La nouvelle loi relative aux musées de France a été promulguée le 4 janvier 2002. Député PS de l’Eure, Alfred Recours a été le président et le rapporteur de la mission d’information de la commission des Affaires culturelles et sociales de l’Assemblée nationale, dont le rapport a largement inspiré le contenu de cette « loi musées » attendue depuis plus de dix ans.
En quoi la nouvelle loi améliore-t-elle la protection des collections ?
L’Assemblée nationale souhaitait s’orienter vers une déclaration de principe de l’inaliénabilité des collections. Cette déclaration avait l’avantage de la limpidité et constituait un bel affichage, mais elle a constitué une pierre d’achoppement dans nos discussions avec le Sénat. Nous conservons donc les principes de la domanialité publique tout en mettant en place un certain nombre de contraintes et de restrictions qui rendent en réalité l’aliénabilité quasiment impossible. Même dans le cas où la commission scientifique donnerait un avis conforme permettant la vente d’une œuvre, ce qui est hautement improbable, tout musée labellisé « Musées de France » serait prioritaire dans la réattribution de l’œuvre concernée. Paradoxalement, avant l’adoption de cette loi tout était aliénable ! J’en veux pour preuve ce président de la République de la Ve qui a offert une œuvre d’art à un chef d’Etat étranger, obligeant le ministère de la Culture à procéder à une régularisation après coup, avec passage du domaine public au domaine privé ! Sans oublier l’exemple fameux des bijoux de la Couronne, dont une partie a été vendue à la fin du siècle dernier. Et, concernant les œuvres appartenant aux collectivités territoriales, une simple décision du conseil municipal, général ou régional suffisait en théorie ! Cependant, comme personne n’osait vendre, l’inaliénabilité était assurée de fait. De fait, seulement.
Quelles dispositions fiscales nouvelles la loi prévoit-elle pour encourager le mécénat ?
On dispose budgétairement dans ce pays de 30 millions d’euros pour acheter des œuvres, mais il arrive couramment qu’il y en ait à hauteur de 5 à 10 millions, voire même de 45 à 60 millions : que faire alors ? J’ai donc fait voter à l’Assemblée, au grand dam de Bercy, un amendement dit « amendement casino », qui prévoyait d’attribuer aux acquisitions un pourcentage pris sur le produit des jeux. Cette proposition a décidé Laurent Fabius à nommer une mission de l’inspection générale des finances (IGF), afin de proposer une alternative à notre amendement. Un mécanisme de réduction d’impôt égale à 90 % des versements effectués pour l’achat de trésors nationaux a finalement été arrêté. De grands groupes pourront acquérir des œuvres, les donner à un « Musée de France » et éviter ainsi qu’elles quittent le territoire national. L’entreprise qui souhaitera se porter acquéreur d’une œuvre devra préalablement obtenir l’accord des ministères de la Culture et des Finances. Un plafond annuel officieux sera vraisemblablement fixé : en gros, l’Etat devrait se donner une marge supplémentaire de 30 à 45 millions d’euros. Ajoutées aux dations
(13,2 millions d’euros en 1999), toutes ces sommes mises bout à bout permettent d’arriver à un total intéressant.
D’autres établissements publics, sur le modèle du Louvre et de Versailles, seront-ils créés ?
Je souhaitais pour ma part faire figurer cette question dans la loi, mais la ministre de la Culture s’est engagée à faire avancer ce dossier par voie réglementaire : les comptes rendus des débats à l’Assemblée en font foi. Le Musée d’Orsay ne peut pas continuer à être géré comme une administration centrale, d’autres pourraient suivre comme le Musée Picasso, le Musée Guimet...
Un corps de conservateur général des collectivités territoriales sera-t-il créé ?
Je le souhaite. Il faut organiser un minimum de mobilité dans le corps des conservateurs, et ne pas être pénalisé parce qu’on a été conservateur dans un musée territorial plutôt que national. Encore une fois, la réponse du gouvernement à ce sujet sera d’ordre réglementaire et non législatif. Catherine Tasca s’est engagée à prendre un décret après négociations avec les collectivités territoriales et leurs représentants, car la création de ce « généralat » des conservateurs territoriaux aura bien sûr un coût.
