Grand prix national d’architecture 1999, l’Italien Massimiliano Fuksas a construit de nombreux bâtiments en France. Il vient de remporter le concours pour le nouveau Centre des archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), qui ouvrira en 2009. Il commente l’actualité.
Vous êtes lauréat du concours pour les Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine. Comment avez-vous pris en compte la ville existante dans votre projet ?
La vraie question était de résoudre différentes échelles, avec différentes typologies de la banlieue parisienne, dans laquelle il y a des tours d’un côté, des pavillons de l’autre, enfin l’université et la gare RER, et un espace non construit. 85 % du programme concerne les réserves pour les Archives. Les 15 % restants sont des bureaux, des salles de conférences et de lecture. L’idée était de proposer pour les réserves un coffre formant un miroir pour le ciel et les arbres. Le côté de la vie quotidienne est à la même échelle que les constructions du quartier, côté ville. Le coffre est presque une installation d’art contemporain, à l’échelle que l’on a aujourd’hui de l’art.
C’est plus proche du land art. L’art est pour moi l’une des nécessités de la ville. Que nous manque-t-il dans la ville ? Que nous manque-t-il à la périphérie de Paris ? C’est l’œuvre d’art. On peut reconquérir la ville à partir de l’œuvre d’art, de la culture. La culture, qui était toujours pensée au centre de la ville, doit être utilisée aujourd’hui pour reconquérir des lieux que l’on appelle « périphériques », mais qui sont pour moi la vraie ville. Je voudrais éliminer les deux mots que sont « banlieue » et « périphérie » parce que la vraie ville, aujourd’hui, est à l’extérieur de la ville. Paris intra-muros compte deux millions d’habitants.
Autour, on a dix millions d’habitants, soit cinqfois plus qu’à l’intérieur de ce lieu historiquement déterminé. La vraie ville se situe où l’on ne l’a jamais pensé. Ce sont les citoyens qui font la ville. Ce sont ceux qui habitent en dehors des centres historiques qui créent les liaisons urbaines et sociales, même si elles sont parfois difficiles.
À Boulogne-Billancourt, tout un nouveau quartier est en train de voir le jour. Pensez-vous, comme le laisse entendre François Pinault, qu’il y a en France trop de lourdeurs administratives qui ralentissent les projets ?
Je crois que la vraie question est celle de l’envie. Chaque fois qu’il y a de l’envie, on fait les choses. Je suis d’accord sur le fait que les règles – et pas la bureaucratie – liées aux ZAC [zones d’aménagement concerté] sont conçues selon un système du « bilan zéro », c’est-à-dire que l’on ne peut pas perdre d’argent, qu’il faut remplir comme un œuf les terrains parce qu’ils sont très chers, avoir le maximum de rentabilité… Il n’y a pas trop de possibilités pour les privés d’intervenir en France. Peut-être n’y a-t-il pas non plus de privés. La France a fait un travail formidable pendant les années 1970, avec la réorganisation de l’État, de l’économie, l’innovation. Après, elle a un peu oublié. Il faut recommencer à innover, à changer, avoir moins de certitudes. Il ne faut pas que cela soit un drame collectif chaque fois que l’on veut changer une loi, une méthode. Il faut le prendre comme une chose normale dans une société qui doit aller beaucoup plus vite, qui doit s’adapter à un environnement global, international. Pour Boulogne, il aurait fallu un peu plus de folie, alors que les projets sont finalement assez conventionnels. La France est forte quand elle a une vision presque folle, comme avec Beaubourg par exemple. Il faut retrouver cela. Il ne faut pas avoir peur.
Comment réagissez-vous à l’arrivée de la collection Pinault à Venise ?
Je crois que l’île Seguin et Venise ne sont pas comparables. D’un côté, il y a un moteur culturel qui doit construire autour de lui une ville sur l’emplacement d’un lieu historique pour la classe ouvrière. Le Palazzo Grassi, à Venise, c’est quelque chose de totalement différent. Il fait seulement 1 500-2 000 m2. Et il ne sera pas simple de lui ajouter une extension, parce que construire dans les centres historiques italiens, ce n’est pas un cadeau. De plus, le palais n’a pas été conçu pour la culture de l’installation, de l’art contemporain. L’arrivée de cette collection est évidemment une chance pour l’Italie, mais que va-t-il être exposé ? On n’en sait rien. Ce projet n’est en tout cas pas du tout à l’échelle de ce qui était prévu sur l’île Seguin. La seule chose commune, c’est qu’il y a de l’eau dans les deux villes !
Une exposition vous a-t-elle marqué dernièrement ?
Oui, le musée nomade de Shigeru Ban présenté actuellement à New York, jusqu’au 6 juin, davantage la structure, d’ailleurs, que les photographies de Gregory Colbert montrées à l’intérieur.
Ce musée nomade, dont on peut modifier l’espace, peut être installé pour trois ou quatre mois et ensuite aller ailleurs. Je trouve que c’est une très belle idée. C’est peut-être ce qu’il faut faire sur l’île
Seguin ! Je m’intéresse aujourd’hui à comment transformer des lieux statiques comme les musées en des architectures modifiables, pouvant devenir autre chose. Les musées sont souvent seulement des enveloppes, sans forcément savoir ce que l’on va mettre à l’intérieur, d’ailleurs. On n’arrive pas à avoir simultanément une belle architecture et de belles œuvres. C’est un mariage qui reste difficile.
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Massimiliano Fuksas, architecte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : Massimiliano Fuksas, architecte