Fondation, collections, ventes, développement, 2006 a été marquée par de grands événements. Le « Journal des Arts » a désigné les acteurs de l’année.
Bernard Arnault, collectionneur, président de la Fondation Louis-Vuitton pour la création
Une fondation chasse l’autre. Après l’échec du projet Pinault sur l’île Seguin (à Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine), l’annonce de l’ouverture à Paris en 2010 de la Fondation Louis-Vuitton pour la création a catalysé les espoirs. Coût du projet : 100 millions d’euros. Première fortune de France grâce au groupe LMVH, Bernard Arnault compte y valoriser aussi bien l’art du XXe siècle que les archives de son groupe. La crédibilité de ce projet repose surtout sur sa directrice artistique, Suzanne Pagé, ancien capitaine du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. La première pierre de cette structure, d’une superficie de 6 000 m2 et dessinée par l’architecte Frank Gehry, devrait être posée cette année. Le bâtiment reviendra à la Ville de Paris au terme d’un bail emphytéotique d’une durée de cinquante-cinq ans. Un acte généreux, même si, aux yeux de certains observateurs, Bernard Arnault est peu porté sur l’art actuel. « Il ne dit jamais non a priori. C’est tout sauf un blasé, c’est un passionné pragmatique », défend Jean-Paul Claverie, responsable du mécénat de LMVH. Ce dernier avance l’achat récent de la vidéo A Journey That Wasn’t (2005), de Pierre Huyghe, et d’une série de photographies de Hiroshi Sugimoto. D’aucuns murmurent pourtant que les acquisitions seraient ralenties. Y aurait-il trop de pilotes dans l’avion ?
Roxana Azimi
Pierre Berès, ancien libraire
L’année 2006 a consacré Pierre Berès, monstre sacré de la bibliophilie. Collectionneur d’autographes dès l’âge de 13 ans, celui-ci s’est rapidement entouré de livres, une passion qui le conduit à monter sa première librairie à l’âge de 24 ans. Ce grand marchand respecté de tous, qui a tiré sa révérence en 2005, disperse aux enchères le fonds de sa librairie : 10 millions d’euros en trois ventes en 2005 ; 3,7 millions d’euros sur une seule vacation en 2006 et quelques autres sessions programmées en 2007. Le point d’orgue de cette série à succès fut la vente de son cabinet privé de livres, non pas inédit car déjà exposé, mais pour le moins plébiscité. L’ensemble a rapporté 14,2 millions d’euros de recettes le 20 juin à Drouot, un record mondial pour une bibliothèque française dispersée en une seule fois. L’État français n’avait pas caché son intérêt pour certaines pièces de ce patrimoine littéraire, parmi lesquelles le manuscrit de la deuxième édition de La Chartreuse de Parme de
Stendhal, estimé alors 400 000 à 700 000 euros. Surnommé « La Chartreuse Berès », ce texte n’est finalement pas allé à l’encan. Pierre Berès lui a permis, grâce à un don généreux fait à l’État, de rejoindre les collections publiques françaises.
Armelle Malvoisin-Bianco
Pierre Bergé et Frédéric Chambre, président et vice-président de PBA
Après une mise en route quelque peu chaotique, la maison de ventes Pierre Bergé & associés (PBA) a réalisé une progression de près de 43 % de son chiffre d’affaires en 2006, avec plus d’un quart réalisé à Bruxelles, nouveau lieu d’implantation stratégique européen pour PBA. Grâce au soutien tactique et à l’appui financier de Pierre Bergé, le président du groupe, Frédéric Chambre, jeune commissaire-priseur ambitieux et vice-président de PBA, a négocié avec les anciens propriétaires (les frères De Jonckheere) le rachat début 2006 de la société Servart Beaux-Arts. Située dans l’ancien hôtel des Princes de Masmines, celle-ci est le leader belge des ventes publiques. « Le développement de l’activité de PBA en Belgique passe par le renforcement de marchés de niche comme l’art belge et le design et, pour 2007, les arts premiers. L’organisation de salons et d’expositions y a aussi sa place, tel le premier Salon international de la bibliophilie tenu en décembre 2006 », soutient Frédéric Chambre, installé à Bruxelles depuis six mois. Antoine Godeau, également vice-président, dirige PBA à Paris. Notons que la maison de ventes créée en 2002 s’est séparée en 2006 de ses deux plus anciens associés, Raymond de Nicolay et Éric Buffetaud.
