Les collectionneurs d’objets en émail champlevé du XIIe siècle s’affolent pour les rares et belles pièces, tout comme les amateurs d’émaux peints de la Renaissance.
Si la belle statuaire éveille un vif intérêt dans le marché de l’art de la Haute Époque, les émaux français de Limoges – champlevés au XIIe siècle et peints au XVIe siècle, sont également prisés. Mais ces deux techniques correspondent à deux marchés distincts de collectionneurs.
Le 19 novembre 2007 à Paris chez Sotheby’s, la vente de la collection Dormeuil d’objets d’art médiévaux, soit une vieille collection française commencée au XIXe siècle, a mis sur le devant de la scène plusieurs rares pièces en émail du Limousin. La plus haute enchère de la catégorie est revenue à une châsse en émail champlevé de la fin du XIIe siècle, illustrant le martyr de saint Thomas Becket, qui s’est envolée à 569 850 euros. On reste pourtant loin du record de 4,18 millions de livres sterling (5,9 millions d’euros) pour un objet en émail obtenu par une châsse du même sujet vendue le 4 juillet 1996, à Londres, chez Sotheby’s. Selon Ulrike Goetz, directrice du département sculptures et objets d’art de la maison à Paris, « cette châsse était d’une qualité exceptionnelle, en parfait état et de très grandes dimensions (près du double de celles de la collection Dormeuil) ». Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait par la suite rejoint les collections du Victoria & Albert Museum de Londres.
Véritable événement dans ce domaine, la vente Dormeuil a eu un double effet sur le marché. « Elle a fait monter les prix sur les pièces importantes », observe l’antiquaire parisien Gilles Bresset. Et elle a fait sortir quelques beaux exemplaires du genre. Le 3 décembre 2007 à Drouot (SVV Gros-Delettrez), une châsse de Limoges du XIIIe siècle en cuivre champlevé, ciselé, doré et émaillé polychrome, a été adjugée 3 284 000 euros. Elle était ornée de quatre scènes de la vie du Christ. Provenant de l’ancienne collection Charles-Joseph van der Helle au XIXe siècle, elle était restée dans la famille depuis. Outre les châsses en émail champlevé qui sont des pièces majeures, sont collectionnées les plaques de reliure illustrées généralement d’une Crucifixion, destinées à orner et protéger les ouvrages liturgiques. Un exemplaire de la collection Dormeuil, daté vers 1210-1230, a été préempté par les musées de France pour 192 250 euros. Une plaque de reliure en cuivre champlevé doré et émaillé, représentant le Christ en Majesté, réalisée à Limoges vers 1185-1190, est montée à 384 250 euros le 4 mars 2008 à Paris chez Christie’s. Elle provenait de l’ancienne collection Charles Gillot restée dans la famille depuis 1897. D’une grande qualité, cette plaque était attribuée au « maître aux asters ciselés », artiste actif à Limoges à la fin du XIIe siècle. Les objets en émail champlevé les plus courants sont les pyxides (boîtes à hosties) qui valent de 10 000 à 25 000 euros. Plus rares sont les Croix de procession, boîtes aux saintes huiles et colombes eucharistiques (lire encadré).
L’art de l’émail renaît à Limoges, à la Renaissance, avec les émaux peints dont l’âge d’or se situe vers 1530-1560. Les sujets profanes, qui fleurissent sur assiettes, plats, coupes, salières et rares coffrets, séduisent à présent un large public, différent de celui des émaux champlevés. Parmi les thématiques traitées, on trouve des séries sur les saisons, les mois de l’année illustrant les travaux agricoles, les empereurs romains, des scènes mythologiques, mais aussi des scènes de l’Ancien et du Nouveau testament. Le prix d’une pièce tient compte de la qualité du dessin et de son attribution à un artiste peintre-émailleur. L’état de conservation a son importance. Une perte de plus de 20 % de l’émail conduira à une dépréciation, tandis que des bordures usées sont acceptables tout comme des égrenures, petits éclats et écaillures lorsqu’ils n’atteignent pas le motif central. Le 24 mars 2005 à Paris chez Sotheby’s, une paire d’assiettes en émail peint représentant les mois de Février et Août, vers 1570-1575, attribuée à Pierre Reymond s’est vendue 32 400 euros. Lors de la même vente, une autre paire du même artiste, illustrant Février et Juillet, est montée à 78 000 euros, car elle était auréolée des armoiries de la famille Chaspoux de Verneuil. Le 10 juillet chez Christie’s à Londres, un plat à aiguière de 46 cm, également attribué à Pierre Reymond, s’est envolé à 235 250 livres (300 000 euros). Il était décoré en son centre d’un buste du Christ de profil entouré d’une frise narrative de cinq scènes tirées du livre de la Genèse et son rebord était orné d’une frise de satyres, faunes et bêtes fantastiques. Il arborait au verso un décor tout aussi somptueux.
Même s’il s’agit d’un objet liturgique (ill. ci-contre), cette colombe eucharistique décorée d’émaux polychromes champlevés sort du répertoire religieux auquel sont cantonnés les objets en émail champlevé des XIIe-XIIIe siècles. Son extrême rareté, sa finesse d’exécution et son ancienneté la rendent d’autant plus désirable aux yeux d’amateurs d’objets d’art, et pas seulement ceux du cercle des collectionneurs d’objets médiévaux en émail champlevé. Ce chef-d’œuvre faisait partie de la collection parisienne Frédéric Spitzer à la fin du XIXe siècle avant d’intégrer une collection privée américaine, puis le Musée Albright-Knox Art Gallery de Buffalo. Il existerait une vingtaine de colombes eucharistiques. Celle-ci est demeurée dans un état de conservation exceptionnel. Elle repose sur une plaque décorée d’émail, rajoutée au XIXe siècle, comme celle conservée par le Metropolitan Museum of Art de New York. La colombe d’Albright-Knox a été vendue à plus du double de son estimation haute, pour près de 2 millions de dollars à New York le 8 juin 2007 chez Sotheby’s. Il y avait au moins 25 ans qu’une colombe eucharistique en émail n’était apparue sur le marché.
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L’envolée du champlevé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : L’envolée du champlevé