Commodes, bureaux, sièges, consoles, miroirs, appliques du XVIIIe français sont encore aujourd’hui la marque du bon goût, d’un certain savoir-vivre et un signe de réussite sociale. Au point d’en occulter l’art pictural de 1700 à 1750 qui n’a pas la même reconnaissance du marché, au grand dam des marchands.
Le XVIIIe français est pour le collectionneur, français ou étranger, le siècle de référence pour la grande ébénisterie. Le mobilier jouit d’un perpétuel engouement. Il attire traditionnellement aussi bien les riches amateurs et les nouvelles fortunes qu’une clientèle plus bourgeoise, à différents niveaux de prix. Ce marché complètement international est peu spéculatif, car les meubles achetés sont destinés à rester dans les patrimoines familiaux, au moins le temps d’une génération. Parce qu’il existe une unité d’intérêt pour tout le XVIIIe, le choix d’une pièce se fait souvent indépendamment d’une préférence pour un style. Le mobilier XVIIIe français se mélange plutôt bien, et les reconstitutions historiques ne convainquent plus que quelques propriétaires de demeures anciennes. Pour Anne-Marie Monin, de la galerie Cueto-Monin, “on peut mettre une paire de marquises Louis XVI près d’une commode Louis XV. Dans le XVIIIe, le seul critère de référence, c’est la qualité”. “Quand la qualité est là, on peut tout se permettre”, renchérit Xavier Wattebeld, de la galerie Flore. Aussi, le particulier qui vient chez un marchand acheter une commode, un bureau ou des sièges réagit-il souvent au coup de cœur. Par la suite, il peut se découvrir un goût particulier pour une époque plutôt qu’une autre. Selon le marchand Philippe Perrin, “avec le temps et la connaissance, le goût des collectionneurs évolue vers le mobilier plus ancien”. Mais “il est difficile d’acheter dans la première moitié du XVIIIe, observe l’antiquaire Bruno Faivre-Reuille. Plus on remonte dans le temps, plus les meubles se font rares”. Pour Jean-Claude Hureau, de la galerie des Laques, le mobilier Régence (1715-1730) reste l’un des plus beaux et des plus recherchés : “Il garde la noblesse du grand mobilier Louis XIV mais s’assouplit pour plus de confort”. Le style Louis XV (1730-1750), qui a été plus productif, s’est mieux démocratisé. Il plaît à un plus grand nombre de collectionneurs, même de nos jours “L’amateur du style Régence aime un mobilier de ligne masculine, de construction puissante, recherche un volume avec une ligne de douceur. Les placages sont sobres, mais les bronzes sont plus nombreux que pour le Louis XIV, explique le marchand Gérald de Montleau. Avec le Louis XV, la ligne est plus galbée, précieuse, féminine. L’ensemble du mobilier, particulièrement les sièges, devient très confortable. De nouveaux meubles apparaissent – tables de jeu, d’appoint, à en-cas, de toilette, de chevet, meubles d’encoignure, chiffonnières... – qui rendent cette période plus attractive”.
Les acheteurs, les prix
Les collectionneurs américains sont très amateurs de XVIIIe français, tous styles confondus. Ils constituent une part non négligeable de la clientèle des antiquaires, soit 50 % de leur chiffre d’affaires en moyenne. Ils ont la particularité de se faire conseiller et accompagner d’un décorateur avant d’acheter. “Même s’ils viennent seuls, c’est le décorateur qui a le dernier mot”, constate l’antiquaire monégasque Adriano Ribolzi. Les Européens, qui se partagent l’autre moitié du marché, n’ont pas cette démarche et suivent leurs préférences culturelles. Les Italiens sont friands de meubles Louis XV en bois doré ou peint. Le rocaille, qui rappelle le rococo allemand, plaît aux acheteurs germaniques. Les Anglais préfèrent l’acajou et les bois naturels de la Régence plutôt dans leur jus, tandis que les Français les feront plus facilement revernir. Curieusement, ces derniers représentent une part très faible du chiffre d’affaires des marchands, à peine 5 %.