Dans son rapport annuel, la Cour des comptes considère que le Louvre jouit d’une autonomie « assez largement fictive », notamment en matière de gestion des personnels. Qu’en pensez-vous ?
Versailles et le Louvre ont une autonomie qui n’est pas suffisante, mais c’est déjà un progrès par rapport aux autres musées nationaux. En matière de gestion du personnel, c’est vrai qu’il est difficile d’avoir deux pilotes dans l’avion. La situation actuelle n’est pas tenable à terme. Il faut que le gardien de musée commence par dépendre du directeur de l’établissement public avant de dépendre du ministère ! Quand il y a une grève, c’est aux chefs d’établissement de gérer le problème plutôt qu’au ministère !
Comment expliquez-vous les critiques adressées à la Réunion des Musées nationaux (RMN) dont la presse s’est fait l’écho ?
La RMN a des rôles et des missions utiles et positives, en particulier pour tout ce qui concerne la mutualisation, que personne ne remet en cause : ni la mission parlementaire, ni le ministère, ni la Cour des comptes, ni l’IGF, ni même le Musée du Louvre. Pour prendre un exemple un peu cru, les entrées au Louvre ne peuvent être uniquement considérées comme des recettes générées par la structure « Louvre » : c’est l’ensemble des contribuables de ce pays qui ont payé la pyramide et les installations du « Grand Louvre » ! Il est donc normal qu’il y ait aussi un retour au sein d’un système mutualisé. Il faut que les investissements réalisés par la collectivité nationale en faveur des plus grands musées de France profitent à tout le monde, y compris et surtout aux « petits » musées. Le président-directeur du Musée du Louvre conteste en réalité le taux prélevé par la RMN sur les recettes du Louvre. Nous sommes dans une négociation classique – je ne dis pas type « marchand de tapis », mais cela y ressemble tout de même un petit peu... Néanmoins, Henri Loyrette a sans doute raison de dire que le taux de reversement de 45 % est excessif.
Comment expliquer les déficits importants auxquels la RMN doit régulièrement faire face ?
Les expositions posent un vrai problème, pas seulement du fait de la structure de la RMN mais un peu à cause de tout le monde. Il est normal que les expositions coûtent, qu’il y ait des déficits, mais pas qu’ils soient « à guichet ouvert », ce qui est un peu le cas aujourd’hui. Et cet état de fait ne profite pas à la RMN en tant que structure mais principalement à quelques musées. C’est pourquoi je dis que tout le monde doit balayer devant sa porte. Que le commissaire d’une exposition n’ait pas de responsabilités financières est un peu gênant, il faut aujourd’hui que les conservateurs, outre leur formation scientifique, aient une solide formation de gestionnaire. Sinon, c’est remettre en cause à terme le corps des conservateurs, avec un risque de multiplication de structures où le conservateur ne s’occuperait plus que des questions scientifiques, mais où le « patron » serait un gestionnaire. La plupart des conservateurs allient les deux compétences, pour les autres, la formation continue, ça existe !
La mission de l’Assemblée nationale souhaiterait-elle voir rentrer les musées de l’Education nationale dans le giron du ministère de la Culture ?
Les musées de l’Education nationale sont la dernière roue de la charrette aux yeux de ce ministère : on se demande comment l’herbier de Buffon, au Museum, n’a pas encore pris feu alors que des fils électriques se baladent au milieu des bouquins ! C’est un truc dingue ! Parce qu’elle fut en son temps l’un des « grands travaux » présidentiels, la Galerie de l’Evolution a de l’allure, mais derrière, c’est la misère... Je pense en effet que ces musées devraient être labellisés « Musée de France » et chapeautés par le ministère de la Culture. En revanche, les musées du ministère de la Défense, pour qui la préservation de la mémoire est essentielle, sont bien dotés et bien suivis.
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L’œil d’Alfred Recours
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°534 du 1 mars 2002, avec le titre suivant : L’œil d’Alfred Recours