Michel Draguet, directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique, commente la situation des musées du pays.
Michel Draguet est le directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique, qui comprennent six musées. Il enseigne également à l’Université libre de Bruxelles. Il a conduit les chantiers d’ouverture du Musée Magritte en 2009 et du Musée Fin-de-Siècle en 2013. Il fait le point sur la situation des musées en Belgique.
Où en sont les projets d’extension des Musées royaux des beaux-arts de Belgique à Bruxelles ?
Nous avons procédé ces dernières années au redéploiement des collections des musées : la première étape était le Musée Magritte, la deuxième, le Musée Fin-de-Siècle et la troisième étape devait être la réouverture du Musée d’art moderne couvrant la période de 1914 à nos jours. Le précédent gouvernement avait donné son accord pour affecter les anciens magasins Vanderborght à Bruxelles, dans le cadre d’un partenariat entre la Ville de Bruxelles et les Musées royaux. Entre-temps, les élections ont amené des gouvernements asymétriques entre l’État, la Région et la Ville de Bruxelles. L’actuelle secrétaire d’État a commandé des études et veut privilégier la formule qui consiste à laisser les collections dans le bâtiment actuel du Musée d’art ancien. Or, celui-ci est trop étroit et il faudrait réaliser des travaux d’une ampleur qui dépasse les possibilités de notre économie budgétaire actuelle. Le bâtiment a besoin d’une extension, d’une reprise complète des toitures, de la climatisation et de la sécurité. On parle d’une enveloppe de 60 millions d’euros alors que cela n’a pas été la priorité des gouvernements de Belgique successifs.
D’une manière pragmatique, le bâtiment Vanderborght me semblait la meilleure solution, avec un budget de 7 millions d’euros abondé par la Régie des bâtiments, de 6 millions d’euros venant de la Ville de Bruxelles (déjà votés) et de 2,5 millions d’euros mis en réserve par les Musées royaux. Il a fallu dix ans pour rénover les salles d’entrée et créer un auditorium : j’ai des doutes sur la capacité actuelle de l’État à financer la réfection totale.
En quoi la situation politique en Belgique complique-t-elle la mise en œuvre de projets culturels ?
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où les différents niveaux de pouvoir sont asymétriques et ne dialoguent pas. Ils sont dans une phase où ils produisent leurs propres projets, ou y renoncent. On en arrive à une situation assez étrange où la Région bruxelloise annonce la création d’un musée d’art contemporain qui n’a pas de collections dans les anciens garages Citroën, et où un musée fédéral qui a des collections n’a pas de bâtiment adéquat.
Quelle est la politique des musées belges en matière de gratuité d’entrée ?
Les musées de la Communauté française de Belgique proposent la gratuité le dimanche. Nous offrons une gratuité l’après-midi les premiers mercredis du mois. Personnellement, je ne suis pas du tout un adepte de la gratuité. Elle est valable si l’on accepte qu’un musée fonctionne uniquement avec sa dotation. Pour nous, cela équivaudrait à fermer les 4/5es des surfaces, supprimer 4/5es des personnels. Cela ne tient pas compte des paramétrages économiques. Aujourd’hui, la gratuité totale est un principe qui ne bénéficie pas aux pauvres mais aux riches, cela ne lève nullement les barrières psychologiques de l’entrée au musée. C’est un faux débat, ou alors, il faudrait engager également la réflexion sur la gratuité des produits de première nécessité ! Je suis plus tenté par des opérations ponctuelles de gratuité sur des publics cibles, les moins de 25-30 ans par exemple.
La nouvelle secrétaire d’État à la Culture compte sur le mécénat pour soutenir les musées : cela vous semble-t-il réalisable ?
Cela fait dix ans que je suis là : j’ai connu la dégradation du mécénat en Belgique, d’abord par la disparition des grandes entreprises belges passées sous contrôle étranger, la migration des centres de pouvoir économique, puis la crise de 2008 qui a encore aggravé la situation. Le mécénat est en crise en Belgique. L’initiative de la secrétaire d’État est intéressante, mais son vrai travail sera de faire passer des textes de lois qui rentabilisent le mécénat auprès des grandes entreprises.
Aujourd’hui, il n’y a aucun dispositif légal qui favorise le mécénat. Tout ce que vous avez eu en France depuis le début des années 2000 n’a jamais été voté en Belgique, notamment parce que les partis de gauche y étaient opposés.
La censure est de plus en plus d’actualité avec la montée des questions religieuses. Quelle réponse apporter face aux crispations ?
En mars 2016, nous allons présenter une exposition sur Andres Serrano : on est au cœur du débat. Je ne cache pas que, dans la sélection des œuvres, il y en a parfois que je trouve assez violentes à présenter au public dans un premier temps. Mais il n’y a aucune raison de censurer le Piss Christ [une photographie représentant un crucifix plongé dans de l’urine, NDLR] dans le sens où Serrano se considère comme un artiste chrétien. Il y a eu quelques exemples de « censure » ces temps-ci, c’est une manière de répondre par la peur à une politique de terreur, mais nous avons une obligation pédagogique et éducative. Pour l’exposition de Serrano, un audio-guide se présentera sous la forme d’un dialogue de l’artiste avec le visiteur. Et dans une autre pièce seront exposées les œuvres vandalisées, car bien souvent la censure s’accompagne de vandalisme. Il faut écouter, dialoguer, éduquer au respect de l’autre, et non pas opposer avec violence.
Quels sont les grands défis des prochaines années pour les musées ?
Il y a deux défis : à court terme, il faut arriver à poursuivre une politique culturelle de qualité dans une période de restriction budgétaire drastique, en Belgique mais aussi partout en Europe. À plus long terme, c’est l’occasion de repenser la place du musée dans le XXIe siècle, à l’heure du numérique et d’un saut qualitatif sans précédent de toutes les technologies de l’image : le « Google Art Project » bouleverse la relation de l’œuvre avec l’œil. Refuser la technologie ne sert à rien, il faut l’intégrer intelligemment. C’est fascinant en termes de médiation : c’est au monde des musées d’inventer le discours, la narration, en gardant la préciosité de l’œuvre unique et le rapport à l’authentique.
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Michel Draguet : « Aucun dispositif légal ne favorise le mécénat »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Michel Draguet : « Aucun dispositif légal ne favorise le mécénat »