Des photographies aux films, en passant par les chansons populaires, les artistes n’hésitent pas à s’approprier les productions de tierces personnes. Mais un procès intenté à Barbara Kruger, à deux musées américains et à une maison d’édition vient aujourd’hui pointer les limites juridiques de ces détournements.
NEW YORK (de notre correspondante) - Dans les années quatre-vingt, des artistes américains, comme Barbara Kruger, Richard Prince ou Sarah Charlesworth, ont utilisé et détourné des images de la culture populaire, archives, photographies de presse ou images télévisées, pour interroger la notion de vérité transmise par l’image photographique. Mais quelles sont les conséquences de ces appropriations lorsque l’œuvre intègre une image qui n’appartient pas au domaine public ? À la suite d’une plainte déposée par Thomas Hoepker, photographe pour l’agence Magnum, et son modèle, Charlotte Dabney, le Whitney Museum de New York, le Los Angeles Museum of Contemporary Art (LA MoCA), la chaîne Public Service Television, les éditions MIT Press, et l’artiste Barbara Kruger vont être amenés à comparaître devant la cour fédérale de New York.
Les plaignants reprochent à Barbara Kruger d’avoir inséré dans une série d’œuvres datées de 1999 et 2000 une photographie représentant une femme tenant un verre grossissant : Charlotte as seen by Thomas, un cliché publié vers 1960 dans le magazine photographique allemand Foto Prisma. Sans en demander l’autorisation, l’artiste se l’est appropriée en rajoutant un cadre rouge et les mots “It’s a small world but not if you have to clean it” (le monde est petit tant qu’on n’a pas à le nettoyer). Les institutions et l’artiste ont réalisé la promotion et la vente de l’image, estime la partie civile. Ils l’ont reproduite et diffusée sur des t-shirts, des livres, des cartes postales, des sites Internet, des magnets, et des panneaux publicitaires. “Pour le Whitney Museum, cette plainte n’est pas recevable”, a déclaré un porte-parole du musée où les œuvres ont été exposées de juillet à octobre 2000, dans le cadre d’une exposition itinérante organisée par le MoCA, propriétaire de l’œuvre.
Parallèlement à cette atteinte aux droits d’auteurs, il est reproché à la partie adverse d’avoir utilisé l’image du visage de Charlotte Dabney à des fins commerciales, sans son consentement. Ayant réalisé la promotion et la vente de cette image, ils sont accusés d’avoir fait d’elle “une attraction publique”.
Outre la saisie des pièces incriminées, les plaignants réclament une ordonnance contre une exploitation plus large de l’image, et des dommages et intérêts, de l’ordre de 100 000 dollars pour chaque transgression délibérée, et de 20 000 par transgression reconnue par le tribunal. Une autre solution consisterait en l’étude, par le tribunal, des gains réalisés par l’utilisation de la photographie et du manque à gagner des plaignants conformément aux lois du droit civil. S’ils veulent obtenir des dommages et intérêts conséquents, ces derniers devront prouver qu’ils auraient récolté des bénéfices en accordant une licence d’utilisation de l’image à Barbara Kruger. Mais si l’image n’a généré aucun profit pendant plusieurs décennies, l’accusation de non-respect des droits d’auteur sera difficile à établir. “Tous les accusés [...] connaissent la législation en matière de droits d’auteur et de vie privée. Ils savaient pertinemment qu’ils ne pouvaient pas utiliser cette image sans accord ou autorisation écrits”, ont fait valoir les plaignants.
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Les droits d’auteur passés à la loupe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : Les droits d’auteur passés à la loupe