Formé à Harvard, George Abrams reste manifestement attaché à son université. Avec son épouse, il vient de lui offrir une partie de sa collection de dessins hollandais du XVIIe siècle. Grâce à ce don, le Fogg Art Museum se trouve à la tête du fonds le plus important du genre aux États-Unis.
George Abrams et son épouse Maida ont réuni une collection de six cents dessins hollandais du XVIIe siècle, généralement considérée comme la plus complète en mains privées. Le Metropolitan Museum et la Pierpont Morgan Library, à New York, possèdent davantage de Rembrandt, mais, à l’exception du Fogg Art Museum, aucun musée américain ne peut prétendre détenir un ensemble supérieur en nombre et en qualité. Les époux Abrams ont à ce jour déjà offert au musée de Harvard plus de deux cents dessins, notamment un don récent de feuilles de Rembrandt, Pieter Bruegel l’Ancien, Adriaen Van Ostade, Jacques de Gheyn II et bien d’autres. Grâce à cette donation, qui représenterait plus de 20 millions de dollars et dont les termes précis ne sont pas connus, Harvard est à présent un des principaux centres pour l’enseignement et l’exposition du dessin hollandais.
“N’importe quel musée aurait voulu recevoir cette donation”, reconnaît Martin Royalton-Kisch, conservateur du département des Dessins hollandais au British Museum, ajoutant que ce trésor est “certainement la plus remarquable collection de dessins de maîtres anciens hollandais jamais rassemblée aux États-Unis”. La majeure partie ira au Fogg Art Museum, où George Abrams, avocat formé à Harvard, a été membre du comité externe pendant plus de trente ans et préside aujourd’hui la sous-commission pour les acquisitions de dessins. “Nous souhaitons enrichir encore davantage la collection de Harvard et pensons faire don d’autres dessins dans les prochaines années. Nous n’avons nullement l’intention de vendre les dessins les plus importants”, explique-t-il.
Pour les étudiants
Par ailleurs, George Abrams siège au conseil d’administration du Boston Museum of Fine Arts ; il est aussi membre des Amis de la Pierpont Morgan Library. Son épouse préside l’association Very Special Arts Massachusetts, qui organise des programmes pédagogiques liés à l’art pour les personnes handicapées. Ils ont donné des œuvres à ces deux institutions, ainsi qu’à la National Gallery of Art de Washington, au Rijksmuseum d’Amsterdam et à différentes universités. Mais, comme le précise le collectionneur, “si nous donnons ces œuvres à un musée d’université plutôt qu’à une institution classique, c’est afin que les étudiants puissent les tenir dans leurs mains et avoir ce même sentiment magique que nous ressentons. Trop souvent, l’enseignement s’appuie sur des diapositives et des cours théoriques. Les étudiants ne sont jamais réellement en contact avec les œuvres, et c’est pourtant bien des œuvres qu’il s’agit avant tout. Nous espérons aussi que certains étudiants développeront un profond intérêt pour le dessin hollandais et deviendront peut-être des professeurs et des experts dans ce domaine.”
La donation, qui sera progressivement remise au musée au cours des dix prochaines années, comprend 110 feuilles signées de quelque quatre-vingt-dix artistes ayant travaillé aux Pays-Bas entre 1580 et 1700, pour la plupart des naer het leven sans prétentions – des scènes de la vie quotidienne – plutôt que des thèmes mythologiques ou religieux. Parmi les œuvres maîtresses figure un Paysage avec ferme de Rembrandt, acquis à Londres en 1984 lors de la vente Chatsworth chez Christie’s. Les époux Abrams ont également fait don d’une étude au crayon par Rembrandt d’un vieil homme appuyé sur une canne, de dessins exécutés par certains de ses élèves illustres, de Flinck à Drost en passant par Backer et Maes, ainsi que du seul dessin formellement attribué à Aert de Gelder.
La pièce la plus précieuse de la collection est peut-être le paysage boisé de Bruegel l’Ancien, que les experts estiment à quelque cinq millions de dollars. George Abrams l’a acquis pour une bouchée de pain au début des années quatre-vingt-dix, sur les conseils de William Robinson, du Fogg Museum, qui l’avait repéré chez un marchand d’Amsterdam ; ce dernier l’avait acheté en Hollande comme une œuvre “néerlandaise anonyme du XVIe siècle”. On a longtemps cru que la signature “Brueghel” avait été apposée ultérieurement, jusqu’à ce qu’Hans Mielke, à Berlin, confirme l’attribution en 1994, quelques semaines à peine avant sa mort, et le mentionne dans son catalogue raisonné des dessins de Bruegel.
Autre pièce extraordinaire, un album de quarante et un dessins (1628-1641) réalisés par plus d’une vingtaine d’artistes, tels Adriaen van Ostade, Saftleven, Flinck, qui comprend également l’unique dessin connu d’Emmanuel de Witte : une étude de Méduse assise. George Abrams en a fait l’acquisition auprès d’un collectionneur britannique, par l’intermédiaire de Sotheby’s Londres, en 1987.
De Goltzius à Ruisdael
La collection se distingue par ses nombreux paysages, avec des œuvres de Jacob Van Ruisdael, Esaias et Jan Van de Velde, Hendrick Avercamp, Simon de Vlieger et deux rares feuilles dorées de Cornelis Vroom. Elle comprend notamment de nombreuses scènes de la vie paysanne : plus de dix feuilles d’Adriaen Van Ostade et autant de Cornelis Dusart, ainsi que trois portraits signés Willem Buytewech, l’un des pionniers des images de “joyeuse compagnie”. Les maniéristes Hendrick Goltzius, Abraham Bloemaert et Jacques de Gheyn II sont également bien représentés.
Comment un couple de Boston aux moyens modestes a-t-il pu constituer, à partir de rien, la plus grande collection au monde de dessins de maîtres anciens hollandais ? Grâce au travail, à la détermination et à une conjoncture favorable. George Abrams a étudié l’art des Pays-Bas à l’université et, dès 1960, le jeune couple a commencé à collectionner. La loi de l’offre et de la demande a joué en leur faveur. Les dessins français et italiens étaient à la mode ; les hollandais ne l’étaient pas, et on pouvait acheter à moins de 5 000 dollars des œuvres importantes. De grandes collections ont fait leur apparition sur le marché et ont été dispersées, sans l’effervescence que nous connaissons aujourd’hui.
George Abrams est devenu le type même du collectionneur organisé, systématique, obstiné, mais cependant motivé par un désir de connaissance plutôt que par la recherche du profit. Selon le marchand Otto Naumann, la profession méprise les collectionneurs qui vendent rapidement pour réaliser le meilleur bénéfice, mais il ajoute : “George est incapable de se séparer de quoi que ce soit ! S’il existe de véritables collectionneurs, nul doute que les Abrams en sont le meilleur exemple.”
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Les Hollandais à Harvard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°101 du 17 mars 2000, avec le titre suivant : Les Hollandais à Harvard