Les jeunes collectionneurs orientent leurs premiers achat vers une commode, puis des fauteuils, qui sont à la fois des objets utilitaires mais “plus décoratifs que les bureaux”, souligne l’antiquaire Luc Bouveret. Les acheteurs d’objets d’art sont généralement déjà meublés. Le Régence est plus coté que le Louis XV, en raison du manque de pièces sur le marché. Pour les commodes, les prix démarrent à partir de 50 000 francs, mais il faut compter au moins 500 000 francs pour les plus beaux modèles. “Ce prix tient compte de l’état de conservation, de la qualité du bois et éventuellement du marbre, de la finesse d’exécution de la marqueterie, de l’assurance d’avoir des bronzes d’époque et de bonne facture”, précise le galeriste Guy Bellou. Les grandes commodes et les modèles en double arbalète sont les plus prisés. À qualité égale, 250 000 francs suffisent pour une belle commode Louis XV à deux tiroirs. Une paire de beaux sièges Régence en bois doré s’acquiert pour 150 000 francs. Une paire de cabriolets Louis XV vaut autour de 40 000 francs, mais elle sera moins recherchée que des sièges à dossier plat qui se vendront 100 000 francs la paire. Les objets d’art de haute qualité atteignent parfois les prix des meubles : à partir de 100 000 francs pour une paire d’appliques ou une belle pendule. Mais d’après le marchand Denis Dervieux, “il est de plus en plus difficile de vendre des pendules : c’est l’objet le plus souvent volé !”. Sur ce marché, la qualité se paie cher. Seules quelques pièces sont encore en dessous de leur prix. “Les chaises seules, les canapés, les chenets et les écrans de cheminée de qualité sont abordables à partir de 10 000 francs”, indique Xavier Wattebeld.
État de conservation et restaurations
L’état de conservation, facteur d’évolution des prix, est primordial pour le mobilier. “Quand un meuble est trop restauré, il est complètement dévalué et ne peut plus être accepté par un grand collectionneur. Les restaurations doivent laisser un meuble dans son état d’origine. Il faut donc qu’elles soient discrètes et habiles”, commente Jean-Claude Hureau. Ainsi sont admises les restaurations d’entretien ou de nettoyage, les revernissages du bois et les relaquages qui protègent les meubles. En revanche, un pied enté est pénalisant, et quand les ceintures ou les traverses des sièges ont été refaites, les prix ne sont plus les mêmes. Un replaquage est rédhibitoire, mais il y a une tolérance : “Au-delà de 10 % de restauration sur les parties planes, c’est du replaquage. Sur les tranches, on admet une intervention jusqu’à 30 % voire 40 %”, explique le galeriste Olivier Delvaille. Certaines redorures du bois sont tolérées, pour les sièges par exemple. De même, certains bronzes de meubles peuvent être redorés mais, pour Jean-Claude Hureau, “un amateur préférera des bronzes un peu fatigués, qui correspondent à une usure normale, qu’une redorure systématique”. “Il est plus important que les bronzes soient d’époque, rappelle Olivier Delvaille. Pour les objets d’art (pendules, chenets, appliques...), il faut être encore plus rigoureux en matière de dorure que de meubles. On recherche et on trouve beaucoup plus d’objets avec les dorures d’origine en bon état, la couche d’or appliquée sur ces pièces étant plus épaisse.” Pour sa part, l’antiquaire Philippe Vichot a choisi de ne vendre que des meubles et objets “dans leur jus”. Il a une clientèle qui le suit mais “fait faire les restaurations et redorures à la demande”. Par ailleurs, les professionnels se doivent d’annoncer toutes les parties refaites. Toutefois, pour les particuliers achetant en ventes publiques, les pièges abondent dans les catalogues qui usent d’une terminologie vendeuse. Bruno Faivre-Reuille connaît le problème : “Pour qu’une commode Louis XV soit authentique, le terme époque Louis XV doit apparaître. Le mot style n’offre aucune garantie en ce sens. Quand il est écrit quelques réparations, il est question bien souvent de véritables transformations. Aussi, après un mauvais achat aux enchères, le client revient souvent vers les marchands”.
