50 ans après le coup d’état militaire, les musées de Rio retracent censure et résistance, des préoccupations toujours contemporaines.
RIO DE JANEIRO (BRESIL) - Le Brésil moderne a souvent montré sa faculté à opérer des transitions douces entre les formes de pouvoir : la déclaration d’indépendance (1821) et la proclamation de la première république (1889) ont été vécues comme des révolutions de velours, sans crise politique notoire. Avec le recul, l’analyse vaut également pour le coup d’état militaire de 1964 et la transition démocratique des années 1980. Revers de la médaille, l’accès aux archives est poussif : la déclassification des documents est établie au cas par cas, au gré des micronormalisations. La « commission nationale de la vérité » instituée en 2012 par la présidente Dilma Roussef, ancienne activiste torturée, facilite le processus. Simple cinquantenaire ou changement historiographique, trois institutions cariocas exposent aujourd’hui l’année 1964.
Avec « Il faut résister », le Centre Culturel Banco do Brasil (CCBB) est pédagogique et visuel. Fabio Magalhães, commissaire, justifie le ton : « la priorité était de construire l’histoire de manière didactique. Les générations actuelles connaissent mal cette période. Ensuite, la photographie et la peinture ont joué un rôle particulier ». Effectivement, l’exposition montre notamment autour de Sergio Ferro (exilé après 1968 à Grenoble) plusieurs toiles réalisées dans le pénitencier politique de São Paulo (connu pour être un lieu de torture). Elles font face aux publications censurées, année par année. Si l’on y devine l’ombre d’une Dilma Roussef en année électorale, on peut saluer l’effort pédagogique. « L’historiographie change, mais de manière très graduelle, dans la lignée des lois d’accès à l’information votées dans les années 1990. Ces expositions sont celles du cinquantenaire, pas d’un nouveau paradigme », explique Angela Moreira Domingues da Silva, historienne spécialiste de la dictature, enseignante à la Fondation Getúlio Vargas.
Au Centre culturel de la justice (CCJF), l’ambiance est différente. Trente photos, un nom : Evandro Teixeira. Entre la plage et les manifestations, il a posé son regard amer sur la continuité de vie de la classe dirigeante depuis 1964, dont l’expérience de consommation des Trente Glorieuses a peu été perturbée par les militaires.
Dans une même finesse, pluridisciplinaire, l’Instituto Moreira Salles (IMS) présente les éléments de sa collection liés à l’année 1964. Dans une salle unique, dix archives vidéos ou radiophoniques et quelques légendes permettent un tour d’horizon lumineux de la musique, du théâtre contestataire du dramaturge Augusto Boal, des succès d’édition… La contextualisation empirique est efficace, troublante d’actualité pour qui n’a pas vécu la période. « On voit comment la censure opère une criminalisation progressive de la résistance. Hors de question de comparer avec la situation actuelle (voir Le Journal des Arts n° 395 du 5 juillet 2013), mais le durcissement de la répression est un clin d’œil intéressant », conclut Angela Moreira. Une ironie de l’histoire pour des expositions préparées depuis bien avant juin dernier.
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Les fantômes de la dictature brésilienne
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Abonnez-vous dès 1 €Hélio Oiticica, Seja marginal seja herói, 1968-1992, sérigraphie sur tissu, 100, 3 x 114,3 cm. © Succession Hélio Oiticica
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Les fantômes de la dictature brésilienne