Les dernières années du règne de Louis XIV, marquées par une bigoterie royale renforcée, une cour cadenassée à Versailles et des guerres éprouvantes pour les finances, auguraient mal de l’étonnante prospérité de la régence du duc d’Orléans et du règne de Louis XV.
Alors que l’architecture restait fidèle aux réalisations antérieures, l’art de la distribution et du décor intérieur, comme les objets d’art, ont trouvé dans les styles Régence et rocaille un renouveau considérable. Apparues d’abord dans l’orfèvrerie, la ligne courbe et la composition asymétrique se sont imposées progressivement, jouant avec un répertoire décoratif ambigu et une polychromie étonnante. Créé pour une société galante dans un esprit de liberté, le style rocaille est une originalité française.
À la mort de Louis XIV en 1715, la détresse est générale. Colbert avait voulu enrichir la France, la transformant en un grand pays commerçant capable d’exporter. Les manufactures des Gobelins, de Beauvais et d’Aubusson s’étaient développées, d’autres avaient été créées. L’Académie royale de peinture et de sculpture avait formé des artistes pour servir la grandeur du monarque dans un souci de représentation : les artistes travaillaient surtout pour Versailles et leur art reflétait la volonté du roi. Mais, du gigantesque effort de Colbert, il ne restait que des dettes. Versailles était un gouffre financier, les guerres avaient repris en 1688, les caisses du royaume étaient vides et les Français avaient faim. Et le roi vieillissant devenait bigot, conforté par Madame de Maintenon. Son absolutisme s’étendit à la religion. Il lutta contre les Jansénistes, détruisant en 1709 le monastère de Port-Royal. Contre les protestants, il généralisa les dragonnades, torturant pour les convertir au catholicisme, en particulier après la révocation de l’Édit de Nantes, le 18 octobre 1685. Nombre de riches mécènes quittèrent la France ; industriels, fabricants et commerçants partirent enrichir les pays voisins.
La régence du duc d’Orléans (1715-1723) est alors la réaction à l’austérité d’un règne finissant. Le climat s’apaise, les conflits s’éteignent. Le cardinal de Fleury s’y emploie, tout comme il s’occupe de renflouer les caisses de l’État. Les cafés, les théâtres et les salons sont les lieux d’une culture plus allègre, où les railleries à l’égard du pouvoir se font jour. Montesquieu publie les Lettres persanes en 1721, et les remarques d’Usbek et Rica ridiculisent la Cour. Dans la littérature comme dans les arts, le XVIIIe siècle s’intéresse d’abord à l’homme : dans les portraits, le confort des intérieurs ou la philosophie naissante des Lumières de Voltaire ou de Diderot. L’hédonisme imprègne les arts, c’est le règne d’un esprit léger. L’art est souvent à la gloire de la femme, le libertinage s’épanouit. La culture française rayonne alors sur l’Europe.
Le goût pour l’intimisme domine, même si les morceaux de réception à l’Académie imposés aux peintres et aux sculpteurs rappellent que l’art officiel demeure. Déjà Louis XIV avait engagé ce changement à Versailles avec la frise d’enfants courant sur un fond en treillage du salon de l’Œil-de-bœuf (1701) et dans les décorations faites pour la duchesse de Bourgogne. Le goût n’est plus seulement celui du souverain ; les amateurs, grands seigneurs et riches bourgeois de Paris, se multiplient, renouant avec la tradition interrompue par le règne personnel de Louis le Grand. Sous Louis XV (1723-1774), l’homme de goût est collectionneur de tableaux ou de dessins. Julienne, l’ami de Watteau, est de ceux-là ; Blondel d’Azincourt possède près de cinq cents dessins, esquisses ou tableaux de Boucher. Interrompus de 1704 à 1725, les Salons, expositions au Salon carré du Louvre des artistes agréés ou reçus à l’Académie, contribuent à former le goût du public. La critique, récemment apparue, aussi : l’abbé Du Bos (Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, 1718) et Diderot (Correspondance littéraire de Grimm, 1759) réagissent aux créations, défendant Chardin ou célébrant Rosalba Carriera, par exemple. Les artistes s’adaptent à une nouvelle clientèle raffinée. À l’absolutisme de la politique d’un Le Brun se substitue une liberté nouvelle, laissée à l’expression personnelle des artistes.
