Droit

Les enjeux de la polémique sur la copie privée

Par Charles Roumégou · lejournaldesarts.fr

Le 31 mai 2021 - 825 mots

PARIS

Un projet de loi, adopté au Sénat, veut exclure les produits reconditionnés de la redevance pour copie privée.

Reconditionnement d'un ordinateur. © Jeshoots-com, Pixabay License
Reconditionnement d'un ordinateur.
Photo Jeshoots

Un article de la proposition de loi « visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France » suscite le mécontentement d’une partie du monde culturel. L’article 14 bis B, né d’un amendement déposé par le sénateur (LR) Patrick Chaize et adopté par la chambre haute du Parlement contre l’avis du gouvernement, exonère de l’obligation de rémunération pour copie privée, des produits reconditionnés - smartphones, tablettes, ordinateurs, disques durs externes, clés USB, etc. - ayant déjà fait l’objet d’une première mise sur le marché en Europe.

Introduite par la loi du 4 juillet 1985 et codifiée à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, la copie privée constitue une exception au droit d’auteur. Elle permet à un particulier de copier des œuvres - acquises légalement - pour son usage privé, sans avoir au préalable à solliciter l’autorisation des auteurs, des artistes-interprètes ou des producteurs des œuvres en question. En contrepartie, ces derniers perçoivent une rémunération destinée à compenser le préjudice financier qui en résulte. D’abord réservée à la musique et à l’image animée, le bénéfice du dispositif a été étendu aux arts visuels (image fixe) et au texte en 2001.

Cette redevance est acquittée par l’importateur ou le fabricant d’un support d’enregistrement ou d’un appareil permettant de stocker des copies de musiques, de films, de livres, d’articles de presse ou d’œuvres d’art. Ce dernier, ou ses distributeurs, en répercute le coût dans le prix final payé par le consommateur. Son montant est fixé, en amont, par la Commission pour la rémunération de la copie privée laquelle détermine les supports à assujettir et les barèmes - actualisés annuellement - applicables à chacun d’eux. Par exemple, la redevance pour copie privée sur le prix de vente d’un smartphone d’une capacité d’enregistrement compris entre 16 et 32 Go s’élève à 10 euros.

Selon le rapport annuel de la Commission pour la rémunération de la copie privée, le montant global des perceptions pour l’année 2019 s’élève à 260 millions d’euros, en baisse de 17 millions d’euros par rapport à 2018. 

Les sommes sont collectées auprès des fabricants et importateurs par la société Copie France, avant d’être redistribuées aux organismes de gestion collective (OGC) : l’ADAGP pour les arts visuels ou la SACEM pour la musique. La répartition du produit de la redevance entre la musique, l’image animée ou fixe est déterminée par la Commission en fonctions d’études statistiques sur les usages. La musique est ainsi le premier bénéficiaire de la rémunération (143 millions d’euros en 2019), tandis que les arts visuels ont perçu 21 millions d’euros.

75 % du montant perçus sont reversés aux artistes selon des clefs de répartition propres à chaque OGC. Les 25 % restants sont utilisés sous forme « d’actions culturelles ».

Le projet de loi contesté

A l’heure actuelle, la redevance pour copie privée est acquittée uniquement sur les produits neufs lors de leur mise en circulation en Europe. Mais quid des produits d’occasion face à l’essor du marché du reconditionné ? Faut-il assujettir les appareils reconditionnés à cette redevance ? Dans son rapport d’activité pour l’année 2019, Copie France avait accueilli favorablement cet élargissement du champ d’application de la redevance jugeant que les appareils reconditionnés « offrent à un nouvel utilisateur la possibilité de bénéficier de fonctions identiques de copie privée »

Un raisonnement rejeté par le sénateur Patrick Chaize qui, au cours des débats parlementaires au Sénat, a fait valoir qu’ « un appareil reconditionné est un seul et même équipement, et [qui] ne peut être assujetti à la taxe qu’une seule fois ». L’élargissement aux appareils reconditionnés représenterait selon lui « une menace sur un secteur en développement », et « un coup au pouvoir d’achat des Français [qui] freinerait le développement de solutions vertueuses pour l’environnement »

Dans la défense de son amendement, le sénateur a reçu l’appui de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire - à l’origine de cette proposition de loi - qui, par la voix de son rapporteur Jean-Michel Houllegatte (SER), estime que l’on ne peut à la fois « stimuler des activités de reconditionnement [et], dans le même temps, accepter que ces dernières soient taxées ».

La proposition de loi doit désormais être débattue à l’Assemblée nationale, à compter du 10 juin prochain. Roselyne Bachelot et l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, initiateur de la loi de 1985, ont appelé les députés à abandonner cette remise en cause partielle de la rémunération pour copie privée. Pour la ministre, « une œuvre écoutée ou vue sur une tablette ou un smartphone reconditionné demeure le fruit du travail d’un artiste […] devant faire l’objet d’une rémunération », avant d’ajouter que « la protection de l’environnement ne doit pas se faire en sacrifiant la rémunération des créateurs et le soutien à la création »

Un argument partagé par l’Académie des beaux-arts qui, la veille, avait fait savoir, dans un communiqué, « qu’on ne défendra pas l’écologie en s’attaquant à la création artistique ».  Dimanche plus de 1 600 artistes ont signé une pétition allant dans le même sens.
 

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