Avec des enchères records et des prix qui progressent pour les belles feuilles, le dessin du XIXe siècle a le vent en poupe. Des talents méconnus de ce siècle émergent à petits prix.
Événement chez Christie’s, à Londres, le 8 juillet dernier : trois dessins tirés des fameux albums Femmes et Sorcières (1819-1823) et Images d’Espagne (vers 1812-1820) du maître espagnol Francisco de Goya que l’on croyait perdus depuis la vente à l’Hôtel Drouot en 1877 de cent cinq feuilles tirées des huit albums privés de l’artiste, totalisaient 4 millions de livres sterling (5 millions d’euros). Lot phare, Bajar rinendo vendu 2,281 millions de livres (2,862 millions d’euros) battait un record mondial pour un dessin de Goya. Trois particuliers européens emportaient ces œuvres que conservait une famille suisse. « Hormis les impressionnistes, Goya, Turner et Delacroix sont les seuls artistes du XIXe siècle à pouvoir prétendre à de tels prix », assure Benjamin Peronnet à la tête du département Tableaux et dessins chez Christie’s à Londres. Cette vente reflète la bonne santé du marché du dessin du XIXe siècle. L’art français foisonne de belles feuilles à tous les prix : du romantisme avec Géricault et Delacroix, du néoclassicisme représenté par David et ses élèves Ingres et Girodet, de l’impressionnisme de Degas au symbolisme de Redon et à l’orientalisme de Guillaumet. « Cette période où les artistes étaient bons dessinateurs offre des œuvres variées. La raréfaction des feuilles du XVIIe et XVIIIe siècles profite aux pièces de qualité du XIXe siècle qui sont en hausse de 20 % à 30 % par rapport à 2007 », observe Hervé Aaron, président de la Société du Salon du Dessin. Ces valeurs sûres sont disputées à Paris, où le 9 avril chez Artcurial le Portrait présumé de Jenny le Guillou jeune, un lavis brun de Delacroix, était adjugé 114 000 euros, suivi par le Naufrage de Virginie de Prudhon emporté à 81 800 euros. Le lendemain, une aquarelle de Delacroix partait à 44 400 euros chez Piasa, tandis que La Marseillaise, estimée 30 000 à 50 000 euros, de Gustave Doré était vendu 69 850 euros chez Christie’s à Paris. Le Songe d’Ossian, un crayon noir de Girodet, obtenait un record du monde pour l’artiste à 117 600 euros le 14 avril chez la SVV Oger&Semont à l’hôtel Drouot. « La faiblesse du dollar qui fait sous-enchérir les acheteurs américains a accru la concurrence entre Européens au détriment des pièces moyennes qui subissent un fort tassement », analyse l’expert Patrick de Bayser. Au Salon du Dessin, en mars, la galerie de Bayser a négocié dix dessins entre 8 000 euros et 30 000 euros parmi lesquels des feuilles de Delacroix, Ingres et Corot, tandis que la galeriste new-yorkaise Jill Newhouse, spécialiste du dessin du XIXe siècle, cédait Paysanne au champ, un important fusain de Seurat à 400 000 euros.
Cote en progression
Aux États-Unis, où le marché du dessin essaime depuis les années 1980, les œuvres de Bonnard, Corot, Delacroix, Géricault et Seurat sont les plus prisées. Jean-François Millet, chef de file de l’école de Barbizon, voit sa cote progresser de 30 % depuis deux ans selon Patrick de Bayser. Le 24 janvier, La Leçon de tricot, un fusain de cet artiste a atteint 529 000 dollars chez Christie’s, à New York, alors que ses croquis de paysages vichyssois se négocient à partir de 3 000 euros. Le marché d’Ingres qui fonctionne par à coups, offre des feuilles de nus féminins autour de 12 000 euros. « L’envolée des prix des grands artistes se fait au détriment d’œuvres peu chères permettant d’acheter à bon prix des petits maîtres oubliés », note Benjamin Peronnet. De beaux dessins de Savinien Petit, Victor Orsel, Raymond Balze valent entre 500 et 1 000 euros, une belle aquarelle d’Harpignis peut monter à 20 000 euros. Segments négligés, le dessin d’architecture comme les écoles européennes recèlent des trésors à partir de 300 euros. Le marché a l’œil : estimé entre 10 000 euros et 12 000 euros, le Projet de transformation de l’Arc de Triomphe à la gloire de Louis XVIII, 1821, une aquarelle de Jean-Nicolas Huyot, élève de David, est montée à 86 744 euros le 26 juin chez Millon & Associés. L’Allemand Buonaventura Genelli et le Danois Eckersberg méritent attention. Le 24 janvier, trois dessins du Norvégien Johan Christian Dahl étaient acquis entre 5 000 dollars et 44 200 dollars par un musée français chez Christie’s à New York.
