La directrice d’un musée italien estime avoir trouvé une sculpture qui peut être attribuée au peintre de la Renaissance. Un événement pour l’histoire de l’art.
IRSINA, MATERA - L’artiste italien de la Renaissance Andrea Mantegna (1430/31-1506) a-t-il été aussi sculpteur ? D’après Clara Gelao, directrice de la Pinacothèque provinciale de Bari, une statue de pierre peinte de la cathédrale d’Irsina, représentant sainte Euphémie, est de la main de l’artiste. « J’ai la conviction que cette œuvre est une des rares sculptures exécutées par le grand artiste de Padoue dans sa jeunesse. Mon argument principal s’appuie sur l’extrême proximité entre le style de cette statue et celui des tableaux de Mantegna », nous a-t-elle confié. Dans ce cas, l’œuvre serait la seule sculpture connue de l’artiste. Pour David Landau, commissaire de l’exposition Mantegna organisée en 1992 à la Royal Academy de Londres, et Anthony Radcliffe, ancien conservateur des sculptures au Victoria & Albert Museum, à Londres, cette attribution mérite d’être prise au sérieux.
La sculpture, qui n’a jamais été restaurée, se dresse dans une niche à droite de l’autel de la cathédrale d’Irsina. Haute de 1,72 mètre, elle présente la Vierge la main droite prise dans la gueule d’un lion doré. Sa poitrine est barrée d’une entaille qui semble provenir d’un coup de couteau, comme en allusion à son martyre. Clara Gelao a découvert la statue dans les années 1970. L’expression de son visage et les drapés de son vêtement lui ont immédiatement rappelé les peintures de Mantegna. Et, pendant les trois décennies qui ont suivi, elle a traqué les indices documentaires susceptibles de donner corps à son attribution.
Aujourd’hui, elle pense les avoir trouvés dans un court poème latin, La Vie de sainte Euphémie, découvert à la Bibliothèque vaticane. Le texte a été composé en 1592 par Pasquale Verrone, archidiacre de Montepeloso – l’ancien nom du diocèse actuel d’Irsina. Il fait acte des présents offerts par un certain Roberto De Mabilia à la cathédrale de Montepeloso en 1454. Les archives de Padoue mentionnent que De Mabilia était le prêtre de l’église de San Daniele de Padoue au XVe siècle. Il était né à Montepeloso, qui fut érigé en évêché en 1452 par le pape Nicolas V. L’église locale Santa Maria fut alors transformée en cathédrale, et se mit en quête d’un nouveau saint patron.
De Mabilia entretenait d’étroites relations avec sa ville d’origine et lui faisait souvent parvenir des reliquaires de son église de Padoue. Un de ses dons, une relique qui passait pour un os du bras droit de sainte Euphémie, incita la nouvelle cathédrale à adopter le patronage de la sainte. En 1454, le prêtre De Mabilia commanda à des artistes padouans un certain nombre d’œuvres dont il fit cadeau à Montepeloso. Le poème latin énumère ces œuvres parmi lesquelles une peinture qui, selon l’archidiacre Verrone « a été exécutée de l’excellente main d’Andrea, à qui a été accordé le nom honorifique de Mantegna », et deux statues « surpassant le génie de Phidias », l’une de la Vierge à l’Enfant peinte, la seconde de sainte Euphémie. Le tableau, qui représente également la sainte, porte la signature de Mantegna et date de 1454. Il est exposé au Musée de Capodimonte à Naples. L’argumentation de Clara Gelao est confortée par des documents écrits identifiant Mantegna en tant que sculpteur. Indice supplémentaire, trois proéminences dans la main gauche d’Euphémie supportent un château en réduction, l’emblème même de Montepeloso. En outre, la pierre dans laquelle est sculptée la statue provient des monts Berici, près de Padoue.
Clara Gelao devrait publier prochainement aux éditions La Bautta (Matera, Ferrare), sous le titre Andrea Mantegna et la donation De Mabilia à la cathédrale de Montepeloso, le détail de sa recherche. Ses hypothèses ont reçu l’aval de Michele d’Elia, directeur de l’Instituto Centrale del Restauro de Rome, l’un des plus importants laboratoires italiens de restauration.
Les spécialistes de l’art de la Renaissance se réjouissent de cette découverte, soulignant qu’il y a déjà, sur la seule foi des photographies, des motifs de penser que l’attribution est justifiée. D’après David Landau, cette « attribution [est] tout à fait possible. Le visage et d’autres détails sont caractéristiques de l’œuvre de l’artiste ». Pour Anthony Radcliffe, l’objet « mérite un examen sérieux en raison de son aspect particulier ». Il a lui-même argumenté en faveur de l’attribution à Mantegna d’une autre sculpture, conservée au Liechtenstein Museum à Vienne. C’est en Allemagne, en 2001, que l’institution avait acquis cette statuette en bronze doré du début du XVIe siècle. Une attribution similaire a encore été avancée pour une autre statue de bois, une Pietà affublée d’anges, présentée lors de l’exposition « Chefs-d’œuvre de l’art de la Renaissance » organisée par les Salander-O’Reilly Galleries à New York en 2001. Andrew Butterfield, vice-président de cette galerie, assurait que « cette attribution a[vait] reçu des encouragements très sérieux de la communauté scientifique ». La Pietà appartient aujourd’hui à un collectionneur privé.
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Mantegna a-t-il été sculpteur ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Mantegna a-t-il été sculpteur ?