La Société des amis de Versailles fête actuellement son centenaire à travers l’exposition « Cent ans, cent objets » (1). Olivier de Rohan, son président depuis 1987, revient sur sa genèse et commente l’actualité.
La Société des amis de Versailles fête cet automne son centenaire. Quelle est son histoire ?
Lorsque Pierre de Nolhac en est devenu le conservateur, à la fin du XIXe siècle, le château n’était plus meublé depuis la Révolution et se trouvait en très mauvais état. Nolhac avait une volonté nouvelle, celle de restituer au château l’atmosphère de demeure royale habitée. À ce moment-là, très peu de gens s’intéressaient à Versailles. Les ministres n’aimaient pas que l’on évoquât les souvenirs royaux. On venait de raser Saint-Cloud et les Tuileries. C’est alors que Nolhac a créé en 1907 la « Société des amis de Versailles », à l’exemple de la Société des amis du Louvre qui avait été fondée en 1900. Sa raison d’être initiale était de constituer un organisme de lobbying en faveur du projet Nolhac. Il a donc été fait appel aux gens qui comptaient, un mélange de gloires issues du monde des lettres, de la politique, de l’aristocratie. Son premier président fut Victorien Sardou, auquel ont succédé Raymond Poincaré et Alexandre Millerand, lesquels rédigèrent les statuts de l’association. J’ai mis fin à ce petit cercle coopté, pensant que nous sommes à une époque où, certes, nous avons toujours besoin de gens qui comptent, mais que le nombre est plus important que tout. Et nous sommes passés de 300 membres à 6 000. Nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin d’un groupe de pression. Nous pouvons toujours rendre service en restant vigilants et attentionnés comme nous l’avons été pour empêcher, par exemple, il n’y a pas si longtemps, la création de plusieurs centaines de logements dans les jardins de Versailles.
Ce centenaire est célébré par l’exposition « Cent ans, cent objets », organisée dans l’appartement intérieur du roi. Quelles sont les pièces présentées ?
La Société des amis de Versailles souhaitait marquer son centenaire. Nous avons décidé de concentrer l’exposition sur le remeublement du château de Versailles, une opération nécessaire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Les grands appartements sont très difficiles à remeubler. Cela a été fait grâce à des reconstitutions, ou par de très grands meubles rares sur le marché. Quant au mobilier d’argent de Louis XIV, il a disparu pour toujours. En revanche, il est indispensable de remeubler les appartements intérieurs, sinon ceux-ci sont d’une tristesse infinie. De temps en temps, certains meubles passent sur le marché. C’est un grand plaisir d’être un chasseur d’objets pour Versailles, parce que les objets aiment revenir sur leurs lieux d’origine. Ces meubles ont été faits pour les dimensions de ces pièces. Depuis vingt ans, nous nous sommes aussi lancés dans une collection de porcelaines, à l’initiative de Christian Baulez. Nous en avons aujourd’hui un bel ensemble. Le simple fait de poursuivre avec obstination le même chemin sur cent ans donne des résultats formidables. L’objectif de cette exposition est aussi de montrer des appartements que l’on ne peut voir que rarement, parce que ce sont des pièces prévues pour accueillir vingt personnes au maximum. On ne pourra jamais les faire visiter massivement. Ce qui est exposé, c’est vraiment un fonds de maison, avec une commode acquise à hauteur de 50 %, pour 11 millions d’euros, grâce à Mme Pinault, en passant par des tasses de Sèvres, des gravures, un portrait de Nattier… Le rêve est d’obtenir une maison meublée, vivante, plus évocatrice de ce qu’elle a pu être sous l’Ancien Régime.
Quelles sont les missions de la Société ?