A. M.-B.
Patrick Bongers, président du Comité professionnel des galeries d’art, directeur de la galerie Louis Carré & Cie
Les galeries ne comptent pas pour des prunes. Pour le prouver, le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), présidé depuis deux ans par Patrick Bongers, a publié en février 2006 une enquête commandée à l’institut de sondage CSA. L’occasion de réviser quelques clichés. Non, les galeries ne sont pas sous perfusion étatique, les achats publics ne représentant que 6 % de leur chiffre d’affaires. Oui, elles constituent une vraie masse économique, avec un chiffre d’affaires moyen de 797 878 euros. De quoi redonner le moral aux troupes et aux acheteurs. « Les collectionneurs se sont rendu compte que les galeries n’étaient pas des boutiques, mais étaient gérées comme des micro-entreprises », indique Patrick Bongers. L’association bataille pour obtenir, à l’instar des Britanniques, un moratoire jusqu’en 2010 pour l’application du droit de suite au profit des ayants droit de l’artiste après sa mort. Reste en outre à régler l’épineuse question de la sécurité sociale des artistes, à laquelle les galeries doivent encore contribuer malgré l’instauration du droit de suite. Président actif, Patrick Bongers est aussi un galeriste satisfait. L’artiste Hervé Télémaque, qu’il défend depuis douze ans, a décroché le record de 292 000 euros chez Christie’s à Paris en décembre. Alors heureux ? Très heureux !
R. A.
Francis Briest, commissaire-priseur
Codirecteur d’Artcurial, le commissaire-priseur Francis Briest a le sourire. Sa maison de ventes occupe la deuxième place derrière Christie’s avec un total de 100,5 millions d’euros. Son département fétiche, celui de l’art contemporain, a généré 27 millions d’euros, soit une progression de 82 %. Artcurial a même damé le pion aux auctioneers en décrochant le record de 2,5 millions d’euros pour une artiste américaine, Joan Mitchell ! La maison joue sur l’occupation de terrain, en sponsorisant le prix Marcel-Duchamp, le Prix du dessin de Daniel et Florence Guerlain et même la boîte de nuit Le Baron à Miami (en décembre). Francis Briest reste discret sur les perspectives. Tout juste confie-t-il qu’Artcurial sera internationale de manière significative à partir de 2007. D’après nos informations, Artcurial chercherait à organiser des ventes à Shanghaï. Elle pourrait même donner le coup d’envoi en septembre pour coïncider avec la foire ShContemporary. Côté est toujours, elle lorgnerait vers le Moyen-Orient. Une perspective logique depuis son rachat en août 2006 de Deauville Auction, spécialisée dans les ventes de pur-sang, très appréciés par les riches Arabes…
R. A.
Claude et Simone Dray, collectionneurs d’Art déco
Ils ont chiné à deux pendant vingt-cinq ans les plus belles pièces de mobilier d’Art déco, principalement en salles de ventes à Paris, associant les plus grands noms de l’époque : Rateau, Chareau, Ruhlmann, Legrain… aux pièces maîtresses de ces créateurs. Lorsque Claude Dray, magnat de l’immobilier, déménage avec sa famille en Floride, le couple décide de vendre. C’est la plus importante collection Art déco à être jamais passée sur le marché. Tout le monde est aux aguets, mais c’est Christie’s qui emporte le morceau sans que la concurrence soit consultée. Le courant est passé entre les vendeurs et la direction de la maison de ventes. Des conditions financières ultra-préférentielles viennent sceller le contrat de vente. 59,7 millions d’euros sont récoltés en deux jours d’enchères. Les meubles de Rateau remportent les plus grosses mises : une paire de jardinières adjugée 4,16 millions d’euros devient le meilleur prix atteint pour l’artiste et un record mondial pour un objet d’art du XXe siècle. Sept autres pièces signées Rateau sont vendues entre 1 million et 3,4 millions d’euros, doublant ou triplant leur estimation. Selon l’expert Sonja Ganne, « Paris est une place très forte pour l’Art déco, tout autant que New York. En raison du niveau de la collection, [il semble] que les clients étrangers [aie]nt eu un plaisir particulier à acheter à Paris. C’était même un cachet supplémentaire ».
A. M.-B.
L’invité surprise : le Grand Palais
Fraîchement transformé en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), le Grand Palais fut une aubaine pour un ministère en mal de politique culturelle, et des salons en quête d’identité. Grâce à leur déménagement dans ce bâtiment prestigieux, le salon Art Paris, la Biennale des antiquaires et la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) ont redoré leurs blasons et dopé les ventes. Pour le directeur d’Art Paris, Henri Jobbé-Duval, le bâtiment aurait joué en faveur de l’inscription d’un tiers de ses exposants. L’attrait du bâtiment a aussi permis le ralliement de la galeriste Barbara Gladstone à la FIAC, ou du marchand Robert Landau à la Biennale. Comme toute fermeture pour travaux est provisoirement écartée, les salons peuvent encore user du site comme d’un appât. Ce en attendant l’utilisation des espaces situés sous mezzanine, la remise à niveau de l’ensemble des équipements, sanitaires en tête, et la création d’accès de livraison et d’issues de secours supplémentaires, ce qui relèverait la jauge. Sans oublier la récupération des espaces autrefois occupés par l’Université. L’addition pour ce grand chambardement s’élèverait à 110 millions d’euros. L’État devrait prendre en charge la moitié de ces dépenses, relatives à la restauration, l’EPIC s’occupant du reste via un montage entre mécénat de compétence, recettes d’exploitation et… emprunts bancaires !
