Constitué avant tout de manifestations en librairies, le Mai du livre d’art 2004 entend s’appuyer sur cet intermédiaire essentiel entre le livre et le lecteur. Entretien avec Mijo Thomas, présidente du groupe Art du SNE.
Gérante des éditions Macula, Mijo Thomas a été élue en octobre 2003 présidente du groupe Art du Syndicat national des éditeurs (SNE), qui coordonne chaque année le Mai du livre d’art. À l’occasion de l’édition 2004, elle revient sur l’édition du livre d’art et ses spécificités.
Le Mai du livre d’art en est à sa dix-septième édition, pouvez-vous revenir sur le but de cette manifestation et les formes qu’elle a prises ?
Le Mai du livre d’art a été créé sur un constat simple : l’immense majorité des livres d’art était publiée au cours du dernier trimestre de l’année, pour Noël. Permettre l’étalement des ventes était un souci économique pour les éditeurs, mais signifiait aussi que l’art n’est pas un paquet de chocolats pour les fêtes, il est consubstantiel à notre vie, nous sommes éditeurs de livres d’art du 1er janvier au 31 décembre. Il est évidemment plus facile d’étaler la charge de fabrication sur deux saisons. Les livres d’art nécessitent des investissements lourds sur un temps long. Leur fabrication est plus complexe que pour la fiction, leur production peut s’étaler sur plusieurs années. Le Mai du livre d’art nous a réunis pour promouvoir en commun un livre édité au printemps. Désormais, il existe une véritable normalité de parution à cette saison : notre but est atteint, même si la majorité des ventes se font encore à Noël. Pour le Mai, les éditeurs mettent peut-être en avant des livres plus difficiles, plus originaux.
Cette année encore, le Mai du livre d’art s’accompagne de la mise en place de « La très grande librairie » au Lieu Unique de Nantes (lire l’encadré), et de nombreux événements dans les librairies. La manifestation était autrefois accompagnée de remises sur les livres, pourquoi n’est-ce plus le cas ?
D’une part, les temps sont devenus plus durs, les prix sont désormais plus resserrés. Par ailleurs, cela nourrissait un mouvement contradictoire : vendre du livre à 20 % moins cher pour cette opération induisait dans la tête du client que notre marge était démesurée sur l’ensemble de la production. Car le livre d’art est souvent perçu comme trop cher. Aujourd’hui, nous souhaitons communiquer sur les livres dans l’endroit où ils sont : les librairies, parce que les libraires sont nos premiers supports. Ce sont eux qui vont rendre le livre visible, qui sont l’intermédiaire avec le lecteur. Nous sommes particulièrement attachés à leurs diversités et conscients de leurs difficultés. Voilà pourquoi le nouveau Mai du livre d’art est avant tout constitué de manifestations dans les librairies. Nous organisons une soixantaine d’animations à Tours, Lille, Angers, Toulouse… Faire un événement autour de ces ouvrages est une gageure. Le livre d’art est une alliance entre texte et image, l’auteur est rarement mis en avant. C’est ce que nous allons essayer de faire. Le Mai est aussi présent en bibliothèque, et nous proposons cette année à Nantes une journée de formation pour les bibliothécaires.
L’édition française vient de connaître d’importants mouvements de concentration. En quoi ceux-ci affectent l’édition d’art ?
