Minimal dosmestiqué

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 930 mots

Construit par l’agence zurichoise Gigon/Guyer, le nouveau bâtiment de l’Espace de l’Art concret offre une enveloppe manifeste et en accointance avec la donation Albers-Honegger.

Construit au XVIe siècle, le château de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) était l’emblème de l’Espace de l’Art concret (lire le JdA n° 179, 24 octobre 2003). Son initiateur, Gottfried Honegger, avait même déterminé le logo de l’institution à partir de son plan triangulaire. Signé par l’agence zurichoise Gigon/Guyer, le nouveau bâtiment conçu pour abriter la donation Albers-Honegger devrait changer la donne. Ce n’est pas la première fois que l’architecture contemporaine s’invite dans le parc de Mouans-Sartoux. En 1998, Marc Barani y avait construit l’atelier pédagogique de l’Espace de l’Art concret, répondant à la vocation expérimentale et pilote de l’équipement par un volume exemplaire et fonctionnel mais quasiment invisible du château. À l’inverse, Annette Gigon et Mike Guyer font face à ce dernier, élevant légèrement en contrebas une quatrième tour, détachée et vert acide.

Tranché et sculptural
Avec une faible emprise au sol, mais une surface utile de 1 216 m2, le bâtiment se déploie sur cinq niveaux, articulés en spirale autour d’un escalier central. À travers sa verticalité, la construction dialogue avec son environnement dans un double jeu d’intégration et de détachement, amplifié par l’usage d’un béton brut peint en vert. La teinte anticipe la patine naturelle induite par la forêt, tout en se démarquant par son caractère lumineux et artificiel.
Le recours à une enveloppe colorée n’est pas une nouveauté dans la production de Gigon & Guyer. Réalisé en 1996, le poste d’aiguillage de Zurich emprunte la couleur rouille de son revêtement aux matériaux environnants, tandis que les complexes de résidences et de bureaux Broëlberg (Kilchberg, Suisse, 1996) et Pflegiareal (Zurich, Suisse, 2002) utilisent pour leurs façades des aplats ordonnés de manière très picturale, rythmant l’architecture. Tout récemment encore, Gigon et Guyer employaient pour les espaces d’enseignement de la Fondation Appisberg (Männedorf, Suisse) livrés en 2002 une teinte proche de celle choisie pour Mouans-Sartoux. Bien que plus complexe ici dans son dessin, le résultat est similaire : un volume tranché et sculptural.
Fondée en 1989 par Annette Gigon (de nationalité suisse, auparavant collaboratrice de Herzog & de Meuron) et Mike Guyer (Américain, collaborateur jusqu’en 1988 de Rem Koolhaas), l’agence Gigon/Guyer s’inscrit en cela de plain-pied dans l’école architecturale de la Suisse alémanique, région dans laquelle ont été réalisés la quasi-totalité de leurs bâtiments, dialoguant avec les réalisations marquantes de Herzog & de Meuron, de Diener & Diener ou de Peter Zumthor. Rappelons que c’est à partir de ce contexte architectural que, au début des années 1990, le critique Martin Steinmann a introduit le terme de « forme forte (1) ».

La lecture de l’usage
Depuis la théorie de la Gestalt et l’observation des constructions contemporaines, Steinmann entendait alors tirer de l’art minimal des enseignements aussi riches et divers pour l’architecture que ce que lui avait apporté dans les années 1960 la fréquentation du pop. Consacré à l’Art concret, le bâtiment de Mouans-Sartoux ne peut que se prêter à cette lecture (la chose a d’ailleurs été entérinée l’an passé avec l’exposition « Nouvelle Simplicité », proposée par Dominique Boudou, directrice de l’Espace de l’Art concret) à cette condition de la doubler d’une notion liée à l’usage du bâtiment et à l’expérience du visiteur : sa dimension domestique.
Depuis le Musée Kirchner de Davos (Suisse, 1992) jusqu’à la rénovation actuelle du Kunstmuseum de Bâle, en passant par l’extension du Kunstmuseum de Winterthour (1995) [lire le JdA n° 20, décembre 1995], le Musée Liner d’Appenzell (1998) ou le Musée et parc archéologique de Kalkriese (Osnabrück, Allemagne), Gigon/Guyer ont multiplié les projets muséaux en s’inscrivant à rebours de l’école « Guggenheim ». Le musée n’a pas à faire « événement ». Pour autant, il n’a aucune raison de sombrer dans la neutralité factice du cube blanc. Cet équilibre est particulièrement sensible à Mouans-Sartoux. Pas de lumière zénithale (corollaire indispensable de la machine à exposer) mais de larges ouvertures latérales, toutes identiques, dont la position vient différencier quinze salles de taille restreinte et hauteur sous plafond variable. En parfaite accointance avec la nature historique et thématique des collections qu’il recueille, le bâtiment de la donation Albers-Honegger est d’autant plus juste qu’il accompagne pleinement la transmission d’un regard.

(1) « Dans l’architecture contemporaine, on peut constater une tendance à concevoir les bâtiments comme des volumes, simples, clairs, des volumes dont la simplicité confère une grande importance à la forme, au matériau, à la couleur, et cela indépendamment de toute référence à d’autres bâtiments. Ces projets ne portent plus le masque de formes étrangères, destiné à cacher qu’ils n’ont pas de visage propre. Ces projets se caractérisent par la recherche de la forme forte – de la Gestalt », Martin Steinman, « La forme forte. Vers une architecture en deçà des signes », Faces 19, printemps 1991, repris dans Forme forte. Écrits 1972-2002, Birkhäuser, 2000.

Une donation historique et contemporaine

Riche de 500 œuvres de 164 artistes, la collection de l’Espace de l’Art concret, constituée des donations de Sybil Albers, Gottfried Honegger, Aurelie Nemours, de la Fondation Albers-Barriers et de la Brownstone Foundation, est entièrement dévolue à l’art abstrait géométrique ou construit. Un champ vaste, puisqu’il considère aussi bien Max Bill, Josef Albers, Charles Eames, Joseph Kosuth ou Jean Tinguely que Cédric Teisseire, Gilles Mahé et Thomas Hirschhorn. L’ensemble a été donné à l’État sous couvert qu’un bâtiment lui soit dédié. Outre dix salles du château, dans lesquelles seront organisées les expositions, l’institution dispose maintenant de 645 m2 dans un nouveau bâtiment. Financé par l’État, la Ville, la Région et le département, celui-ci aura coûté 3,5 millions d’euros.

Espace de l’Art concret, Donation Albers-Honegger

Château de Mouans, 06370 Mouans-Sartoux, tél. 04 93 75 71 50, tlj, du 1er juin au 30 septembre 11h-19h, du 1er octobre au 31 mai, 11h-18h. Catalogue, Pour un art concret, la donation Albers-Honegger, CNAP/Isthme éd., 304 p. 500 ill., 40 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Minimal dosmestiqué

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