Grâce à leur image, les établissements publics réussissent à largement augmenter leur budget d’acquisition par l’intermédiaire de dons, de dations, de mécénat. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne
Achats, dons, dations, donations, legs… : « La grande force des musées en matière d’acquisitions est, selon Henri Loyrette, président-directeur du Musée du Louvre, à Paris, la diversité des sources. » Sept des huit départements de l’institution se sont ainsi enrichis en 2005, avec 334 numéros d’inventaire supplémentaires, 188 achats, 141 libéralités et cinq œuvres entrées par dation.
Parmi les acquisitions à titre onéreux, trois pièces majeures sont à signaler pour l’exercice 2005. Le Portrait du duc d’Orléans par Ingres fut l’événement de la fin de l’année. Viennent ensuite L’Homme de mauvaise humeur de Messerschmidt et La Nymphe (dite aussi Aréthuse) de Claude Poirier. « La tête de Messerschmidt est une acquisition tout à fait notable, qui permet au Louvre de s’ouvrir à d’autres domaines, à d’autres pays », souligne Henri Loyrette. Actuellement, l’inflexion générale dans les différents départements en matière d’acquisitions n’est pas seulement de combler des lacunes, mais aussi d’ouvrir les collections à des domaines peu ou pas représentés (Messerschmidt en est un bel exemple), explorant notamment l’art slave, scandinave, américain. » Cette ouverture aux écoles étrangères est également l’une des préoccupations de Serge Lemoine, président du Musée d’Orsay, à Paris. Il en va ainsi de l’achat du Bûcheron de Ferdinand Hodler. Orsay conserve aujourd’hui trois œuvres de l’artiste, et ne possédait aucun tableau de sa dernière période, celle des grandes figures entre symbolisme et expressionnisme. « En 2005, l’effort s’est porté sur Hodler, Spilliaert, Khnopff, par exemple. Il faudrait dans la collection du musée plusieurs œuvres significatives de Klimt, Schiele et Segantini. » À Orsay, Le Bûcheron (1910) de Hodler et Soir d’octobre (1891) de Maurice Denis se partagent, avec respectivement 1,6 million et 1,2 million d’euros, l’essentiel du budget imparti au département des Peintures.
Enveloppe du ministère
À Orsay comme au Louvre, au Centre Pompidou comme à Versailles, les objectifs en matière d’acquisitions restent les mêmes : privilégier une pièce manquante au puzzle d’une collection et conforter la cohérence de celle-ci. Le futur Musée du quai Branly, à Paris, ne déroge pas à la règle. Depuis 1999, son souci est d’équilibrer les quatre continents dont il a la charge, Afrique, Asie, Océanie et Amérique.
La politique d’acquisition du Musée Guimet, à Paris, est claire : « Il ne s’agit pas de boucher des trous, nous n’avons aucun devoir d’exhaustivité, remarque Jean-François Jarrige, son directeur. La priorité est d’acquérir des pièces intéressantes. L’idée étant de renforcer la peinture chinoise et japonaise, et, dans ce cas précis, de combler des lacunes avec des artistes majeurs. » Parmi les pièces les plus importantes entrées dans les collections de ce musée, le directeur souligne le caractère exceptionnel d’un paravent coréen représentant un cheval à la longe. « Cette pièce est rare, car, au début du XVIIe siècle, les chevaux sont systématiquement représentés en nombre. Ici il n’y en a qu’un, imposant, et on ne trouve cela que dans les ex-voto. »
Au Louvre et à Orsay, 20 % des recettes du droit d’entrée des collections permanentes sont systématiquement voués aux acquisitions. Cet apport important, dû à l’excellente fréquentation des institutions, permet d’acquérir des œuvres onéreuses sur les seuls fonds propres. Le domaine de Versailles ne bénéficie pas de cette disposition. « Il est anormal que seuls le Louvre et Orsay bénéficient de ce système des 20 % », regrette d’ailleurs Pierre Arizzoli-Clementel, directeur général de l’établissement public du Musée et domaine national de Versailles. Deux grandes acquisitions ont marqué 2005 : le buste en marbre du cardinal de Polignac sculpté par Coysevox (un million d’euros) et le coffre de Marie-Antoinette de Riesner (350 000 euros), acquis en vente publique sur les fonds propres du château de Versailles. Œuvres emblématiques d’une politique d’acquisition axée sur les personnages et le mobilier. « Versailles ne présente aujourd’hui qu’environ 10 % du volume de mobilier présent avant la Révolution. On recherche surtout aujourd’hui les bibelots, les objets susceptibles de rendre plus vivantes certaines pièces du château encore désincarnées », explique le directeur général. Avec 1,1 million de crédit fixe, le budget d’acquisition de Versailles est peu important. « Nos budgets vont aujourd’hui principalement aux travaux de restauration du château et des jardins, souligne Pierre Arizzoli-Clementel. Et le fonds du patrimoine est également un problème. Il va diminuer et il sert surtout à l’acquisition de trésors nationaux. » Le fonds du patrimoine, enveloppe du ministère de la Culture destinée à l’acquisition de pièces exceptionnelles, a ainsi permis au Louvre de disposer d’un million d’euros supplémentaires pour l’achat de deux œuvres, celle de Messerschmidt déjà citée et un album de Girodet comprenant 75 dessins et croquis.