Architecture : entre hommage et perfectionnement
Par ses commandes édilitaires ou religieuses, l’architecture française de la première moitié du XVIIIe siècle s’est inscrite dans la continuité du siècle précédent. Le système académique et la domination des dynasties des plus grands architectes du règne de Louis XIV ont permis la poursuite des programmes qui avaient perpétué le classicisme à la française. Paris et les grandes villes de provinces se sont dotées d’ensembles urbains dans lesquels les souvenirs de Versailles se mêlent à ceux de la colonnade du Louvre. À travers les places royales de Bordeaux (projet de 1729), Rennes (1730), Toulouse (1739) et Nancy (1752), les régions ont illustré leur allégeance à la capitale (place Louis-le-Grand, l’actuelle place Vendôme, projet de 1698) en se parant de façades ordonnancées qui illustrent la considérable fortune du dessin proposé par Jules Hardouin-Mansart pour la place des Victoires, dès 1685. Cette “grande manière entretenue” a été la marque des créations de la fin du règne de Louis le Grand et de la régence de Philippe d’Orléans. Louis XV a poursuivi ce principe avec l’aide des architectes Jacques V et Ange-Jacques Gabriel ; ce dernier a donné avec le Pavillon français de Trianon, en 1749, l’expression de “l’idéal du goût français” : la justesse du tout et l’excellence des détails.
Les nouveautés importantes sont apparues derrière les façades qui, malgré l’apparition d’une sculpture monumentale nouvelle, restaient d’une composition classique (l’hôtel Chenizot, rue Saint-Louis-en-l’Île, par Pierre de Vigny, François Roumier et Nicolas Viennot en 1726-1728, et les écuries du château de Chantilly par Jean Aubert, à partir de 1721). Distribution et décoration intérieures ont évolué à la faveur de la recherche obsessionnelle d’un plus grand confort. Ainsi, les plans des hôtels particuliers et des châteaux de plaisance ont-ils été dessinés de manière beaucoup plus libre, permettant à chaque pièce d’avoir une forme mieux adaptée à sa destination, afin qu’elle “se love sur sa fonction comme le fauteuil Louis XV sur les formes d’une marquise”, indique Jean-Marie Pérouse de Montclos. Les hôtels Crozat (1702), de Soubise (1705), Matignon (commencé en 1720) ou Peyrenc de Moras (1727) sont des modèles de perfection dans la recherche de la conciliation de l’apparat et du confort. Au faubourg Saint-Germain, pour l’hôtel Amelot de Gournay, Germain Boffrand parvient, vers 1710, à se jouer de ces règles tout en prenant le plaisir d’ajouter à ces contraintes celles du plan en ovale et de son insertion dans une parcelle rectangulaire étroite, à l’image d’un Le Vau ou d’un Lepautre.
Le style Régence : classicisme contre rocaille
Au cours du premier tiers du siècle, la société, plus parisienne, et des artistes plus jeunes ont créé des intérieurs nouveaux, à Versailles d’abord, puis à Paris, qui trahissaient un esprit majestueux et rigoureux, tempéré par un goût pour la simplicité et la fluidité. Au début du siècle, les plafonds se sont simplifiés, et la célèbre composition de François Lemoyne dans le salon d’Hercule du château de Versailles (1733-1736) est une exception dans le goût dominant pour les plafonds blancs aux corniches au dessin encore rectiligne. Parallèlement, la faveur des lambris de hauteur s’était affirmée. Aux murs, les panneaux de bois s’organisaient de façon rigoureuse en deux registres et travées régulières, sur un rythme impair qui pouvait se passer des ordres d’architecture (comme les façades contemporaines). Le panneautage était marqué par de fortes moulures, dont le dessin géométrique était de plus en plus contrarié par une modénature sinueuse. Il supportait un décor sculpté mêlant ornements classiques – frises de postes, rang d’oves, fond guilloché, écailles... –, coquilles ou palmes nouvelles. Ce décor pouvait être mis en valeur par une peinture au rechampis, aux tons sobres, avec une prédilection pour la noble bichromie blanc et or. Le goût pour le bois au naturel n’était cependant pas écarté. Le vocabulaire décoratif classique et baroque de la première partie du règne de Louis XIV s’est ainsi épuré progressivement au profit de motifs nouveaux proposés par les ornemanistes. Dès 1720 environ, le répertoire rocaille était établi. Cependant, ces ornements abstraits dérivés de motifs naturalistes étant toujours disposés, sans exclusivité, de façon régulière et symétrique sur des compositions équilibrées et solides, il était trop tôt pour parler de style rocaille. Dans le domaine des objets d’art français, sa préparation par le style Régence est également très claire.
