteurs anglais. Et puis il y a la question de l’emploi : le rapport évalue le nombre d’emplois directs et indirects liés au marché de l’art à environ 100 000 personnes – 50 000 personnes directement employées par les diffuseurs et 50 000 autres embauchées autour du système : restaurateurs, conservateurs… Un appauvrissement par le haut conduirait nécessairement à un affaiblissement de la base.

De 0 à 10 % exonérée de TVA jusqu’en 1991, l’importation d’art a d’abord été taxée à 5,5 % avant d’être portée à 7 % en janvier 2012.

7,4 millions d'euros, c’est le manque à gagner qu’entranerait un recul de 10 % des importations pour les finances publiques, selon le rapport du CPGA, du Symev et du SNA.

16,9 millions d’euros, ce sont les recettes générées en 2012 par la TVA à l’importation des œuvres d’art sur les finances publiques.

Repères

Franck Prazan est un collectionneur, marchand d’art et galeriste français. Il est membre du Syndicat national des antiquaires (SNA) et du Comité professionnel des galeries d’art.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Questions d'actu : Franck Prazan

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