La peinture en quête d’une nouvelle reconnaissance
Pour les meubles et les objets d’art, la clientèle reste privée, et les musées – qui disposent du Mobilier national –, s’intéressent davantage aux peintures ou aux tapisseries. La première moitié du XVIIIe siècle est remarquable pour ses tapisseries, très appréciées pour leurs couleurs vives et leurs qualités de conservation. Sous la Régence, la tapisserie décorative, qui était déjà en vogue sous Louis XIV, laisse progressivement la place à des scènes narratives (tapisserie “à alentours”). Le goût pour les “tentures des dieux” l’emporte dans le Louis XV. “À partir de 1740, Oudry et Boucher étendent la gamme de tons vers des demi-teintes, moins résistantes à la lumière, et l’utilisation de la soie rend les pièces plus fragiles”, remarque Nicole Pazzis-Chevalier, de la galerie Chevalier. Outre ceux des grands musées internationaux, les achats de tapisseries sont principalement américains et sud-américains. “On commence à retrouver une clientèle européenne qui reste très minoritaire, non pas pour une question de goût, mais de moyens”, explique Dominique Chevalier. En effet, la tapisserie est un objet de haute décoration dont les prix atteignent des sommets (plusieurs millions de francs), ce qui n’est pas le cas des peintures. À part les trois grands noms de l’époque – Watteau, Boucher, Chardin – appréciés des collectionneurs et des musées internationaux, l’art pictural du début du XVIIIe siècle souffre d’un désintérêt notoire, au profit du tableau italien ou flamand. “Il y a peu de pièces, peu de collectionneurs français et donc pas de marché”, reconnaît le marchand Éric Coatalem. “Ce désintérêt pour cette peinture, qui demande un effort de compréhension, s’explique par le manque de culture des collectionneurs pour la période”, regrette le marchand Jacques Leegenhoek. Ce marché est donc très accessible et même sous-évalué. Pour Didier Aaron, “c’est l’occasion d‘acheter des chefs-d’œuvre de seconds maîtres français”. Un beau pastel de Perroneau ne coûte aujourd’hui que 150 000 francs , un Quentin de la Tour 400 000 francs. “On trouve des portraits de qualité musée sans dépenser des millions, et même sans dépasser le million”, confirme l’expert Éric Turquin, qui ajoute : “Ce marché souffre également du manque de marchands spécialisés, et avec la fermeture de la galerie Cailleux, cela ne va pas s’arranger”. Même constat pour les dessins de qualité qui, hormis les Boucher ou Watteau, manquent d’acheteurs. Leurs prix ne dépassent pas 200 000 francs. De l’avis de l’ensemble des marchands, les prix de la peinture et du dessin de la première moitié du XVIIIe siècle ne peuvent que monter à terme. En attendant, Éric Coatalem trouve “frustrant de garder une belle feuille que l’on finit par brader, après deux ans passés en stock, faute d’acheteurs”.
Pour le mobilier, il est préférable d’acheter ce que l’on aime sans se laisser influencer, en fonction de son budget et en privilégiant la qualité – beauté de la ligne, finesse de la marqueterie, harmonie des proportions – et l’état de conservation, de négliger l’estampille – apparue tardivement sous Louis XV, comme une taxe, elle ne garantit rien et peut également être imitée – , mais de s’assurer que les bronzes sont bien d’époque et qu’un placage n’est pas à la perce, c’est-à-dire trop fin. Pour ne pas être déçu, il convient prendre son temps pour choisir, de demander un avis à plusieurs spécialistes, autres que l’antiquaire ou l’expert lors d’une vente publique, et d’exiger une facture avec un descriptif détaillé et une photo. Pour les objets d’art, il faut éviter d’acheter des bronzes ou des bois qui ont été redorés et être particulièrement vigilant sur l’état de conservation. Quant à la peinture et au dessin, c’est le moment d’acheter les petits maîtres – ils ne sont pas à leurs prix – mais en prenant bien soin de s’entourer de conseils de spécialistes, comme celui-ci : “Mieux vaut acheter un chef-d’œuvre d’un artiste moyen qu’un mauvais Boucher�?.
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Les collectionneurs se passionnent toujours pour le mobilier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°82 du 30 avril 1999, avec le titre suivant : Les collectionneurs se passionnent toujours pour le mobilier