En termes de budgets, si Versailles tourne autour de un million d’euros, plus de 35 millions d’euros ont été dépensés par le Louvre, dont 4,8 des 6,9 millions provenant du droit d’entrée des collections permanentes (20 % du chiffre global, donc).
Le solde restant – 2,75 millions d’euros – est une provision sur les acquisitions 2006.
Au Musée d’Orsay, 4,6 millions d’euros ont été consacrés aux acquisitions en 2005, dont 1,55 million d’euros provenant du droit d’entrée (fonds propres). 3,08 millions proviennent du mécénat, qui a permis de financer un tiers des acquisitions de l’année. La répartition des acquisitions se fait comme suit : 15 % pour les peintures, 37 % pour les arts décoratifs, 29 % pour la photographie, 9 % pour les sculptures, 4 % chacun pour le dessin et les archives et, enfin, 2 % pour l’architecture.
Ampleur du mécénat
52,72 % des acquisitions d’Orsay sont des achats, la seconde moitié se partage entre les dons (29,9 %), les dations (1,81 %), les donations (3,63 %) les donations sous réserve d’usufruit (1,81 %) et extinctions d’usufruit (10,9 %). Définir un budget annuel pour le Musée du quai Branly s’avère plus difficile, puisque, de 1997 à 2006, une somme globale de 22 millions d’euros était dévolue aux acquisitions. Au Centre Pompidou, toutes sources confondues, ce sont quelque 1 534 œuvres qui sont entrées dans les collections en 2005, avec un budget d’acquisition de 4,3 millions d’euros ; dont Superficie no 67 de Capogrossi, Triplice, Tenda de Carla Accardi et un collage de Schwitters, MZ.
Parmi les pièces phares entrées au Musée national d’art moderne, à Paris, Alfred Pacquement, son directeur, retient Achilles mourning the Death of Patroclus de Cy Twombly et un Meuble à coulisses de
Francis Jourdain, tout en soulignant en clin d’œil qu’un Rebus de Rauschenberg « n’aurait pas déparé dans la collection ».
Sous la forme globale d’une subvention, le budget du Musée Guimet s’élève à près d’un million d’euros. Mais l’essentiel des acquisitions sont des donations, dont deux œuvres coréennes estimées chacune 2 millions d’euros par Sotheby’s. « En comptant les dons et le mécénat, on arrive donc à un chiffre cinq à six fois plus élevé, souligne Jean-François Jarrige. Les nouvelles dispositions fiscales nous ont donné des moyens supplémentaires importants. Ce n’est en rien un désengagement de l’État. Nous pouvons aujourd’hui, avec le même apport du musée, faire beaucoup plus d’acquisitions qu’il y a quelques années. ».
Dons, legs et donations
Le mécénat a pris depuis 2003 une ampleur nouvelle. Pour Henri Loyrette, « de grands groupes comme AXA ou les AGF se montrent fidèles, sans qu’ils soient pour autant liés par une convention ». Le mécénat représente pour le Louvre la jolie somme de 15,8 millions d’euros. Au Centre Pompidou, la bibliothèque Kandinsky bénéficie de l’entrée d’une vaste collection de 1 000 revues et périodiques (expressionnisme, dada, futurisme…) réunis par Paul Destribats et achetés par le musée grâce au mécénat du groupe Lagardère (lire le JdA no 230, 3 février 2006).
Les dons, legs et donations représentent une large part des acquisitions. La donation exceptionnelle d’une valeur de 2,3 millions d’euros au Centre Pompidou par la Caisse des dépôts de 750 photographies contemporaines de 200 artistes (Thomas Struth, Andreas Gursky, Martin Parr…) en est une belle illustration. Aussi remarquable est le don d’un dessin de Penone (Palbebre, 1989), par la Clarence Westbury Foundation (Houston, Texas). Au Louvre, les dations se poursuivent, avec, en 2005 pour les objets d’art, un mobilier de salon (1710-1720) de Pierre Crozat. D’autres dons sont à signaler, tel celui du Jugement de Salomon, un dessin d’Ingres d’après Poussin issu de la collection de M. et Mme Louis-Antoine Prat.
Autre aide majeure aux acquisitions: les sociétés des Amis de musées. En 2005, celle du Louvre a apporté 1,6 million d’euros et a permis d’acquérir l’Autoportrait à l’œil-de-bœuf de Maurice Quentin de La Tour (pour 0,9 million d’euros). À Versailles, « il n’y a eu en 2005 aucun legs, don ou donation. Les gens préfèrent une remise d’impôts au don de leurs œuvres d’art, il y en a donc de moins en moins », regrette Pierre Arizzoli-Clementel. L’aide des « Amis » est donc particulièrement précieuse, puisque les acquisitions se font uniquement à partir des fonds propres de l’établissement.
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Les bienfaits de la diversification
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Les bienfaits de la diversification