XXe

Plus moderne que contemporain

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 25 février 2015 - 1037 mots

Le nouvel espace Night Fishing donne une dynamique nécessaire à une section moderne assez classique, mais solide, assortie d’un versant contemporain toujours timide.

Si Tefaf a construit sa notoriété grâce à l’art ancien, elle n’a eu de cesse d’élargir le spectre des époques et des disciplines proposées, construisant ainsi l’une de ses singularités dans le paysage des foires très majoritairement spécialisées. L’art moderne, dans une facture assez classique, en offre une belle illustration. Introduit dès 1991, il est devenu l’un des piliers de la manifestation jusqu’à accueillir une petite cinquantaine de marchands, sans être pourtant la section où les meilleures affaires se sont faites l’an dernier.

Discrétion et exigeance
Pour autant, chaque galerie met un soin particulier à préparer l’événement qui donne le la pour l’année à venir. « Tefaf présente de nombreuses spécificités. D’abord c’est le premier salon de l’année, et nous avons du temps pour la préparer. Elle offre également une grande stabilité dans son organisation, ses participants et son ergonomie avec des stands spacieux et qualitatifs. Enfin, sa clientèle reste plusieurs jours et prend le temps. Ajoutez à cela les exigences de l’organisation, tout nous pousse à nous dépasser », indique le galeriste parisien Franck Prazan. En parallèle de Jean Fautrier, Pierre Soulages ou Jean Dubuffet, la galerie propose cette année un Agrigente de Nicolas de Staël (1954), huile aux couleurs vibrantes réalisée à son retour de Sicile, marquant un tournant vers une peinture plus fluide. Chez Brame et Lorenceau, c’est Olivier Debré qui promet d’attirer les regards, grâce à sa Nature morte à la tache grise de 1957 : « une œuvre en lien avec le figuratif, symptomatique de cette évolution des couleurs sourdes vers des touches vibrantes de couleur, typique de cette période assez recherchée » indique son directeur, qui montre également un Penseur de Rodin. Le sculpteur est aussi proposé par la galerie Gradiva : ce nouvel arrivant apporte une version en bronze de Fugit Amor, à l’origine l’une des figures de la porte de l’Enfer. Quasi absent dans les allées, l’art brut trouve cependant un beau représentant chez le Suisse Karsten Greve avec Crépuscule du gangster, dessin au doigt de Louis Soutter à la gouache et encre, réalisé lors de son internement dans un hospice du Jura. Quant à Dickinson (Londres), il met en vente Laila, une toile de Kees van Donghen, de la fin de la période fauve. Chez Patrick Derom (Bruxelles) c’est une autre jeune femme, Mae West, qui attire le collectionneur, grâce au mythique canapé réalisé à partir de sa bouche par Dali.

L’art contemporain renforcé par Night Fishing
Le versant contemporain reste timide et perd cette année la galerie bâloise Von Bartha et la londonienne Offer Waterman & Co. À la galerie Bastian (Berlin), Unicorn – The dream is dead, sculpture de Damien Hirst en argent, mêlant crâne de taureau et arrête centrale d’un espadon, côtoie une version noir et blanc des Car crash d’Andy Warhol. Des portraits de Jackie Kennedy, du même Warhol, réalisés après l’assassinat de son mari, sont proposés à la galerie Boulakia (Paris) ou sur le stand de la galerie William Weston (Londres). Cependant le changement de dates d’Art Basel Hong Kong, avancée cette année en même temps que Tefaf n’a pas pénalisé plus encore les candidatures pour cette section déjà réduite. Si certaines galeries, comme Gagosian qui avait fait un passage éclair à Tefaf en 2013, ont choisi l’Asie, la galerie Tornabuoni Art (Milan) parvient à se dédoubler. « Tefaf est le lieu privilégié pour montrer un panorama plus important du XXe. Pour cette foire, nous gardons nos pièces phares, jamais montrées, tous styles confondus. Les collectionneurs sont très divers, aussi il est important d’avoir cette complémentarité » indique la directrice Francesca Piccolboni. Au côté de Végétaux de Jean Fautrier, la galerie présente notamment une Concetto Spaziale de Lucio Fontana (1960) qui appartenait à Enrico Crispolti, auteur de son catalogue raisonné. L’artiste a également retenu l’attention de Ben Brown Fine Arts et de la Cardi Gallery qui montre une de ses toiles à trois fentes. En parallèle de cette section d’art contemporain qui reste timide, le plus intéressant pourrait venir de la nouveauté de ce cru 2015 : Night Fishing, un espace d’exposition mené par Sydney Picasso qui met la sculpture à l’honneur. Dix galeries ont été invitées à présenter un unique artiste, dont l’œuvre, à vendre, se fait l’écho du vaste panorama d’objets présentés dans la foire. De Markus Raetz, très rarement dans les foires, Farideh Cadot (Paris) montrera trois œuvres, présentées en regard de Diamond Sat de Nam June Paik (Hans Mayer, Düsseldorf), de Yellow Song de Georg Baselitz (Thaddaeus Ropac, Salzbourg, Paris) ou de Wolfgang Laib (Konrad Fischer, Düsseldorf). Peut-être un nouvel élan pour la représentation de l’art moderne ?

Le design européen toujours en force

Voilà désormais six ans que Tefaf accueille une section dévolue au design : dix marchands sont sélectionnés, très majoritairement européens, et parmi eux, nombre de Français. Seul changement cette année dans un espace qui n’avait pas bougé depuis deux ans : Sebastian Barquet a cédé sa place à Demisch Danant. La galerie franco-américaine met à l’honneur Pierre Paulin avec une étagère en plexiglas, modèle destiné à l’appartement de Georges Pompidou, ou une paire de fauteuils créés cette fois pour le bureau de François Mitterrand à l’Élysée. La galerie Downtown, dans les allées de la foire dès 2006, présente de concert avec Philippe Ségalot un ensemble de mobilier shaker, branche du protestantisme issue des quakers. Au sein de ces découvertes de l’art advisor réalisées lors d’un séjour dans le Massachussets, on remarque une haute commode en pin avec boutons en porcelaine. Sur le stand de la galerie l’Arc en Seine, un lampadaire du Japonais Kichizo Inagaki côtoie un albatros en résine d’Alberto Giacometti et plusieurs pièces de Jean-Michel Frank, habillées de galuchat, d’ivoire ou de mica. Éric Philippe a fait le choix du mouvement Swedish Grace, mouvement néoclassique né en Suède dans les années 1920 : ainsi d’un meuble d’appui en laque rose et blanche signé Carl Malmsten ou d’une table pliante du Danois Mogens Lassen. Le design danois trouve encore de beaux représentants chez Dansk Møbelkunst, qui montre un canapé de l’architecte Vilhelm Lauritzen, réalisé pour la Maison de la radio de Copenhague.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Plus moderne que contemporain

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