Le directeur de la Cité de la musique a longtemps fait ses gammes dans le privé avant de passer dans le public, notamment à l’Opéra-Comique.
Paris. Ce soir-là, à la Philharmonie était programmé un concert de l’Orchestre de Paris et de Gautier Capuçon, et à la Cité de la musique, « EST en musique », concert images conçu par Sonia Wieder-Atherton et Chantal Akerman, rejoué vingt ans plus tard par la violoncelliste aux côtés de la pianiste Sarah Rothenberg. La diversité du public ramenait à la question posée, il y a dix ans, lors de l’inauguration de la Philharmonie, et reprise par Olivier Mantei dans son éditorial du programme 2024-2025 : « Le public de l’Ouest parisien s’aventurera-t-il porte de Pantin ? La plupart répondaient non, se souvient-il. Pourtant, à l’aube de cette saison “anniversaires”, le public venu des quatre points cardinaux s’aventure pourtant bel et bien porte de Pantin. De plus en plus nombreux. De plus en plus en plus jeune et divers aussi. »« La fréquentation des moins de 28 ans est en hausse de 58 % », avait-il précisé quelques instants plus tôt, dans son bureau de la Philharmonie dont la vue plongeante donne sur le nord-est du bassin parisien et le périphérique. L’augmentation de la fréquentation, grâce à une politique tarifaire attractive et une programmation variée, a valeur de symbole dans un paysage où la démocratisation de la culture reste un objectif. Trois ans après sa nomination en 2021, le projet artistique qu’il a développé succédant à Laurent Bayle, le père de la Philharmonie, prend forme à la veille des dix ans de l’établissement, des trente ans de la Cité de la musique et du centième anniversaire de la naissance de Pierre Boulez. Pierre Boulez... son créateur, dont le portrait peint par César, accroché derrière le bureau, fait face à un tableau de Gérard Fromanger suspendu à l’autre bout de la pièce, qui rappelle l’ornementation du plafond du foyer du Théâtre des Bouffes du Nord que lui avait confiée Olivier Mantei, en 2019.
Copropriétaire du théâtre, Olivier Mantei était alors directeur de l’Opéra-Comique. Aujourd’hui, il dirige une Philharmonie « unique au monde en forme d’arbre à six branches avec des salles de concert, un orchestre à demeure – l’orchestre de Paris et ses chœurs, un musée, un pôle des savoirs qui regroupe les éditions et une médiathèque, une Philharmonie des enfants et le plus grand pôle éducation musicale en dehors de l’école »,évoque-t-il. En ajoutant : « Un arbre aux branches au service de toutes les musiques quelles que soient leurs origines ou leur époque. »
« Laurent Bayle a bâti les fondations. Maintenant que tout est construit, tout repose sur la transversalité. Il s’agit de créer des liens, de la circulation, permettre au public qui vient pour une raison, d’accéder à d’autres choses », explique-t-il.
« Faire de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, un lieu de vie accessible et exemplaire en termes d’inclusions et d’ancrage territorial, qui désinhibe et fait se dire que l’on peut rentrer » est le grand projet mené par cet homme discret de 59 ans, dans l’écoute, l’observation et le faire plus que dans la parole, dit-on régulièrement de lui.
Créer des liens, des ponts entre des artistes, des lieux, est un savoir-faire qu’il a acquis en tant qu’agent et producteur à travers maintes associations qu’il a créées dans le cadre de concerts et de création d’opéras comme celles de Sonia Wieder-Atherton – Franck Krawczyk, Jean Echenoz – Philippe Hersant, Joël Pommerat – Francesco Filidei ou encore de Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczyk. « Il est ouvert à la variété des disciplines, mais toujours dans un sens aigu de l’exigence artistique. La démocratisation des œuvres, il ne la voit pas comme un nivellement vers le bas, mais au contraire comme une capacité de dépassement de soi et d’ouverture pour pouvoir accéder à des choses exigeantes et les faire partager au plus grand nombre. Il a des ambitions pas tant pour lui que pour les projets qu’il initie », souligne son ami d’enfance Ara Aprikian, directeur général adjoint des contenus de TF1, rencontré en cinquième, au collège de Villecresnes (94) et avec lequel Olivier Mantei a monté, à 20 ans, son premier concert.
Olivier Mantei s’est formé sur le terrain au fil des expériences et des rencontres. Son profil tranche en ce sens avec ceux des responsables des grands établissements publics, diplômés d’une grande école ou de Sciences Po, ou artistes dans le spectacle vivant. « C’est Ara qui m’a fait découvrir Peter Brook, Ariane Mnouchkine, qui m’a amené au cinéma. Et c’est grâce à son père (ndlr, le compositeur et chef d’orchestre Garbis Aprikian décédé en octobre dernier) que je me suis plongé dans des discussions musicales », confie Olivier Mantei. Et c’est en travaillant en parallèle de ses études pour l’entreprise de vélo de son frère qu’il a appris « la gestion, le management et le bon sens ».« La fratrie est importante », souligne-t-il.
Ces premières années ont donné le ton. Ses études de lettres modernes à La Sorbonne d’abord puis à l’École des hautes études en sciences sociales en musicologie (EHESS), son affinité surtout pour la composition, l’ont conduit à des rencontres telles que celles de Pascal Dusapin, Pierre Boulez , puis à d’autres par son métier de producteur. La structuration et le succès du Chœur de chambre Accentus, fondé par Laurence Equilbey, ont consolidé son expérience, tout comme les années passées avec sa société de production, Instant Pluriel. La rencontre avec Peter Brook cependant demeure « la grande rencontre ». Elle a débuté avec une saison musicale à l’essai aux Bouffes du Nord, puis a évolué jusqu’à son rôle d’administrateur et de copropriétaire du théâtre. Ce n’est pas rien de recevoir de Peter Brook les clefs d’un théâtre sans nul autre pareil. Le rapport filial de Mantei à Brook ne suffit pas à l’expliquer. « La transmission est importante chez eux. Il y a quelque chose de politique aussi dans leur union. Amener la musique, ou toute forme d’art, à des personnes qui n’y ont pas accès est profondément ancré en eux », relève Sonia Wieder-Atherton.
« De Peter Brook, j’ai appris beaucoup de choses, déclare Olivier Mantei. Bien avant que nos métiers soient interrogés par les politiques culturelles sur les publics et les questions sociétales, il les a mises en œuvre. La diversité était autant sur scène que dans les bureaux ou dans le public. Il a fait toutes ses générales dans des écoles de banlieue et les prix des places aux Bouffes du Nord n’ont que très peu évolué. » Cette dimension transparaît dans le premier livre de Mantei, publié en 2013, Public/privé. Nouvelles acceptions culturelles. Un ouvrage important qui l’a obligé à mettre en mots ses réflexions sur la situation du monde culturel et le système de financement public de la création contemporaine alors que ses fonctions à l’Opéra-Comique l’avaient fait basculer dans le monde des établissements publics. Sa nomination à la direction de Cité de la Musique et la Philharmonie l’a placé à la tête d’un établissement sans équivalent. S’il a été blessé que sa candidature pour la direction de l’Opéra et son projet de réforme ne soient pas retenus par Emmanuel Macron, il a trouvé dans la raison d’être de ces deux lieux et leur situation géographique, le cadre propice à faire que les termes « décloisonnement », « ouverture » et« accessibilité » qu’il a faits siens très tôt ne soient pas des vains mots.
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Olivier Mantei, un parcours harmonique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°642 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : Olivier Mantei, un parcours harmonique