Trois expositions, à Padoue, Vérone et Mantoue, célèbrent le Ve centenaire de la mort d’Andrea Mantegna. Un anniversaire terni par une polémique sur le prêt du fragile « Christ mort ».
Un artiste pour trois villes, trois villes pour un artiste », tel est le credo de la manifestation en trois volets qui retrace en Italie, jusqu’au mois de janvier 2007, la longue et fructueuse carrière d’Andrea Mantegna (1431-1506). Le voyage débute à Padoue, où le maître fit ses armes dans l’atelier d’un peintre local féru d’antiquités, Francesco Squarcione, avant d’effectuer ses premières réalisations comme pictor et magister autonome. Pour évoquer ces années (1445-1460) fondamentales dans la genèse du style de l’artiste, les œuvres de jeunesse de Mantegna ont été replacées dans le florissant contexte artistique padouan.
Plongées dans la pénombre, les salles un peu étroites du Musei Civici agli Eremitani, aménagées par l’architecte Mario Botta, ressuscitent la ferveur humaniste et le goût antiquisant de la Padoue du milieu du XVe. Le parcours s’ouvre sur les sculptures conçues par Donatello pour la basilique du Santo (vers 1444-1449), qui marqueront durablement le jeune Mantegna, puis confronte les premiers tableaux connus du peintre à des compositions padouanes ou vénitiennes contemporaines. La démonstration est probante, mais deux peintures importantes manquent à l’appel, étant retenues pour l’heure dans d’autres expositions. Pour le Saint Marc de Francfort et la Sainte Euphémie du Musée de Capodimonte à Naples, les visiteurs devront en effet se contenter (jusqu’en novembre pour l’un et décembre pour l’autre) de reproductions en noir et blanc… À deux pas du musée, dans l’église des Eremitani, ils pourront se réconforter en contemplant la tentative de restitution de la chapelle Ovetari.
Essentiellement réalisé par Mantegna, ce cycle fut presque entièrement pulvérisé lors des bombardements de 1944. Quatre-vingt mille fragments avaient alors été sauvés des décombres. Suivant une méthode mise au point par Cesare Brandi soixante ans plus tôt, mais améliorée grâce à la technologie informatique, ils ont été replacés sur des panneaux reproduisant en grisaille les scènes perdues.
L’itinéraire de l’exposition se poursuit à Vérone, qui a rassemblé autour de la Pala (Retable) de San Zeno (1556-1559), monumental chef-d’œuvre exécuté pour l’église véronaise éponyme, quelque deux cents peintures, sculptures et dessins témoignant de l’influence que le triptyque exerça sur l’art à Vérone (Francesco Benaglio, Liberale da Verona, Domenico Morone…).
Le Christ mort, emblème ou « jackpot » ?
Dernier volet de cette trilogie, l’exposition du Palais du Té à Mantoue est la plus riche en peintures du maître, avec plus d’une vingtaine d’œuvres de sa main. Mantegna passa en effet quarante-six ans à la cour des Gonzague, pour lesquels il réalisa de nombreux tableaux ainsi que la célèbre Chambre des Époux du palais ducal de Mantoue. La manifestation mantouane a cependant été éclipsée par la violente polémique qui a accompagné le prêt du Christ mort (vers 1500, Pinacothèque de Brera, Milan). Représentant la dépouille de Jésus selon une perspective révolutionnaire pour l’époque – dominant la scène, le regard du spectateur embrasse l’intégralité du corps exsangue, rendu avec un raccourci saisissant –, cette œuvre emblématique est le point d’orgue de l’exposition, mais aussi au centre d’un vif débat. Si sa présence constitue une plus-value non négligeable en termes de retombées commerciales – Vittorio Sgarbi, président du comité pour la célébration du Ve centenaire de la mort du peintre, la qualifia « d’icône pop pouvant attirer des centaines de milliers de visiteurs » –, elle est discutable sur le plan scientifique. Selon les conservateurs de la Brera, l’œuvre ne présentait pas les conditions de conservation nécessaires pour voyager. Le prêt fut donc refusé. Fustigeant les « caprices » des conservateurs, Vittorio Sgarbi en appela au ministre de la Culture italien, Francesco Rutelli. Critique d’art et politicien versatile, Sgarbi est davantage connu pour son omniprésence médiatique et son goût de la polémique que pour ses compétences en matière de conservation. Mais Francesco Rutelli finit pourtant par se rendre à ses arguments, au grand dam des conservateurs de la Brera.
Cette controverse, ravivée dernièrement par le prêt à Tokyo, malgré l’opposition du responsable du Musée des Offices, à Florence, de L’Annonciation de Léonard, révèle le poids de plus en plus marginal en Italie des conservateurs de musées, une dérive qui n’est malheureusement pas le fait de la seule Péninsule. Elle illustre également la focalisation croissante des expositions – en Italie comme ailleurs – sur les chefs-d’œuvre et icônes de l’histoire de l’art, au détriment souvent du contenu scientifique. « L’excès “d’expositionnisme” dont nous sommes désormais mithridatisés, le bombardement “d’initiatives” et “d’événements”, pour la plupart sans aucun contenu culturel, devrait amener à réfléchir sur le rapport entretenu entre exposition et musée », remarquait ainsi récemment dans la presse l’historien de l’art Salvatore Settis. « L’affaire Mantegna » aura au moins eu le mérite de faire naître un débat salutaire.
- Président du comité national : Vittorio Sgarbi - Commissaires des expositions : Davide Banzato, Mauro Cova, Alberta De Nicolò Salmazo, Mauro Lucco, Paola Marini, Anna Maria Spiazzi - Nombre total d’œuvres : 350 - Œuvres de Mantegna : 64
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Mantegna, la trilogie
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 14 janvier. Musei Civici agli Eremitani, Piazza Eremitani 8, Padoue, tlj 9h-19h, tél. 39 49 2010023. Catalogue éd. Skira, 60 euros. Palazzo della Gran Guardia, Piazza Bra, Vérone, tlj 9h30-19h30, ven.sam.dim. jusqu’à 21h30, tél. 39 02 43353522. Catalogue éd. Marsilio, 63 euros. Palais du Té, Viale Té 13, Mantoue, tlj 9h-19h, sam.dim. 8h30-19h30, tél. 39 02 43353522. Catalogue éd. Skira, 50 euros. www.andreamantegna2006.it
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : Mantegna, la trilogie