1999 marque le quatrième centenaire de la naissance de Vélasquez, et cet anniversaire devrait être commémoré avec toute la solennité requise.
On annonce déjà des congrès, des symposiums et des expositions en tout genre. Le Musée du Prado, qui possède près des deux tiers de la production de l’artiste, inaugurera de “nouvelles présentations” de ses œuvres, comme il l’avait fait pour le troisième centenaire, en 1899.
En 1990, une série de circonstances et de coïncidences heureuses avaient permis au musée d’organiser une exposition mémorable, réunissant autour du trésor du Prado toutes les œuvres importantes dispersées de par le monde, à de rares exceptions près. L’événement avait eu un retentissement mondial, le nombre des visiteurs (650 000) et les ventes de catalogues (300 000) avaient battu des records. En réalité, cette exposition fut un phénomène sociologique assez inexplicable. D’aucuns ont attendu jusqu’à cinq heures pour voir ce qui est en temps normal exposé dans les salles, plus un certain nombre d’œuvres. Or, à part peut-être la singulière Vénus au miroir, ces toiles évoquaient peu de choses au visiteur peu intéressé par l’évolution stylistique et les problèmes d’attribution. Si la réédition d’une exposition d’une telle portée n’est pas envisageable, ce centenaire doit permettre de donner au public une image plus véridique et plus compréhensible de Vélasquez.
Une personnalité complexe
Ces dernières années ont considérablement accru notre connaissance du peintre, notamment sur le plan biographique, dévoilant des facettes “pécheresses” de sa personnalité, inconcevables pour ceux qui voient en lui la somme de toutes les perfections. Lors de son second séjour à Rome, à l’âge de 50 ans, une aventure amoureuse explique sa réticence à revenir en Espagne, malgré les demandes répétées du roi. Il se révèle par ailleurs assez peu sympathique, lorsqu’il ferme l’accès du Palais aux jeunes peintres les plus prometteurs susceptibles de devenir ses rivaux. Il n’aide que ses proches, comme son gendre Mazo, ou ceux, comme Angelo Nardi, qui ne pouvaient lui faire de l’ombre.
On connaît mieux, de plus, la complexité intellectuelle d’un artiste dont la formation dépasse de beaucoup celle des peintres de son temps. Dès sa jeunesse, dans la maison de Francisco Pacheco, son futur beau-père, il se familiarise avec les textes classiques et la théologie. Mais la veine religieuse si importante pour ses principaux contemporains, comme Zurbarán ou Cano, est très vite laissée de côté. Il préfère l’étude des passions humaines, dont on devine l’intensité dans les regards de ses portraits, ou bien celle de la mythologie classique dont il parvient à donner des interprétations extrêmement suggestives. Peintre de génie, Vélasquez s’est aussi révélé un critique d’art sévère et un muséologue efficace. Son travail d’installation des collections historiques de l’Escorial était déjà bien documenté, mais des lettres récemment publiées nous montrent ses capacités de critique et d’estimation sur ce qu’il voit en Italie et ce que cela peut apporter aux collections du roi. Son suivi attentif du travail des sculpteurs romains engagés pour faire les moulages des modèles classiques qu’il devait emporter à Madrid, et ses relations avec les académiciens romains dans les moments les plus vifs de la polémique classicisme/baroque – qui ne s’appelait pas encore ainsi – démontrent la profondeur de sa réflexion, bien loin du copieur fidèle de la nature qu’on a voulu voir en lui depuis le XIXe siècle.
Dans le même temps, une meilleure étude de son évolution stylistique, du ténébrisme dense des années sévillanes à la si subtile décomposition de la matière de ses œuvres ultimes, permet de mieux évaluer des œuvres douteuses où son savoir-faire très personnel est encore à l’état latent. On a beaucoup progressé dans la connaissance “matérielle” de ses œuvres attestées, et cela permet de se pencher sur son œuvre sans préjugés et sur des bases objectives. Nombre de toiles velázqueñas pourront ainsi être mises à part. Un tel flou n’est dû qu’à des intérêts économiques qui, incapables de remarquer la différence de qualité, tiennent uniquement compte de la force du nombre. Il est entretenu par la présence de nombreuses versions des prototypes du peintre, exigées par la demande de portraits “officiels”, et qui sont nécessairement l’œuvre de collaborateurs dont la personnalité est oblitérée par la volonté du maître.
Souhaitons que le Centenaire serve à éclaircir définitivement cet univers velázqueño équivoque et que le grand maître sévillan, peut-être le peintre le plus pur de son siècle, comme on l’a dit tant de fois, se libère pour toujours de certaines dévotions superficielles et retrouve sa véritable et si profonde dimension.
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Les enjeux d’un anniversaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : Les enjeux d’un anniversaire