L’orfèvrerie est le premier domaine qui ait exprimé ce changement de style et d’esprit. Stimulée principalement par la fonte du mobilier d’argent ordonnée par Louis XIV lui-même, cette évolution s’est traduite, à partir des années 1690, par la nouvelle importance des services de table. À l’image des services de toilette créés dès la première partie du XVIIe siècle, ils devinrent des ensembles cohérents. L’écuelle du Grand Dauphin (Sébastien Leblond, 1690-1692, Musée du Louvre) rappelle l’élégance de ces créations qui proposaient, sur des formes simples héritées des réalisations antérieures, un décor beaucoup plus discret, désormais linéaire et gravé, souvent sur un fond mat (décor dit au “tracémati”). Fondues à part, les deux oreilles de l’écuelle, auxquelles le décor en dauphins conférait une silhouette chantournée, présentaient déjà un caractère moderne d’ondulation des formes et de décor nouveau (écailles, coquilles...). L’élégance et la discrétion des arabesques et des ornements classiques côtoyaient l’originalité de la rocaille, montrant ainsi la voie du style Régence aux autres artisans.
Dans l’ébénisterie, deux artistes ont construit de leur originalité le style Régence. André-Charles Boulle (1642-1732) a produit, dans les premières années du siècle, ses fameux meubles de couleur noir et or à marqueterie métallique. L’originalité fondamentale de ces créations – aujourd’hui si connues qu’elles éclipsent celles, plus traditionnelles, de ses débuts, après 1672 – tenait à la nouveauté des meubles proposés et au renouvellement du décor. Celui-ci n’utilisait pas une technique nouvelle – dès le début du règne de Louis XIV, on rencontrait des meubles décorés de cuivre ou d’étain mêlés à des bois exotiques, à la corne ou à l’écaille –, et le dessin des “arabesques à la Bérain” reproduisait les motifs à la mode autour de 1700. La nouveauté fondamentale de ces décors résidait dans l’adaptation inédite de cette marqueterie à des bronzes dorés. La formation de Boulle et la liberté de création conférée par son logement au Louvre lui permettaient en effet de créer des bronzes importants, qu’il utilisait comme générateurs des arabesques marquetées. Ces bronzes, inspirés de la sculpture contemporaine, donnaient à ces meubles une majesté qui doublait celle du bâti et faisait dominer un décor figuré codifié.
La même prédominance des bronzes dorés se remarque chez le second grand ébéniste de la période, Charles Cressent (1685-1768, actif entre 1719 et 1757). À l’inverse de Boulle, qui est resté très attaché à l’esthétique du XVIIe siècle, ses créations étaient beaucoup plus ouvertes vers le siècle des Lumières. S’il a conservé le goût des constructions solides, il a réussi à les tempérer en introduisant systématiquement la forme courbe dans le bâti. C’est ainsi qu’il est parvenu à “moderniser” des meubles que Boulle avait inventés – comme le bureau plat ou l’armoire à deux portes – et à perfectionner la commode qui, grâce à lui, a trouvé ses formes canoniques. Sur ces meubles aux courbes naissantes, Cressent a développé un système décoratif sensiblement différent de son aîné, tout en conservant le principe de la domination des bronzes dorés qui en constituaient le motif principal et ont donné à certains leur nom usuel : commode au singe, commode aux palmes et aux fleurs... En revanche, c’était désormais sur un fond marqueté clair (frisage de bois de violette ou de bois de rose avec accompagnement d’amarante) que les ornements se détachaient. Le placage de bois restait donc secondaire mais introduisait une couleur nouvelle, tout comme les bronzes proposaient un vocabulaire de plus en plus féminin, fantastique et rocaille. La marqueterie comme les bronzes ont ainsi participé à la création d’un décor de plus en plus unifié, pouvant envelopper la structure du meuble dans un réseau de lignes courbes qui en réunissait les parties constitutives en un tout homogène.
