Attiré par ce paysage désolé encerclé de montagnes, Donald Judd s’est installé à Marfa, au Texas, en 1971. Grâce aux fonds qu’il avait reçus de la Fondation Dia pour les Arts, l’artiste y a construit son premier espace d’exposition pour accueillir – sous le patronage de Chinati, la fondation à but non lucratif qu’il a créée et baptisée du nom d’une montagne voisine –, ses pièces dépouillées –, ainsi que des installations permanentes signées John Chamberlain, Dan Flavin ou encore Claes Oldenburg.
MARFA, TEXAS (de notre correspondante) - Donald Judd vivait à Marfa en reclus et achetait sans relâche les propriétés qui l’intéressaient. Aussi n’est-il pas étonnant que ses relations avec les habitants et les entreprises locales aient souvent été tendues.
Lorsqu’il est mort, en 1994, ses héritiers se sont retrouvés à la tête d’un petit empire foncier, mais également face à de lourdes dettes. Pendant que son fils Flavin (qui doit son prénom à Dan Flavin) et sa fille Rainer, alors âgés d’une vingtaine d’années, essayaient d’assumer cette énorme responsabilité, son ancienne compagne Marianne Stockebrand faisait son possible pour conserver la Fondation Chinati et la maintenir fiscalement à flot. Au même moment, la tension devenait de plus en plus forte entre Flavin et Rainer Judd d’un côté, et Marianne Stockebrand de l’autre. Aujourd’hui, les relations entres les différentes parties sont moins orageuses, et il semble que les réalisations et les projets de Donald Judd pourraient non seulement lui survivre, mais aussi se développer. En effet, Marianne Stockebrand a été nommée directrice de la Fondation Judd, qui devient indépendante, et garde son poste de directrice à la Chinati. Par ailleurs, elle est membre du conseil d’administration de la Fondation Judd, tout comme Flavin et Rainer, ainsi que l’avocat et ami de l’artiste, John Jerome.
La Fondation Judd sera notamment chargée des archives de Donald Judd, de la vente du mobilier qu’il a conçu et de la conservation de ses œuvres ; elle disposera en outre d’un droit de regard sur les expositions organisées hors de Marfa. Elle assurera aussi la gestion et l’aménagement des quelque quinze bâtiments, principalement à Marfa, dont Donald Judd était propriétaire. “Il était temps de se mettre d’accord, a déclaré John Jerome. Don aurait voulu que les deux parties travaillent main dans la main, j’en suis certain, et tout va plutôt bien. C’est le yin et le yang. Nous ne pouvons rien faire les uns sans les autres”.
Grâce à la collaboration entre les fondations Judd et Chinati, plusieurs projets ont pu voir le jour : une grande galerie d’art contemporain vient d’être inaugurée (une deuxième pourrait suivre très bientôt), et la Fondation Lannan vient de décider de la création à Marfa d’une résidence pour écrivains. La Fondation Chinati est parvenue à un certain équilibre financier et prévoit d’instaurer une dotation pour financer son budget annuel d’exploitation de 500 000 dollars (environ 3 millions de francs). Sa priorité reste l’organisation d’expositions et le maintien des installations permanentes d’artistes tels que Oldenburg, Chamberlain, Ilya Kabakov et Carl Andre. La Chinati entreprend également la réalisation de projets que Judd n’avait pu terminer, comme l’ambitieuse installation conçue par Dan Flavin, aujourd’hui décédé, et l’ensemble de dix constructions en béton que Donald Judd avait imaginé.
Aujourd’hui, près de 20 % du budget de la Chinati est assuré par la vente de gravures en tirage limité et la location du site pour des séances de photos. Calvin Klein et la décoratrice Martha Stewart sont des clients réguliers. Le restant est apporté par les collectes de fonds annuelles que mènent Marianne Stockebrand et les autres trustees, au nombre desquels figurent John Jerome, le marchand new-yorkais Brooke Alexander, le directeur du Stedelijk Museum Rudi Fuchs, l’ex-directeur du Kimbell Art Museum Ted Pillsbury, et l’acteur Tommy Lee Jones.
Les œuvres minimalistes de Donald Judd sont devenues la seconde grande attraction de la ville pour les touristes, après le phénomène naturel des “lumières de Marfa”. Les installations de l’artiste attirent chaque année près de 10 000 visiteurs, dont plusieurs centaines assistent aux journées portes ouvertes que la Chinati organise au mois d’octobre. Rares sont les habitants de Marfa qui affirment comprendre l’art de Donald Judd, mais ils ont parfaitement compris qu’il était très profitable à leur ville.
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Marfa, phare de Judd
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : Marfa, phare de Judd