À un mois d’intervalle, deux foires affichent des stratégies différentes pour conquérir le marché asiatique. ShContemporary joue la carte du cosmopolitisme, SJFAF mise sur le luxe
Imaginez un melting-pot d’artistes venus d’Inde, de Chine, du Japon, pour la plupart inconnus sous nos cieux. Vous aurez alors une idée de la foire ShContemporary, organisée du 6 au 9 septembre à Shanghaï. Un événement où, une fois n’est pas coutume, l’impérialisme américain était hors jeu, sur le plan tant des créateurs que de l’organisation, menée par le marchand genevois Pierre Huber, l’ancien mentor de la Foire de Bâle, Lorenzo Rudolf, et la Feria de Bologne. Malgré de fortes inégalités, une sourde mésentente entre les organisateurs et une présence controversée des maisons de ventes, le résultat est une réussite à la fois artistique que commerciale.
Les artistes, des marques
Tout comme les grandes marques étrangères, galeries et antiquaires rêvent de transformer les quelque 400 000 millionnaires chinois et 130 millions de personnes issues de la classe moyenne en clients assidus. Ce qui ne se fera pas en un tour de main. Même si le collectionneur Yang Bin a acheté quatre tableaux de Philip Ackerman chez Simoens (Knokke), ou que l’amateur Guan Yi a emporté la chambre maculée de boue de Chen Zhen et le tapis de pommes de Gu Dexin chez Continua (San Gimignano, Pékin), il serait illusoire de parler de rush des locaux. Pour l’heure, les Chinois préfèrent la peinture traditionnelle, et observent l’art contemporain, a fortiori étranger, avec circonspection. « Ils demandent d’emblée 40 % de réduction et veulent des créateurs qui sont déjà des marques », relate Jutta Nixdorf, directrice de la galerie de Pury & Luxembourg (Zurich). En revanche, le salon, qui a accueilli 39 500 visiteurs, s’est imposé d’emblée comme un carrefour pour les acheteurs asiatiques, en particulier les Coréens. Les étrangers ne sont pas non plus repartis bredouilles. Les émissaires de Charles Saatchi ont acheté une sculpture de l’Indien Jitish Kallat tandis que le courtier Roderick Steinkampf s’est porté sur une grande installation du Chinois Qiu Xiaofei.
Alors que ShContemporary mise sur une rencontre Est-Ouest, Shanghaï Fine Jewellery and Art Fair (SJFAF), prévue du 12 au 21 octobre, affiche une cible unique. « Nous ne voulons pas être une destination pour les amateurs étrangers, mais un salon pour les collectionneurs asiatiques », indique Xiaozhou Taillandier, conseillère du salon. Leur concept ? L’hameçon du luxe, dont les Chinois seraient, d’après une étude de Goldman Sachs, les troisièmes consommateurs mondiaux. « Nous nous donnons une fenêtre de trois ans pour transformer ce qu’ils perçoivent comme produit de luxe en œuvre d’art autonome », précise Maximin Berko, codirecteur de la foire.
« Je me sens très seul dans ma démarche. » Cette phrase, les rares acheteurs chinois d’art contemporain nous l’ont répétée en boucle. « En 2004, lorsque j’ai reçu des riches investisseurs chez moi, ils m’ont dit qu’ils ne voudraient pas de mes œuvres, même gratuitement », rappelle le collectionneur Guan Yi, lequel a fait fortune dans les photos de mariage. « Mais quand ils ont vu la flambée des prix, ils ont réclamé une autre visite de mon espace. » Cet entrepôt situé à Song Zhuang, près de Pékin (ill. p. 17), n’abrite qu’un tiers d’une collection composée surtout de grandes installations, notamment de Huang Yong Ping. « Lorsque j’ai commencé, je me suis rendu compte que toutes les œuvres importantes des artistes chinois se trouvaient en dehors de la Chine, explique l’intéressé. Cela m’a attristé et j’ai voulu construire un ensemble qui soit historique et signifiant. »
Longtemps conseillé par le curateur Hou Hanrou, Guan Yi fait toutefois figure de météorite dans la galaxie des acheteurs chinois, enclins à la déco et à l’accumulation. Ce mélange se perçoit dans la maison hallucinante – dotée d’un escalier en colimaçon qui évoque celui du Guggenheim –, construite par l’homme d’affaires Zhang Rui à Bi Shui, à 20 km de Pékin. Son ensemble de six cents pièces constitué en l’espace de six ans va de Fang Lijun à Yang Shao Bin en passant par des achats récents d’Angelo Filomeno, de Barthélémy Toguo, Damien Hirst et Kendell Geers. Zhang Rui compte distiller quelques pièces dans les chambres d’un hôtel baptisé « Art Now Hotel » à Pékin, clin d’œil à la galerie Art Now Beijing dans laquelle il a aussi investi. P.-D.G. de Beijing DSH Auto Co., Yang Bin compile quant à lui depuis sept ans. Voilà quelques mois, il s’est doté d’une réserve visitable de 300 m2 abritant quelque deux cents œuvres. Rangés soigneusement dans des épis téléguidés, des tableaux Réalistes socialistes côtoient des « kitscheries » en tout genre, mais aussi un beau diptyque de Yan Pei-Ming et un tableau d’Anselm Kiefer. Hétéroclite ? Certes. N’oublions pas que François Pinault a commencé sa collection avec des tableaux figuratifs du Breton Franck Innocent...
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Les Chinois mordront-ils à l’hameçon ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Les Chinois mordront-ils à l’hameçon ?