Notre activité, extrêmement diverse, est à la fois scientifique – d’enseignement, d’édition, d’aide à la restauration –, et de lobbying. Si on veut maintenir pour Versailles un intérêt qui ne soit pas seulement superficiel et médiatique, il faut que des gens soient instruits sur ces lieux. Nous avons une très grosse activité de conférences. 40 % des visites guidées de Versailles sont réservées exclusivement aux Amis de Versailles. C’est énorme. Nous aidons aussi des publications scientifiques, comme les deux livres de l’Américain Newton sur l’espace du roi et la petite cour (2). Enfin, nous savons qui habitait où. Nous publions aussi notre revue, Versalia, grâce aux soins de notre vice-président, Marcel Raynal. Celle-ci est à la fois très sérieuse et lisible par tous les publics. Le pari est aujourd’hui gagné.
Quels sont vos principaux projets ?
Le château nous a demandé de remettre en état l’un des pavillons de l’aile nord des ministres, où se trouvent des appartements restitués l’année dernière par le Sénat. Les deux premiers niveaux sont en bon état et le troisième en ruine. S’y trouvaient les appartements de courtisans. Nous pourrons ainsi montrer comme vivait Saint-Simon à Versailles. Nous allons devoir trouver 2 millions d’euros, mais il faut passer à l’attaque ! Nous avons aussi le projet, avec les American Friends of Versailles, de restituer le pavillon Frais à Trianon. Nous voudrions également rétablir un balcon dans la cour intérieure du château le long des petits appartements de la reine. Ce balcon permettait le service par l’extérieur. Il rendrait aujourd’hui possible, suivant le projet de l’architecte Frédéric Didier, la visite de ces appartements depuis l’extérieur. Je voudrais par ailleurs créer des groupes de collectionneurs à Versailles pour acquérir des gravures, des tableaux, des meubles...
Quelles relations entretenez-vous avec la société américaine que vous venez d’évoquer ?
D’abord, c’est moi qui l’ai créée. Ensuite, je suis très surpris parce que les Français veulent croire au Père Noël. Pour la restauration du bosquet des Trois-Fontaines, nous avons organisé des dîners dans dix-sept villes des États-Unis. On nous y a dit : « Pourquoi diable donnerions-nous un centime aux Français qui ne font jamais rien pour nous tandis que leurs œuvres appartiennent à l’État ? » Nous leur avons répliqué que nous avions envie de nous faire plaisir. Alors, pourquoi ne pas se faire plaisir ensemble ? Et ce serait un cadeau pour 12 millions de visiteurs par an ! Ils nous ont suivis.
Quels sont vos rapports avec la direction de Versailles ?
De plus en plus concertés. Je m’explique. Nous venons de très loin. Jusqu’à une époque très récente, un conservateur digne de ce nom estimait qu’il n’avait pas à faire la quête pour trouver du mécénat. Les nationalisations ont énormément aidé. Les entreprises nationalisées sont devenues [des entités appartenant au] même monde que les musées, avec les mêmes gens ; cela devenait notre argent. Comme nous sommes un groupe de pression, nous sommes parfois mal vus. Cela dit, les choses changent. Depuis vingt ans, chaque année est plus facile que la précédente. Ce n’est pas encore acté, mais déjà gagné. Nous avons toujours été en avance à Versailles, parce que, dès le départ, depuis Louis-Philippe, le Versailles actuel s’est constitué sur la base du mécénat. Nous avons été un bon exemple.
Vous êtes aussi membre de la Fédération française des sociétés d’amis de musées. Comment analysez-vous aujourd’hui l’activité de ces sociétés ?
Le paysage des sociétés d’amis de musée est très divers, mais cette fédération est de plus en plus vivante, au niveau international également. C’est l’occasion de contacts, d’échanges entre nos différentes sociétés. Quand on n’appartient pas à l’administration, quelle qu’elle soit, cela donne une liberté de manœuvre. Et nous pouvons faire passer un certain nombre de messages que les gens de l’intérieur ne peuvent pas transmettre. Nos sociétés sont destinées à être des médiateurs.
Dans le projet présidentiel de Nicolas Sarkozy figure la gratuité des musées nationaux. Certains d’entre eux vont lancer une expérimentation au 1er janvier 2008 (lire ci-contre). Qu’en pensez-vous ?
