Promenades photographiques

Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2010 - 896 mots

Tout au long de l’été, les 41e Rencontres d’Arles proposent six parcours à travers la ville. Sont notamment mis en scène l’Argentine, le rock et les prisons.

Sous le titre « Du lourd et du piquant », les 41e Rencontres d’Arles proposent six promenades photographiques déroutantes qui sinuent de la sombre célébration du bicentenaire de l’Argentine à l’esthétique insurrectionnelle punk en passant par la collection de photos, jamais montrée, du producteur de cinéma Marin Karmitz. La disparition de procédés argentiques – les « chambres noires » vues par Michel Campeau, le film Kodachrome utilisé par Ernst Haas, la collection « Polaroïd en péril ! » en dépôt au Musée de l’Élysée (Lausanne) – est confrontée aux « chambres blanches », outils multimédias conceptuels étrangement mis en scène par le Musée Nicéphore-Niépce (Chalon-sur-Saône), comme aux clichés taxonomiques forains pris par les artistes Fischli & Weiss et à la jeune création mondiale qui a bifurqué vers le numérique. Cinq « nominateurs », parmi lesquels les artistes Liam Gillick et Philippe Parreno ou le curateur Hans Ulrich Obrist, présentent quinze candidats au prix Découverte et au nouveau prix Luma dotés chacun de 25 000 euros par la Fondation Luma créée par la mécène suisse Maja Hoffmann. Les enchevêtrements d’images d’objets trouvés d’Anne Collier (États-Unis), les sculptures visuelles accessoirisées de Marlo Pascual (États-Unis), la série 100 ans de Hans Peter Feldmann (Allemagne) retiennent le regard. En avant-première, le jeune collectif France 14 donne un aperçu du projet novateur « France » que montrera, à l’automne, la Bibliothèque nationale de France autour de Raymond Depardon et ses invités.

Violence latente
Du lourd, du piquant, de l’engagement naissant. Nourrie d’images à la violence latente, cette 41e édition se fixe un nouvel objectif : « Ramener du politique au sens philosophique du terme », selon François Hébel, directeur des Rencontres. Après « L’impossible photographie, prisons parisiennes (1851-2010) » qui vient de se terminer au Musée Carnavalet, à Paris, l’exposition « Prisons, derrière le mur des idées reçues », basée sur un état des lieux officiel, interpelle l’œil. « On y voit que les détenus possèdent la télévision, mais pas qu’ils ne peuvent se tenir debout dans leur cellule. La photo est dangereuse car elle ne dit pas tout. Le rôle des Rencontres est de soulever de tels sujets », souligne François Hébel. Dans cette veine, la scène argentine morbide, peu vue, interroge l’histoire récente de sa dictature militaire. Anticlérical, réfractaire à l’autoritarisme, l’artiste pluridisciplinaire León Ferrari dénonce jusqu’aux invasions américaines hégémoniques, à l’instar de son œuvre mythique figurant un Christ cloué sur un bombardier B52 qui fut censurée en Argentine en 1965. Dans une église d’Arles, l’installation in situ de ce contestataire âgé de 90 ans fait surgir de terre de tragiques mains de squelettes. Évoquant à son tour un terrorisme d’État qui a fait trente mille morts, Marcos Adandia (né en 1964) fait le portrait sobre de manifestantes de la place de Mai portant un linge blanc sur la tête, les langes de leurs enfants disparus. Dans un décor de théâtre, Marcos Lopez (né en 1958), lui, met en scène les archétypes argentins teintés à « l’encre rouge comme simulacre de la douleur ».
Le tragique du tango vire à l’acide punk dans l’exposition vedette « I am a cliché ». Des Screen Tests muets d’Andy Warhol aux photocollages subversifs de Jamie Reid et Linder, toute une imagerie codée a électrisé la photo, la vidéo et le graphisme des années 1960 à nos jours. Tout aussi détonante, l’exposition « Shoot ! La photographie existentielle » autour du tir forain photographique livre de curieux autoportraits derrière un fusil, réalisés par des inconnus et des célébrités telles que Sartre et Beauvoir, et sa réappropriation singulière par des artistes contemporains. L’âme pour cible : c’est l’histoire de la photographie qui est visée.

Jean-Noël Jeanneney, nouveau président des Rencontres d’Arles

Quel sera votre rôle au sein des Rencontres d’Arles ?
En tant qu’historien, mon intention n’est pas de faire un festival d’histoire de la photographie, mais de mettre l’histoire en perspective en organisant davantage d’expositions avec une profondeur de champ remontant jusqu’au XIXe siècle. « Shoot ! » évoque ainsi l’évolution du tir photographique dans les foires, fait réfléchir à la relation entre le support et l’œuvre. Les Rencontres prennent aussi une dimension civique en dénonçant l’état des prisons en France, un pays qui a célébré le bicentenaire des droits de l’homme.

Quelles sont les orientations du festival ?
Un « Village du livre » va suivre l’édition photographique qui évolue très vite. Alors que les crédits de représentation de la culture française à l’étranger sont sabrés, les Rencontres vont rayonner. Chaque année, un pays sera invité à l’instar de l’Argentine en 2010. Le programme pourrait aussi établir des correspondances baudelairiennes entre la photo et la poésie, la peinture et la musique. Enfin, en septembre, le conseil d’administration des Rencontres va s’ouvrir à de nouvelles personnalités.

Comment pérenniser ce festival fragilisé par les aléas financiers ?
Les Rencontres d’Arles sont sous-budgetées [4 millions d’euros] de manière insupportable sur le long terme, en comparaison des festivals d’Avignon et d’Aix [leurs budgets avoisinent 10 et 20 millions d’euros]. Je souhaite que l’État soit un acteur majeur dans ce jeu. On ne peut compter sur une augmentation de la billetterie à cause de la crise économique. En sus du mécénat de [la collectionneuse] Maja Hoffmann, il faut élargir le mécénat d’entreprise.

Les Rencontres d’Arles

Jusqu’au 19 septembre, 34, rue du Docteur-Fanton, 13200 Arles, tél. 04 90 96 76 06, www.rencontres-arles.com. Catalogue, coéd. Rencontres d’Arles et Actes Sud, 568 p., 47 euros, ISBN 978-2-7427-9152-1

- Directeur : François Hébel
- Nombre d’expositions : 60 dans divers lieux de la ville
- Nombre de commissaires : environ 20

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : Promenades photographiques

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