R. A.
Thierry Ehrmann, président du groupe Serveur et d’Artprice.com
Le président du groupe Serveur et d’Artprice.com a donné une nouvelle dimension à son site de cotation en lançant en 2005 « la place de marché » avec les « Artprice stores ». Ces boutiques de vente d’art en ligne gérées par les professionnels ont attiré 460 312 nouveaux visiteurs depuis leur création. Entre 2005 et 2006, 352 693 petites annonces ont été déposées en ligne, soit une croissance de 652 % pour l’année 2006. Plus de 2 milliards d’euros d’œuvres d’art ont en moyenne été proposées chaque jour en 2006 (valeur estimée). Ce chiffre, le double de celui de 2005, situe Artprice devant les premières maisons de ventes mondiales en fine art. Thierry Ehrmann a par ailleurs été sous les projecteurs avec sa « Demeure du Chaos », un feuilleton judiciaire qui a fait un tour du monde médiatique. La mairie de Saint-Romain-au-Mont-d’Or (Rhône) a demandé la remise en état de cet ancien relais de poste du XVIIe siècle transformé en lieu de création hors norme, s’étendant sur 12 000 m2 et regroupant, depuis 1999, 2 700 œuvres d’art réalisées par une cinquantaine d’artistes.
A. M.-B.
Guy Loudmer, commisssaire-priseur
Interdit de « marteau » pour les ventes judiciaires jusqu’en juillet 2007, le commissaire-priseur au passé sulfureux a fait un come-back très remarqué en 2006. Apporteur d’affaires depuis quelques années auprès de plusieurs sociétés de ventes parisiennes, Guy Loudmer a voulu sortir de l’ombre avec la collection Vérité, représentant la plus importante vente publique jamais organisée en arts primitifs. Après plusieurs mois de négociations avec Drouot Holding pour préparer un coup médiatique sans précédent en utilisant le nom « Drouot » en tant que marque, c’est l’échec. Parallèlement, il rejette les propositions des maisons concurrentes, lesquelles convoitent toutes la collection Vérité. Finalement, il s’associe à la petite SVV Enchères Rive Gauche. Sous cette enseigne, sont adjugés les 514 lots Vérité pour 44 millions d’euros les 17 et 18 juin à Drouot. Parce que son nom apparaît dans toutes les phases d’organisation de la vente, Guy Loudmer s’attire les foudres du Conseil des ventes volontaires qui, après avoir renoncé à faire interdire la vente, a engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’Enchères Rive Gauche.
A. M.-B.
François Pinault, collectionneur, propriétaire de Christie’s
Le magazine britannique Art Review l’a placé en octobre au premier rang de son Top 100 des plus puissants acteurs du monde de l’art. Une pole position qu’expliquent le leadership de sa maison de ventes, Christie’s, et la présentation en avril de 10 % de sa collection au Palazzo Grassi, à Venise. Cette exposition d’œuvres parfois maîtresses a été desservie par un accrochage serré et des salles congestionnées. Le bâtiment étant inadapté aux dimensions des installations d’art contemporain, l’homme d’affaires brigue depuis plusieurs mois la Punta della Dogana. Entre-temps, un autre candidat est sorti du bois, le Guggenheim. Quelle que soit l’issue de la joute, François Pinault présentera un autre volet de sa collection l’été prochain au Palazzo, puis son fonds vidéo à partir du 15 octobre au Tri Postal à Lille. Si la plupart des amateurs refrènent leurs emplettes après avoir défloré leurs collections, Pinault s’est déchaîné en 2006. Il a acquis la grande installation Pluie noire, d’Adel Abdessemed, présentée à l’automne au Plateau, à Paris, ainsi que la sculpture de Subodh Gupta, à l’affiche de la Nuit blanche parisienne. Son conseiller Philippe Ségalot souligne aussi l’achat de Likeness 1 & 2, première œuvre de Marlene Dumas à rentrer dans sa collection.
R. A.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°251 du 19 janvier 2007, avec le titre suivant : Les dix personnalités de l’année