D’abord, si j’ai un souhait à formuler, c’est que Nicolas Sarkozy renoue avec la tradition d’habiter Versailles. Le château a été habité jusqu’à Mitterrand compris ; le président Chirac a malheureusement interrompu cette tradition. Le président devrait y recevoir des chefs d’État étrangers, y donner de grandes fêtes en l’honneur de la France.
Pour la question de la gratuité, Jean Ajalbert a réclamé en 1910 que l’entrée de la Malmaison soit payante. Dans ses Mémoires, il donne tous les arguments, le pour et le contre. Il n’y a rien de changé. C’est passé à la Chambre et tout a été dit sur le sujet. Priver aujourd’hui le Louvre et Versailles de leurs recettes serait extrêmement gênant. Je préfère pour moi ce qui est gratuit, mais on ne peut pas se priver de ces recettes. Et il n’y a pas d’incompatibilité entre des entrées payantes et l’instauration d’une gratuité certains jours et à destination de certaines personnes. Ce qui me choque plus, c’est le problème de la reproduction des droits. Quand l’État a acheté une œuvre d’art, le fait que le propriétaire, le Français indivis, doive payer en plus pour avoir le droit de la publier, cela me paraît aberrant. Dans la pratique, il y a des frais de gestion, mais quand même !
Les 6 et 7 octobre aura lieu « Versailles off ». Que pensez-vous de l’introduction de l’art contemporain au Château ?
S’il s’agit de présenter des œuvres contemporaines dans un endroit neutre de Versailles, pourquoi pas ? Si on présentait des portraits contemporains à Versailles, qui est le plus grand musée de portraits du monde, cela aurait un sens à mon avis. En revanche, s’il s’agit de mettre une poupée gonflable sur le lit de Marie-Antoinette, très franchement, cela ne me plaît pas. En 2006, je m’étais opposé à l’exposition des robes de Christian Lacroix dans la chapelle. Il s’agit d’un endroit où l’on dit la messe, et cet endroit a un sens. Comment peut-on faire comprendre ce qu’est la monarchie française si on désacralise la chapelle au point de faire croire aux gens qu’il s’agit du vestiaire de Marie-Antoinette ? C’est absurde.
Quelle est l’exposition qui vous a marqué récemment ?
J’ai été marqué cet été par la chapelle Saint-Joseph à Lannion (Côtes-d’Armor) où j’ai fait beaucoup de découvertes. Aussi, j’ai très envie d’aller voir la Cité de l’architecture et du patrimoine [à Paris]. J’y ai eu pendant quelques années mon bureau. J’ai pu constater le massacre de ces lieux, lequel a commencé il y a très longtemps. J’ai vu l’hémorragie être arrêtée, en ce qui concerne les fresques, par le conservateur Robert Dulau. Une collection admirable a été saccagée, un exemple de gabegie prodigieux. J’ai connu le Musée des monuments français tel que Paul Deschamps l’avait imaginé. C’était un musée parfait, achevé, où l’on ne pouvait rien changer, ce qui était aussi terrible, sans vie. La collection de moulages est formidable. Les cathédrales ne sont plus aujourd’hui comme au temps où les moulages ont été réalisés. Curieusement, ces moulages sont plus originaux que les originaux eux-mêmes. C’est passionnant. Mais pour en revenir à Versailles et conclure, c’est vraiment un musée où le passé a un futur parce que l’on y est constamment à sa recherche.
(1) au château de Versailles jusqu’au 18 novembre, tlj sauf lundi 9h-18h30, 9h-17h30 à partir du 31 octobre.
(2) William Ritchey Newton, L’Espace du roi, la cour de France au château de Versailles 1682 1789, éd. Fayard, 300 p., 45,20 euros ; La Petite Cour de Versailles. Services et serviteurs 1682-1783, éd. Fayard, 40 euros.
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Olivier de Rohan, président de la Société des amis de Versailles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Olivier de Rohan, président de la Société des amis de Versailles