Conservé dans la Banque centrale de Bagdad depuis 1990, un somptueux ensemble d’ivoires sculptés gît dans le sous-sol inondé du bâtiment.
BAGDAD - L’un des plus beaux et plus précieux trésors d’Irak est en train de croupir dans le sous-sol de la Banque centrale de Bagdad. Les salles des coffres du bâtiment, inondées par les eaux usées des égouts en avril 2003, abritent un somptueux ensemble d’ivoires de Nimroud datant des VIIIe et IXe siècles avant J.-C.
Chef-d’œuvre de la collection aujourd’hui menacée par l’humidité, le fameux masque « Mona Lisa » a été découvert par Max Mallowan en 1951 lors des fouilles du fort Salmanazar, aux abords de l’ancienne capitale assyrienne de Kalkhu, au nord de l’Irak. L’archéologue britannique était accompagné de son épouse, la célèbre romancière Agatha Christie, qui nettoya les objets à l’aide d’une lotion pour le visage. D’autres ivoires, dont de très beaux spécimens, furent excavés sur le même site par des archéologues irakiens en 1975.
Lors de la première guerre du Golfe en 1990, ce précieux ensemble facilement transportable a quitté le Musée archéologique national de Bagdad pour la salle des coffres de la Banque centrale. À l’occasion de l’ouverture de la salle en juin 2003, alors que les autorités se félicitaient de retrouver le trésor de Nimroud également mis à l’abri, les coffres en métal contenant les ivoires ont été transportés dans une pièce restée sèche, au sein du complexe souterrain. L’équipe du musée de Bagdad a passé plusieurs jours à nettoyer et à sécher les objets avant de les remballer dans des boîtes en carton.
Les conditions climatiques du sous-sol restent malheureusement approximatives à cause de l’humidité et des différences thermiques, la température y étant très chaude en été et froide en hiver. L’opération de séchage aurait dû, du point de vue des conservateurs, s’achever il y a plusieurs mois. Mais les objets sculptés sèchent très lentement, à un rythme favorisant la prolifération des champignons. Par ailleurs, les ivoires ont subi seulement deux inspections depuis juin 2003, la plus récente datant de décembre dernier. Ces visites n’ont duré que quelques heures, le temps d’examiner seulement une partie de la collection – le nombre d’objets pourrait s’élever à une centaine, parmi laquelle les plus belles pièces autrefois exposées dans les vitrines du musée. Des signes de putréfaction ayant été décelés au cours de la dernière inspection, l’ensemble nécessite un traitement immédiat. Des tâches menacent d’être indélébiles et le séchage des pièces entraîne fissures et morcellements. Dans quelques cas, il s’agit même d’anciennes craquelures, consolidées avec un produit adhésif à l’acétate de polyvinyle dans les années 1950, mais l’apparition de nouvelles fêlures n’est pas exclue. Si les ivoires reçoivent un traitement adéquat, leur état pourrait rester stable mais deviendrait alors vulnérable à tout changement d’environnement.
L’idéal serait de transférer l’ensemble vers un lieu offrant de meilleures conditions de conservation, où il pourrait être examiné plus régulièrement. Mais, à moins de disposer d’un générateur électrique, l’approvisionnement en électricité de Bagdad est si irrégulier qu’un nouveau lieu n’éliminerait pas forcément tous les soucis de conservation. La priorité étant la sécurité de la collection, il semble vraisemblable que la salle des coffres de la banque soit un endroit des plus sûrs. Le transfert de l’ensemble vers l’étranger pourrait également être une solution. La collection pourrait être traitée dans un laboratoire doté de l’équipement adéquat et assuré par une équipe spécialisée, comme pour l’ensemble de judaïca retrouvé dans les quartiers généraux de la police secrète de Bagdad en mai 2003. Ces précieux documents ont en effet été envoyés vers un laboratoire spécialisé en conservation dépendant de l’Administration des archives et registres nationaux de Washington, DC (lire le JdA n° 186, 6 février 2004). L’aval des autorités irakiennes pour un même transfert des ivoires est rendu difficile par le contexte actuel. Le projet d’exposition internationale de l’or de Nimroud – un demi-millier de bijoux assyriens, datant du VIIIe siècle avant J.-C., retrouvés dans le sous-sol de la banque de Bagdad – est déjà controversé en Irak, certains ayant préféré voir le trésor exposé en avant-première à Bagdad. Le ministre de la Culture irakien, Moufid Al-Jazairi, a tenu à rassurer ses compatriotes en déclarant que le trésor de Nimroud serait exposé à Bagdad à l’occasion de la réouverture du Musée national au printemps 2005. Le musée poursuit néanmoins ses pourparlers avec le United Exhibits Group basé à Copenhague pour ce projet qui rapporterait à l’institution irakienne des fonds plus que bienvenus (lire le JdA n° 189, 19 mars 2004). Idéalement, les objets en ivoire devraient intégrer cette exposition, mais, le transport pouvant entraîner des fissures supplémentaires, le travail de conservation devra être réalisé préalablement à tout déplacement.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les ivoires de Bagdad en péril
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Les ivoires de Bagdad en péril