Perspectives suisses

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 1032 mots

Comme chaque été, la Confédération helvétique propose un riche programme d’expositions dans le domaine de l’art contemporain. De Bâle à Genève en passant par Zurich, visite guidée.

Neutre, la Suisse ? C’est sans compter sur ses reliefs escarpés, ses contradictions et ses particularités. On a beau douter de l’unité d’un pays qui parle quatre langues à lui tout seul, l’art y a une assise internationale et s’y porte bien. C’est dans sa diversité que la Confédération helvétique trouve son harmonie. À Bâle, la plus célèbre et sélect des foires d’art contemporain s’est encore fait remarquer en explosant ses ventes pour sa cuvée 2004 [lire le JdA n° 196, 25 juin 2004]. À peine s’achève-t-elle qu’on en profite pour faire fiévreusement le tour de ses musées et kunsthalle. À commencer par la cité rhénane elle-même, où l’on visite l’historique Filiale : l’un de ces lieux indépendants qui, à partir des années 1980, à l’instar de Forde à Genève, ont dynamisé la scène suisse et contribué à la découverte de ses jeunes talents.

Coulisses de l’art
Du côté institutionnel, au Gegenwarstkunst Museum, l’Américaine Louise Lawler présente des travaux réalisés ces vingt dernières années. Ses photographies continuent à autopsier depuis les années 1970 ce qui crée la valeur d’une œuvre d’art, le regard oblique de l’artiste s’attardant avec impudeur dans les coulisses de l’art. Du cadre privé du collectionneur aux réserves muséales en passant par les bureaux des entreprises, c’est toujours la mise en scène autour des œuvres qui est signifiante. De quoi aiguiser nos points de vue avant de se rendre dans un lieu inédit qui abrite la collection Emanuel Hoffmann. Autant dire un coffre-fort géant au pays des banques. Le Schaulager, littéralement
« montrer/stocker », est un hybride entre le lieu d’exposition et l’entrepôt de luxe. Dans les étages, les œuvres de la fondation, enfermées à triple tour, attendent d’être prêtées. Les vues imprenables et les vertigineuses perspectives de cet hermétique bâtiment à cinq faces qui fleure encore bon le béton frais sont l’œuvre de deux talentueux architectes du canton : Herzog & de Meuron. Le Schaulager leur consacre d’ailleurs actuellement une exposition (lire le JdA n° 195, 11 juin 2004).
Plus underground, Zurich regorge de lieux emblématiques. La Helmhaus est connue pour ses expositions pointues. En 2002, Gianni Motti a réussi à faire fermer les lieux pendant son exposition. Motif : on craignait que la population ne saccage le bâtiment en recherchant un butin caché par l’artiste. L’atmosphère est plus calme à la Kunsthalle, où la Française Dominique Gonzalez-Foerster nous implique dans des voyages mentaux à travers de délicats trous noirs ou de fébriles rêveries d’une étrange enfant à sa fenêtre. Hommage au duo d’artistes suisses Fischli & Weiss, les personnages de l’une de leurs fables vidéo, le rat et le panda, sont mis sous cloche. Au Migros Museum, l’exposition collective « It’s All an Illusion » pétille de couleurs avec Olaf Nicolai, le Genevois Valentin Carron ou Marc Camille Chaimowizc… Mais plutôt que de faire place à une réflexion sur la sculpture, c’est le parti de la juxtaposition formelle qui  semble ici avoir été choisi. Dans le même bâtiment se trouvent des galeries renommées comme la galerie Peter Kilchmann, qui présente une exposition du très controversé Santiago Sierra. Ce dernier se retrouve également à Bienne, dans une exposition collective un peu fourre-tout au Centre PasquArt, « I Need You » : l’artiste espagnol y présente une vidéo où il invite des boulangers à réaliser un pain géant destiné à nourrir les SDF de la ville.

Bolide rétro-futuriste
À Berne, la visite de la Kunsthalle s’impose, même si le lieu où Harald Szeemann bâtit sa réputation avec des expositions comme la mythique « Quand les attitudes deviennent formes », en 1969, semble malheureusement avoir perdu un peu de son aura. Y est présentée cet été une exposition de jeunes peintres de la région de Berne. À Fribourg, dans ce centre d’art qui accueillit avant l’heure des expositions liées aux cultures électroniques, l’exposition « Neutralité » revient avec humour sur les clichés que véhicule la Suisse. Cette promenade helvétique se termine dans le foisonnement et l’hyperactivité genevoise. Que ce soient les dessins au crayon de Didier Rittener, les engins de Michael Sailstorfer ou le génome complet du virus de la variole (Pierre-Philippe Freymond), la jeune scène internationale se trouve à l’espace d’art indépendant Attitudes. Au Centre d’art contemporain, Ingrid Wildi interroge la mémoire collective avec ses vidéos, alors que la multiprojection du styliste Hussein Chalayan nous entraîne sereinement dans un bolide rétro-futuriste. Au Mamco, onze expositions sont réunies sous le titre « Rien ne presse ». Les jeux pop de Stéphane Magnin se déclinent dans l’espace. Les peintures grand format de Jean-Luc Blanc sèment sur notre passage des fictions à redécouvrir. On croise également un squelette géant en lévitation et sept chats errants nourris au lait, tous signés Adel Abdessemed. « Rien ne presse », en effet, même s’il est urgent de courir en Suisse !

- Bâle Louise Lawler and others, jusqu’au 29 août, Museum für Gegenwarstkunst, St. Alban-Rheinweg 60, tél. 41 61 272 81 83. Herzog & de Meuron, jusqu’au 12 septembre, Schaulager, Ruchfeldstrasse 19, Bâle/Münchenstein, tél. 41 61 335 32 32. Et Filiale Basel, Claragraben 131, tél. 41 61 681 60 19. - Berne SCHICHTARBEIT, jusqu’au 15 août, Kunsthalle, Helvetiaplatz 1, tél. 41 31 350 00 40. - Bienne I NEED YOU, jusqu’au 15 août, Kunsthaus, centre PasquArt, Faubourg du Lac 71-75, tél. 41 32 322 55 86. - Fribourg Neutralité, jusqu’au 12 septembre, Fri-art, Petites-Rames 22, tél. 41 26 323 23 51. - Genève Rien ne presse, jusqu’au 12 septembre, Mamco, 10, rue des Vieux-Grenadiers, tél. 41 22 320 61 22. INGRID WILDI, Centre d’art contemporain, jusqu’au 19 septembre, 10, rue des Vieux-Grenadiers, tél. 41 22 329 18 42. Michael Sailstorfer, Didier Rittener, Pierre-Philippe Freymond, jusqu’au 10 juillet, Attitudes, rue du Beulet 4, tél. 41 22 344 37 56. - Zurich Dominique Gonzalez-Foerster, Multiverse, jusqu’au 15 août, Kunsthalle, 270 Limmatstrasse, tél. 41 22 272 15 15. It’s all an illusion, jusqu’au 8 août, Migros Museum, 270 Limmatstrasse, tél. 41 1 277 20 50. ARTISTES BOURSIERS DE ZURICH, jusqu’au 15 août, Helmhaus, Limmatquai 31, tél. 41 1 251 61 77.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Perspectives suisses

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