Le livre d’art représente environ 6 % du chiffre d’affaires global de l’édition française, mais son poids symbolique est fort, tout comme son effet d’entraînement. Sur les 35 éditeurs participant au Mai 2004, les deux tiers sont des indépendants, le dernier tiers étant constitué d’institutionnels ou d’éditeurs intégrés à de grands groupes. Le dépôt de bilan de Vilo montre la vulnérabilité de la profession. La diversité est une des particularités du groupe Art au sein du Syndicat national de l’édition. De la microstructure aux gros éditeurs, chacun possède la même capacité d’action. Toutefois, il est clair que nous sommes attentifs aux phénomènes de concentration. Hazan est depuis quelques années dans le giron de Hachette, Flammarion a été repris par Rizzoli, le Seuil rejoint La Martinière… Le problème est que les investissements lourds et les temps longs induits par notre secteur sont antinomiques avec ce que veulent souvent les financiers, à savoir un retour sur investissement rapide. Je ne suis pas sûre qu’un livre mythique comme le Matisse de Pierre Schneider paru en 1992 chez Flammarion soit encore possible aujourd’hui (dix ans de travail !). Dans le même temps, un tel ouvrage prouve que la rencontre entre un sujet, un auteur, un propos et une qualité d’illustration font un succès durable. Nous ferons tout pour que notre diversité soit préservée, pour que les secteurs arts gardent leur liberté. Notre métier est une passion.
Ne pensez-vous pas que la publication d’essais sur l’art se fait rare et que les livres d’art sont aujourd’hui de plus en plus souvent des catalogues d’exposition ?
Non, c’est plus complexe. Il ne peut y avoir livre d’art s’il n’y a pas étude sur l’art. Un livre qui ne comporte que des images est un beau livre et non un livre d’art. Le texte, la qualité de l’étude, la mise en perspective d’une œuvre sont aussi nécessaires que la belle impression. Maintenant, la presse a tendance à ne pas considérer la parution d’un livre d’art comme un événement en soi. Éditer un livre n’est plus suffisant pour faire date. Le livre a été dévalorisé et il ne se suffit plus, d’où leur sortie en rapport avec des événements comme les expositions.
Le groupe Art que vous présidez au sein du Syndicat national des éditeurs publie avec le Carré des arts un bulletin d’information dont l’édito du numéro de mars 2004 était intitulé de manière provocatrice : « Les livres d’art seront-ils sans images ? ». Pouvez-vous revenir sur cette inquiétude ?
Le titre est en effet très provocateur et c’est volontaire. En dix ans, les droits ont doublé en coûts. En 1992, pour un livre vendu 50 euros, les droits de reproduction représentaient 3,10 euros ; en 2002, ils se chiffrent à 6,20 euros. Hélas, nous ne pouvons pas dire que le sens va s’inverser. La première des choses est donc la difficulté financière. La seconde est que l’obtention même des droits devient un parcours du combattant. L’investissement en temps est aussi fort et préjudiciable que l’investissement financier. Quand une illustration nécessite près d’une demi-semaine de travail, pensez à ce que cela représente pour 120 ! Les autorisations sont de plus en plus restrictives. Nous sommes dans un débat qui ne fait que commencer. Ce numéro du Carré des arts doit aider à la prise de conscience. Il montre que, si le mouvement s’accentue, les images vont se faire de plus en plus rares. Cela dépasse le livre d’art, cela touche le livre scolaire, universitaire. Les médias dans leur ensemble ont des images de plus en plus censurées, floutées, recadrées… Le problème du droit à l’image est un sujet sur lequel nous nous battons depuis plus de dix ans. Les éditeurs d’art ont été les premiers concernés, mais aujourd’hui cela touche tout le monde.
Cette année, le Mai du Livre d’art met en avant 35 titres abordant l’art, l’architecture, la photographie ou encore le cinéma, dont nous vous proposons une sélection dans les pages suivantes. Accueillie par le Lieu Unique à Nantes, la manifestation « Le Livre et l’art », qui propose une librairie de 15 000 ouvrages mise en espace par les architectes Benjamin Avignon et Saweta Clouet, est, après le succès des années précédentes, reconduite. En 2003, plus de 16 000 visiteurs sont venus feuilleter et lire bien sûr, mais aussi participer aux rencontres, lectures, débats organisés du 2 au 6 juin (tél. 02 40 12 14 34). Mais c’est aussi sur l’ensemble du territoire que le Mai est présent avec plus de soixante animations dans les librairies de toute la France. Programme complet sur www.mai-livredart.com
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Mijo Thomas : « Préserver la diversité des éditeurs »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : Mijo Thomas : « Préserver la diversité des éditeurs »