Après des années d’oubli, un ensemble de documents photographiques, le fonds Druet-Vizzanova, considéré comme indispensable à l’histoire de l’art, reste non seulement inexploité, mais inaccessible, car abandonné dans les sous-sols du Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie à Paris.
PARIS - "Le service photographique de la Réunion des Musées Nationaux est né modestement vers 1960 à Versailles sur des crédits de la Direction des Musées de France. (...) Ce service possède le fonds Druet-Vizzavona, soit 140 à 150 000 plaques, portant principalement sur les salons du début de ce siècle", écrivait André Chastel (1). "Il en existe un inventaire partiel, poursuivait-il, au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale". L’intérêt porté par André Chastel n’a pas fait école : le fonds est resté en sommeil pendant trente ans.
Ce fonds soulève des interrogations communes au patrimoine photographique : préservation, gestion, diffusion. Il est constitué de plaques de verre de tous formats, inexploitables sans une conversion numérique et un inventaire détaillé. "Or, ceci n’est envisageable que dans un cadre institutionnel et non dans un cadre commercial", estime Jean-François Cheval, de l’agence Roger-Viollet, qui tenta en 1985 de le traiter. "L’agence a beaucoup investi en temps, en matériel et en personnels sans en tirer suffisamment d’avantages commerciaux immédiats", ajoute-t-il. L’agence abandonna le projet après un an de travail, malgré la réalisation d’un inventaire de 20 000 plaques. Les caisses ont été refermées.
Il avait été question vers 1989 de "récupérer le fonds pour le ministère", indique Claude Vitiglio, directeur artistique des donations de la Mission du Patrimoine Photographique. Cela échoua. Il est vrai que la Mission, avec 3 millions d’archives photographiques à gérer, parvient déjà difficilement à faire face à ses obligations. Néanmoins, la Mission, comme le Musée d’Orsay, reconnaît que ce fonds serait très utile pour "retracer l’histoire des collections, l’histoire des œuvres manquantes des musées, et pour la connaissance du marché et de l’histoire de l’art."
À la RMN, propriétaire du fonds, Michel Richart, nouveau responsable de l’agence photographique, estime que le fonds "commence à intéresser". "C’est une masse complète de photographies d’œuvres, de peintures, de sculptures, d’artistes, de galeries, et de salons ou d’expositions, ainsi que de photographies d’architecture, dont l’intérêt tient surtout aux clichés d’œuvres jugées mineures ou ayant disparu depuis", considère-t-il.
Néanmoins, prévient-il, "nous ne sommes pas un service patrimonial, mais un service logistique des musées. Nous n’avons pas le savoir faire. Nous pouvons seulement réaliser des contretypes, des numérisations, et la mise à disposition des chercheurs et du public. Nous pouvons seulement aider d’autres institutions, comme Orsay qui est juste en train d’achever le travail sur son exceptionnel fonds photographique."
Un double fonds
"Vizzavona fut un photographe dont l’activité couvre la période 1898-1958. Reporter, il a aussi été le photographe de l’Académie de France à Rome, du Syndicat de la Propriété Artistique, du ministère de l’Industrie et des Beaux-Arts. Il a réalisé les portraits de nombreuses personnalités, des clichés d’architectures parisiennes (comme les magasins du Printemps)", rappelle Michel Richard. La presse – comme l’Encyclopédie Mensuelle Larousse (2) – qui abandonna peu à peu le dessin pour la photographie dans les années 1907/1908, le sollicitera constamment pour "couvrir" l’actualité artistique.
Outre les travaux de Vizzavona, le fonds "Druet-Vizzavona" comprend également le fonds "Druet" acheté par Vizzavona en 1936, soit à l’époque près de 120 000 clichés de tous formats ainsi que 220 albums, les "carnets Druet". Laurent Vizzavona, fils du photographe a déposé, en 1949, les Carnets à la Bibliothèque Nationale, où ils sont accessibles. Quant à l’ensemble des documents qu’il détenait de son père et de Druet (un aubergiste, devenu l’ami de Rodin, qui photographia la quasi totalité de la production de l’artiste, et ouvrit une galerie !), il les a mis en vente en 1957. La Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites et le Musée du Louvre, intéressés par leur acquisition, n’y sont pas parvenus, tant pour des raisons administratives que budgétaires. Finalement, afin d’éviter qu’il ne parte pour les États-Unis, la RMN a acheté l’ensemble. C’est son seul fonds patrimonial.
À Versailles, puis à Écouen (à partir de 1975), ce fonds "Druet-Vizzavona" a achevé son vagabondage en 1981, Porte Dorée à Paris, au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO). "À chaque déménagement, une caisse au moins a été cassée", assure Michel Richart. "C’est extrêmement volumineux, près de 18 mètres cubes. Mais je ne peux pas vous dire où il est", répond sèchement Madame Dominique Taffin du MAAO. Il dort donc dans les "caves" du MAAO, sans qu’on sache ni le lieu exact ni les conditions de son stockage. L’administration du Musée, qui souhaiterait pourtant s’en débarrasser, en refuse l’accès.
(1) La Revue de l’Art n° 39/1978
(2) Mais aussi les Cahiers d’Art, la Gazette des Beaux Arts, l’Illustration...
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Que faire du fonds Vizzavona ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Que faire du fonds Vizzavona ?