La menuiserie Régence présentait la même aptitude à préparer la perfection du style suivant. Les sièges de cette période ont été de véritables prototypes pour les créations Louis XV. Comme dans l’ébénisterie, les nouveautés de style sont apparues dans l’ondulation progressive des formes et dans le goût pour un décor de plus en plus riche et toujours élégant. À la fin de la période, se rencontrent les premiers pieds “Louis XV”, d’un dessin si particulier (qui reprennent les propositions des bureaux plats de Boulle ?). Les deux fauteuils dits Crozat, au Musée du Louvre, possèdent ainsi des pieds à ligne sinueuse, galbés et épaulés, fuselés et orientés à 45°. Ils s’intègrent parfaitement à la ceinture de l’assise, désormais découverte par la garniture, permettant de développer un décor sculpté commun en faisant disparaître les angles droits grâce aux moulures courbes. La sculpture sur bois se caractérise alors par une abondance de petits motifs végétaux ou rocaille traités finement, parfois ajourés, formant un réseau de “dentelle” juxtaposé à des figures ou des ornements classiques.
Le triomphe d’un style libre
Le style rocaille, couramment baptisé “style Louis XV”, qui triomphe à Versailles et à Paris de 1730-1735 aux années 1750, manifeste un goût pour la forme courbe, la joie de la polychromie et le plaisir de l’asymétrie. Les éléments jugés désormais archaïques, la symétrie, la lourdeur et la rationalité de construction, la retenue et la codification des ornements s’effacent devant lui. Il apparaît comme le premier style totalement original, et surtout non fondé sur une base classique que la France s’est donnée depuis l’âge gothique.
À l’origine de ce renouveau, les dessinateurs ont constitué le vocabulaire rocaille, source d’une évolution stylistique basée sur la ligne. Juste-Aurèle Meissonnier, Jacques de Lajoue ou les frères Slodtz ont diffusé, grâce à la gravure, des séries importantes de “cartouches” – motifs décoratifs dérivés de l’écu armorié – ou de modèles d’objets d’art qui servaient de point de départ à un jeu savant de déformation des motifs végétaux, minéraux et parfois animaux. Mouluration des sièges, sculpture des lambris, filets de la porcelaine ou arrêtes saillantes de l’orfèvrerie développaient sur chaque objet, dont la forme essentielle n’était pas altérée, une impression de mouvement et d’énergie libérée. Cependant, les créations parisiennes conserveront une mesure qui les empêchera d’atteindre l’exubérance du rococo germanique ou espagnol.
Les motifs pouvant être interprétés et adaptés à tous les domaines, un style d’une étonnante homogénéité est ainsi apparu, avec le principe de réunir les parties – décor intérieur, mobilier et objets décoratifs – en un tout organique, grâce à la ligne sinueuse.
Dans le décor intérieur, l’organisation du lambris restait toujours aussi codifiée, assurant le règne de l’asymétrie dans la composition des cartouches, mais les nouveaux ornements ont trouvé avec la corniche une zone de liberté inédite. La corniche est le rare, voire le seul, élément d’architecture qui a été totalement déformé par l’esprit rocaille. Cette ligne de séparation traditionnelle entre mur et plafond a disparu au profit d’une zone nouvelle, qui marquait par des d’ornements et des peintures le départ des plafonds plats, uniformément peints et sculptés dans leur centre. Le salon de l’appartement de la princesse de Condé en l’hôtel de Soubise (Germain Boffrand, 1737-1740) en est l’exemple accompli.
Les lambris et les sièges – la menuiserie en bâtiment et la menuiserie en mobilier – ont connu la même réunion. Le salon du château d’Abondant, remonté au Musée du Louvre, est l’un des rares exemples aujourd’hui conservés de cette unité de dessin (Jean Mansart de Jouy, architecte ; Michel Cresson et Simon Houlié, menuisiers, 1747). Les dossiers des canapés et des bergères ont été dessinés de manière à s’adapter précisément au lambris, ce qui les rendait inamovibles. Ils ont été accompagnés d’autres sièges, dits “volants”, plus légers et disposés au centre de la pièce. Ainsi étaient conciliés l’habitude de la disposition ancestrale des sièges le long des murs et le goût moderne de la commodité. Enfin, cette unité était renforcée par le traitement des bois et la garniture, qui devaient impérativement reprendre les coloris des lambris et des tentures. Ces coloris, comme le rappellent les pièces de porcelaine dont les couleurs n’ont pas été altérées par le temps ou les lambris du Musée Carnavalet, étaient d’une polychromie beaucoup plus étonnante que les exemples précédents.