De Joséphine Nicaise Lacroix, une proche qu’Ingres prit pour modèle en Italie autour de 1815, on ne connaissait jusqu’à présent que la version conservée au Musée Cognacq-Jay à Paris et six différents portraits. Ce dessin vivant au crayon noir d’une précision presque photographique (ill. ci-contre) que la galerie parisienne de Bayser propose autour de 250 000 euros à la Biennale des Antiquaires, fait donc figure de découverte. Le vêtement au drapé enlevé qui apparaît plus spontané que dans la version appartenant au musée parisien où le visage est plus étudié, semble indiquer qu’il s’agit de la genèse des deux versions. Cette œuvre importante provient de la collection française Mariller qui la tiendrait de l’ancienne collection Nicaise Lacroix d’après l’étiquette au verso qui porte l’inscription à la plume « sœur de Madame ». L’histoire de ce portrait débute par un coup de cœur. À Rome, Jean-Auguste-Dominique Ingres s’éprend d’Adèle Maizony de Lauréal, née Nicaise Lacroix, qui était déjà mariée. Elle lui propose alors de rencontrer sa cousine, Magdeleine Chapelle, qui est son sosie. Ingres l’épousera à Rome le 4 décembre 1813. Parmi les témoins du mariage se trouvent Pierre Adrien Pâris, le directeur de la Villa Médicis, et Joséphine Nicaise Lacroix, la sœur d’Adèle. Ce beau modèle de l’époque est restitué par le crayon de cet artiste en recherche permanente de perfection qui a portraituré ses proches comme les notables de son entourage. Tous les portraits de la famille Nicaise Lacroix ont été effectués vers 1813-1814.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les grands artistes sont très demandés
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Questions à Patrick de Bayser, expert en dessins
Quelle place occupe le marché parisien du dessin du XIXe siècle ?
Paris, où se concentrent le plus grand nombre de marchands et de collections, est une place pivot du marché international du dessin, suivi par Londres et New York. Son marché est le plus actif aux enchères comme en galeries où le prix des grands noms – David, Ingres, Delacroix, Degas, Géricault, Redon notamment – progresse de 10 % à 20 %. Au Salon du Dessin, temps fort du marché, les institutions étrangères recherchent l’art français, alors que les musées français se focalisent sur les fonds européens. Plus de cinq cents privés, férus du XIXe siècle, achètent entre 8 000 et 30 000 euros. Cependant, la crise financière actuelle qui affecte la classe moyenne fait craindre un recul en 2009.
Que peut-on encore acquérir à prix abordables ?
La France reste un réservoir inépuisable de dessins du XIXe siècle. Une petite feuille au crayon d’Ingres peut s’acquérir de 10 000 à 12 000 euros au Salon du Dessin, où les scènes historicisantes de petits maîtres du romantisme valent entre 300 euros et 3 000 euros. On peut rechercher les suiveurs prisés de Millet comme Lhermitte dont les crayons noirs valent de 1 500 à 3 000 euros.
L’essor du dessin contemporain peut-il affecter le marché du XIXe siècle ?
L’intérêt pour le dessin contemporain marque un retour aux fondamentaux qui établit des ponts avec le marché du dessin ancien. Grâce à la conceptualisation de l’art, le médium revient en force.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Les grands artistes sont très demandés