À l’échelle d’une région, « La dégelée Rabelais » s’inspire de la verve de l’écrivain pour proposer une série d’expositions libres et légères. Une ode au décalage et à l’instabilité.
De Mende, en Lozère, jusqu’au château de Jau, à Cases-de-Pène dans les Pyrénées-Orientales, en passant par Alès, Villeneuve-lès-Avignon ou Carcassone, quinze communes, situées sur une distance d’environ 250 kilomètres nord-sud, accueillent tout l’été « La dégelée Rabelais », une série d’expositions inspirées par la figure et l’œuvre de François Rabelais.
À l’image des principaux héros de l’écrivain médecin, qui obtint son doctorat à la faculté de médecine de Montpellier en 1537, c’est en premier lieu l’échelle de l’opération qui frappe. Avec trente expositions réparties sur l’ensemble de la région Languedoc-Roussillon, c’est presque le gigantisme qui est de mise : n’y en a-t-il pas trop et sur un territoire trop étendu ? L’objection est réfutée par Emmanuel Latreille, directeur du Fonds régional d’art contemporain et commissaire général de la manifestation : « S’il est de tradition d’ancrer la culture dans les villes, une structure régionale tel le FRAC a aussi pour objectif d’amener des collections vers le public et de tenter d’inscrire la création sur l’ensemble du territoire, même si c’est médiatiquement difficile », relève-t-il.
S’égrènent ainsi des expositions à plusieurs niveaux de lecture, construites sur des thématiques précises, qui, pour beaucoup d’entre elles, s’appuient sur des épisodes et des personnages de la geste rabelaisienne sans en constituer, et c’est heureux, une stricte illustration.
Ainsi, sur le site d’accueil du pont du Gard, à Vers, « Gorge profonde de Gargantua » s’intéresse au personnage à travers l’idée de la gorge, et par-delà, du tube et de la circulation. Avec un regard décalé, se côtoient les conduits de fumée de Richard Fauguet (Chopper, 2005), des souches d’arbres en tuyaux d’arrosage et autres gaines de Laurent Perbos (Souches, 2007-2008) ou l’exploration des égoûts de Zurich par Fischli & Weiss (Kanal Video, 1995). Alors qu’à Aigues-Mortes, on se souvient de la rencontre qui, en 1538, scella la réconciliation de François Ier et Charles Quint, avec Daniel Firman et Maurin & La Spesa évoquant chacun cet « empereur d’Autruche » grâce à des mises en scène irréelles de l’animal dans les remparts. Une autre œuvre savoureuse de ces derniers voit quatre moutons teints plonger du haut des fortifications, en souvenir de Panurge et en clin d’œil à la réquisition du roi qui fit vider les garde-manger des alentours afin de pouvoir nourrir les agapes royales (Casting, 2008).
À la galerie associative Iconoscope, à Montpellier, on s’intéresse aux rapports d’échelle qui façonnent le monde. La confrontation d’un hamac géant de Jean-François Fourtou et d’une modélisation miniature du Mont-Blanc dans un bloc de résine par Julien Discrit y est remarquable. Un peu plus loin, à la Panacée, ancienne faculté de médecine, c’est la vie de Rabelais et sa carrière médicale qui ont inspiré « Mort de rire », une belle digression sur la question corporelle. Pierre Joseph y fait mouche, en ayant demandé à ses étudiantes de représenter de mémoire leur organe sexuel (Atlas images restaurées, 2005). De même que Le Gentil Garçon, qui, dans l’ancienne salle de dissection, a installé une table de ping-pong sur laquelle un corps fait de balles blanches voit son cœur ouvert s’animer de quelques soubresauts, avec le son afférent (L’Amour à mort, 2004).
À Sète, au Centre régional d’art contemporain, Noëlle Tissier et Bernard Marcadé montrent les choses « Sens dessus dessous (le monde à l’envers) ». Chronique de l’instable, du doute, de l’inversion des valeurs et des dérèglements, leur accrochage fait notamment se côtoyer un irrésistible éléphant en bronze de Miquel Barceló tenant sa trompe, à la verticale, (Elefandret, 2004), une Guerre des mondes (2008) d’Annette Messager, avec deux globes propulsés par des ventilateurs, et un remarquable film, absurde et grotesque, des Belges Jos De Gruyter & Harald Thys (La Frégate, 2007).
La volonté de ne pas user vaguement du prétexte rabelaisien, mais de se saisir pleinement d’un esprit et d’une essence afin de laisser libre cours à des histoires et des développements plastiques est patente dans l’ensemble. Et constitue en outre une manière de se poser contre l’achèvement, des principes autant que des formes et des idées. Avec au final des sensations de légèreté et d’instabilité qui prévalent dans cette manifestation « démesurée », fournissant une fraîcheur appréciable dans la canicule estivale.
Jusqu’au 28 septembre (certaines expositions ferment plus tôt). Informations : FRAC Languedoc-Roussillon, 4, rue Rambaud, 34000 Montpellier, tél. 04 99 74 20 35, jours et heures d’ouverture variables, www.fraclr.org. Catalogue à paraître.
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A l’ombre de Rabelais
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire général : Emmanuel Latreille, directeur du FRAC Languedoc-Roussillon - Nombre d’artistes : environ 150 - Nombre d’expositions : 30, réparties sur 15 communes
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : A l’ombre de Rabelais