L’ébénisterie a accueilli favorablement le nouveau style dans ses formes et dans le dessin de ses bronzes dorés, mais a marqué son indépendance en favorisant une marqueterie de bois indigènes et exotiques à riches bouquets ou guirlandes de fleurs. Bernard II van Riesen Burgh (BVRB, 1696-avant 1767, actif entre 1730 et 1764), le plus grand ébéniste du temps de Louis XV, illustre le style rocaille le plus élégant, celui des commandes pour les petits appartements, où l’apparat n’imposait pas la surcharge décorative que l’on rencontrait par exemple sur les meubles de Gaudreaux pour le service du roi. BVRB a marqué l’histoire des meubles français en réalisant, à la demande des marchands merciers, les premiers meubles plaqués d’une feuille de laque du Japon ou de Chine – commode du Petit cabinet de la Reine à Fontainebleau, 1737, Musée du Louvre – ou de plaques de porcelaine – commode de Mademoiselle de Sens, 1760, collection privée. Quels que soient les matériaux utilisés, BVRB, à la manière de tous les ébénistes de la période, considérait le placage, et non les bronzes, comme le principal élément du décor. L’ébénisterie était donc le résultat d’un subtil équilibre entre la courbe et le placage, rehaussé de bronzes rocaille qui soulignaient l’une et protégeait l’autre.
Les menuisiers, la dynastie des Foliot en tête, ont banni toute ligne droite : les courbes de leurs sièges étaient amplifiées par le décor mouluré. Les ornements rocaille, d’abord très tapissants, ont évolué rapidement vers une disposition “en agrafe” aux endroits clés du bâti. Ils laissaient aux profondes moulures le soin d’accompagner l’ondulation générale du siège, qui prenait ainsi une curieuse expression d’invitation à s’asseoir.
Porcelaine et orfèvrerie, par leurs techniques de création même, étaient de loin les domaines les plus ouverts aux altérations formelles, les meubles ne pouvant proposer qu’une déformation limitée. Considérant que la Manufacture royale de porcelaine, installée au château de Vincennes, n’a produit des pièces remarquables qu’à partir de 1748, c’est essentiellement dans le travail de l’or et de l’argent que se rencontrent les créations les plus étonnantes. L’esthétique rocaille en porcelaine a subsisté jusqu’après 1762, comme en témoigne la garniture de cheminée de Madame de Pompadour conservée au Musée du Louvre.
À Paris, l’atelier de Thomas Germain a produit une orfèvrerie de style rocaille noble. Cet artiste a su créer des pièces incontestablement modernes par leurs ondulations étonnantes, par la disposition élégante des ornements, mais dont le résultat était toujours modéré, souvent marqué par quelques motifs issus du répertoire classique. Le seau à bouteille de la première livraison du service Penthièvre-Orléans (1727-1728, Musée du Louvre) est à ce titre éloquent. Il est l’un des rares exemples d’un style rocaille parfaitement maîtrisé. Germain parvient à créer une forme – une sorte de coquillage hypertrophié – qui respecte l’esthétique de la courbe, de l’ondulation et de l’asymétrie, et réussit en même temps, grâce au jeu de la lumière sur l’argent, à se passer de tout ornement puisque la cuve est elle-même l’ornement rocaille. Suivant la veine naturaliste traditionnelle de l’orfèvrerie du temps, le seau a juste reçu un décor de sarments de vigne qui en forment les deux poignées et suggèrent la destination de l’objet, au cas où la forme serait trop absconse. La cuve est posée sur un socle qui, comme la signature de Thomas Germain, est un octogone bordé d’un jonc enrubanné, d’un dessin parfaitement classique.
L’inclusion par Germain d’ornements classiques est à considérer comme la Fontaine des Quatre-Saisons d’Edme Bouchardon. Il s’agit sans doute des résurgences d’une formation académique qui sous-tend l’ensemble des créations de la première moitié du siècle. Cette tradition n’a pas pour autant permis d’effectuer sans mal le passage vers le néoclassicisme. C’est naturellement l’architecture qui, la première, a sonné le glas du style rocaille. N’ayant jamais vraiment adhéré à cet esprit, elle reprendra, au début des années 1760, l’initiative du classicisme, en espérant sans doute renouer avec les chefs-d’œuvre du siècle précédent, ce que parviendra encore à réaliser Ange-Jacques Gabriel en élevant le Petit Trianon de Versailles (1762-1764).
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Le style rocaille triomphe dans le décor intérieur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°82 du 30 avril 1999, avec le titre suivant : Le style rocaille triomphe dans le décor intérieur