HEC, Centrale, Sciences-Po lancent des passerelles avec la culture à travers résidences et cursus.
PARIS - « L’art dans les grandes écoles » se porterait-il mieux que « L’art à l’école » ? Ces dernières années ont été le témoin d’un nombre croissant d’initiatives visant à sensibiliser les futures élites de nos entreprises et administrations à la création contemporaine, plus particulièrement dans le domaine des arts visuels. Que ce soit à HEC, à Centrale ou à Sciences-Po, il ne s’agit plus seulement de former des techniciens de haut niveau mais des hommes et des femmes sensibles aux enjeux sociaux et culturels de leur époque, dans leur vie professionnelle aussi bien que personnelle. Cette ouverture à la société dans toute sa diversité est d’autant plus symptomatique d’une évolution générale de la mentalité française qu’elle ne résulte pas d’une directive gouvernementale ou ministérielle mais bien d’un désir et d’un besoin partagés entre étudiants, direction des études, entreprises partenaires et futurs employeurs.
Profession ingénieur culturel
Depuis plusieurs années déjà, les grandes écoles de management ont pris conscience de la forte expansion économique et sociale du secteur culturel, accordant une place de plus en plus importante à l’humanisme et à la culture dans leurs enseignements généraux. Aujourd’hui, cette implication s’accentue par la création récente de véritables mastères de management culturel qui concurrencent directement les traditionnels troisièmes cycles universitaires préparant aux professions de la culture. C’est le cas de Sciences-Po, qui a créé un mastère « Management de la culture et des médias », que certains élèves n’hésitent pas à compléter en suivant le prestigieux programme « Museum Studies » de l’université de New York. Réunis au sein d’un actif club « Culture et management » (1) qui organise tous les mois des débats à l’Espace Paul-Ricard, à Paris, ce sont près de 1 500 diplômés d’écoles commerciales qui exercent aujourd’hui dans le secteur culturel. HEC, qui a également ouvert une majeure « Management des arts et de la culture » en 2002, s’était déjà démarquée dans son rapport à l’art avec la création en 2000 de l’Espace d’art contemporain au sein de son campus, à l’initiative conjointe du collectionneur Paul Dini (HEC 60) et du galeriste parisien Bernard Zürcher. Après avoir organisé trois expositions dans le hall d’honneur de l’école, avec le soutien remarquable de la Deutsche Bank, la jeune structure privilégie aujourd’hui les résidences d’artistes (Daniel Firman en 2001, Igor Antic en 2003 et Damien Beguet en 2004-2005) afin de permettre un dialogue plus actif avec les étudiants et les professeurs du campus. Dans un esprit similaire, l’ESC (École supérieure de commerce) de Toulouse ou l’EAC (École supérieure d’économie d’art et de communication) d’Aix-en-Provence ont également ouvert des galeries permanentes d’exposition, dont la programmation est ici plus orientée vers des artistes régionaux.
Les écoles d’ingénieurs, si elles n’ont pas autant développé la notion d’ingénieur culturel par des formations spécifiques, se montrent particulièrement attentives aux approches transversales et pluridisciplinaires du réel, se plaçant souvent très en avant dans le dialogue entre art, sciences, technologie et société.
C’est le cas de l’École centrale des arts et manufactures (Centrale) de Paris, dont le nom manifeste déjà l’esprit d’ouverture. Rappeler que Boris Vian ou Charles Lapicque sont d’anciens élèves de l’école, loin de paraître anecdotique, témoigne que créativité et innovation sont des qualités que partagent souvent artistes, ingénieurs et scientifiques. Patrick Obertelli, coordinateur des sciences sociales et humaines, souligne que cet enseignement vise surtout à « ouvrir [les élèves] à la complexité sociale et culturelle [..] et à repérer comment l’ingénieur participe, par son activité, à l’expression culturelle de la société ou à son évolution ».
Le principe de la résidence
Cet enseignement se prolonge souvent dans des projets spécifiques qui permettent aux futurs ingénieurs de collaborer avec des étudiants des Beaux-Arts (exposition conjointe avec l’École nationale supérieure des beaux-arts, à Paris en 2001), des institutions (laboratoire du Louvre, Palais de Tokyo), des artistes ou des galeries (avec Chantal Crousel lors de l’exposition Tony Cragg en 2002, avec &:gb agency pour la production d’œuvres de Robert Breer en 2004 ou encore avec Jean-Luc Moulène en 2005).
De son côté, l’INSA (Institut national des sciences appliquées), à Lyon, a mis en œuvre depuis plus de vingt ans une véritable politique culturelle afin de « favoriser sur [son] campus la présence des arts vivants et mettre toute la communauté insalienne en contact avec la création contemporaine ». Outre la création dès 1984 d’une section arts-études (arts visuels, design, architecture, arts vivants), l’école a ainsi conçu un système de résidences d’artiste, financées par la DRAC (direction régionale des Affaires culturelles) Rhône-Alpes. Chaque année, un artiste est associé à l’un des départements de l’école pour réfléchir à un projet d’implantation d’une œuvre sur le campus de Villeurbanne. Après Didier Marcel et Gérard Mathie, associés respectivement aux départements Génie civil et Humanités, c’est le sculpteur lyonnais Bachir Hadji qui verra le premier son projet réalisé avec le département des biosciences et le soutien financier de la région. Cette œuvre s’ajoutera aux deux œuvres du FRAC (Fonds régional d’art contemporain) Rhône-Alpes qui animent déjà ce campus fréquenté par 40 000 élèves. Depuis treize ans, une collaboration s’est d’ailleurs établie entre le FRAC et le secteur culturel de l’INSA avec l’organisation de huit expositions par an dans la galerie de l’école. Le principe de la résidence semble faire des émules, l’INSA de Rouen renouvelant pour la deuxième année consécutive l’accueil en résidence d’un artiste dans ses laboratoires de recherche.
Si ce panorama de la place de l’art dans les grandes écoles ne prétend pas à l’exhaustivité, il doit encore accorder une place de premier plan au spectaculaire rapprochement de trois écoles nancéennes. Revendiquant l’esprit résolument transdisciplinaire de l’École de Nancy, l’École des Mines de Nancy, l’ICN – école de management de l’université Nancy-II – et l’école nationale supérieure d’art de Nancy ont conclu une alliance pluridisciplinaire et interuniversitaire dénommée Artem (2). Soutenus par vingt-sept entreprises de la région, ces trois établissements souhaitent ainsi inventer ensemble de nouvelles formations ainsi que de nouvelles recherches, dans leurs domaines de compétence spécifiques comme dans des domaines émergents, notamment ceux du design global et de l’interactivité. Ces derniers se situent à la croisée des sciences de l’ingénieur, des sciences humaines et sociales et du design d’espaces et d’objets. Aujourd’hui, 3 000 heures d’enseignements sont partagées au sein d’Artem. Le rapprochement géographique des trois écoles sur un même campus, prévu en 2008 en plein centre-ville, dans l’ancienne caserne Molitor, ne fera qu’intensifier la synergie impulsée par Artem depuis déjà quatre ans. À n’en pas douter, Artem est en train de construire un modèle pédagogique nouveau, en phase avec la complexité croissante d’une société qui fonctionne inexorablement en réseau dans une économie ouverte et interactive.
(1) www.culture-et-management.com
(2) www.artem-nancy.com
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Les grandes écoles accueillent l’art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Les grandes écoles accueillent l’art contemporain